Les Américains eux aussi ont des principes mais, à la différence des Européens, ils s’arrangent pour qu’ils servent leurs intérêts. Et, en effet, si l'on observe la situation de l’autre côté de l’Atlantique, on comprend vite que la guerre en Ukraine ne fait pas que des malheureux. Pour certains, c’est même le jackpot. Alors que l’Europe est confrontée à des risques de pénurie d’énergie cet hiver, à l’inflation et à une menace de récession, les États-Unis facturent aux Européens leur gaz de schiste quatre fois le prix de leur marché intérieur et démultiplient leurs ventes d’armes.
Comme le rappelait récemment François Lenglet au micro de RTL, c’est à un gigantesque transfert de richesse de l’Europe vers l’Amérique que nous assistons actuellement. Les États-Unis, qui étaient déjà les premiers producteurs de pétrole, sont devenus, à la faveur de la crise et grâce à la demande européenne, les premiers producteurs mondiaux de gaz. Jamais le secteur énergétique américain n’avait connu une telle prospérité.
Le prix du gaz étant cinq à six fois moins élevé outre-Atlantique, c’est aussi à une perspective de délocalisations massives que l’industrie européenne est confrontée. Lundi dernier, Emmanuel Macron organisait un dîner avec des industriels européens pour les inciter à rester en Europe et surtout en France. Le président-directeur général de Dassault Aviation, Éric Trappier, qui dirige l’Union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM), confiait récemment au journal Les Échos : « Je connais plusieurs industriels qui me disent regretter leur investissement fait il y a six mois, qu’ils n’auraient pas fait s’ils avaient connu l’évolution du prix de l’énergie. Je le prends comme un premier signal qui n’augure rien de bon. »
Une peur de voir nombre d’entreprises s’envoler vers des cieux plus cléments, peur renforcée par les mesures prises par Joe Biden cet été pour renforcer l’attractivité de son pays. L'« Inflation Reduction Act », plan massif d’investissement de 430 milliards de dollars, a notamment pour but de créer une filière automobile électrique américaine. Décarboner l’économie et favoriser la transition énergétique ? De bien nobles causes. Qui s’accompagnent, cependant, de mesures de nature à fausser la concurrence et à encourager les investissements aux États-Unis. Ainsi, la réduction des crédits d'impôt de 7.500 dollars consentie aux acheteurs de voitures électriques ne s’appliquera pas aux modèles proposés par des constructeurs non américains.
Emmanuel Macron, qui s’est envolé mardi pour une visite d’État aux États-Unis, espère convaincre Joe Biden de revenir sur ces mesures. Comme le notait, cependant, Le Figaro, le 28 novembre dernier, « faire des concessions aux industriels étrangers dans une nouvelle filière électrique où l’Amérique se pose en leader n’est pas dans son intérêt électoral ». Peu de chance, alors, que la diplomatie macronienne de la chemisette blanche et de la tape dans le dos, qui plaît tant à nos médias, impressionne beaucoup le président américain.
Il y a quelques jours, Politico rapportait les plaintes du chef de la diplomatie européenne Josep Borrell, qui appelait Washington à prendre en compte les préoccupations européennes. La réponse du porte-parole du Conseil de sécurité nationale de Biden avait été la suivante : « La hausse des prix du gaz en Europe est causée par l'invasion de l'Ukraine par Poutine et la guerre énergétique de Poutine contre l'Europe, point final. »
Derrière les grands principes, il y a le froid réalisme des rapports de force. Face à la politique américaine, Bruno Le Maire déclarait récemment : « L’Europe ne doit pas être le dernier des Mohicans. » Gageons qu’à tout le moins, elle sera le dindon de la farce.
Frédéric Lassez