La chronique de Philippe Randa
N’ayant aucune culture d’entreprise pour m’être exploité moi-même ma vie durant – jusqu’à présent et ne voyant guère de risques que cela change – il y a des fléaux auxquels j’ai donc échappé. L’un est particulièrement ravageur aux États-Unis d’Amérique et pas que ! hélas !
Voici quelques années, lors d’un déjeuner avec Jean-Paul Brunet dont j’ai publié deux livres (1), celui-ci me racontait comment, après la IIe Guerre mondiale, fasciné par le cinéma américain, il avait décidé d’aller vivre outre-Atlantique où des décennies durant, il mena une brillante carrière d’universitaire et de lexicographe.
Il m’expliqua alors comment fonctionnait formidablement l’enseignement supérieur aux USA et, de façon très similaire, au Canada : les différences et résultats en fin de cursus avec la France se passent de commentaires… Bien évidemment, je n’avais aucune raison de douter de ce qu’il m’apprenait… quand il ne me confirmait pas tout simplement ce dont je pouvais me douter.
En désespoir de cause (franchouillarde), je tentais tout de même de réfréner son enthousiasme (yankeenophile) sur son tableau si idyllique de l’enseignement en Amérique du Nord :
– Il n’y a vraiment aucun problème là-bas, alors ?
Sa réponse fusa :
– Si ! La réunionite ! Pour un oui ou pour un non, il faut – et il n’est même pas envisageable d’y échapper – se réunir pour discuter, discuter, discuter : sur tout, sur rien et surtout pour rien !
Philippe Joutier, autre auteur que j’ai eu le plaisir de publier, a témoigné, lui, sur ce fléau de ce côté-ci de l’Atlantique : ancien Inspecteur, puis Directeur départemental au Ministère de la Jeunesse et des Sports, il a rapporté dans son désopilant (ou tragique, c’est selon les points de vue) livre Les Extrafrançais (2), ces innombrables réunions où les participants, s’ils ne sont pas discrètement assoupis, font semblant d’écouter les intervenants pontifier tant et plus en faisant généralement assaut de lieux communs.
Et tout le monde de se quitter (enfin, c’est pas trop tôt !) sur ce prometteur échange pour l’avenir :
– On fait comme on a dit ?
– On fait comme on a dit !
On ne peut donc qu’apprécier la récente initiative d’Elon Musk de « torpiller la “réunionite” dans les boîtes » selon le titre du magazine Challenges ; elle ne peut qu’interpeller après les conclusions d’une étude réalisée par la société Otta.ai (spécialiste des outils de collaboration) : « … un tiers des réunions seraient inutiles et elles feraient perdre des millions d’euros aux entreprises. […] supprimer cette réunionite permettrait d’économiser 2 millions d’euros par an pour les entreprises de moins de 100 employés, 10 millions à celles de moins de 500 employés et 100 millions à celle de 5 000 et plus ! »
De même, rapporte encore le magazine, « une entreprise technologique asiatique a ainsi observé, l’an dernier, la façon de travailler de 10 000 de ses employés entre avril 2019 et août 2020. Elle a découvert qu’ils travaillaient 30 % de temps en plus quand ils étaient à leur domicile, en télétravail. Mais que cet effort supplémentaire ne servait à rien, car leur productivité baissait de… 20 %. En fait, tout leur temps de travail supplémentaire était absorbé par des réunions. »
Ainsi, le milliardaire américain qui vient de défrayer le monde médiatique en rachetant Twitter, entend promouvoir la productivité avec six principes que ses employés sont priés d’appliquer à l’avenir :
1) Évitez les grandes réunions, elles découragent le débat ;
2) Quittez les réunions ou vous n’apporterez rien. Ce n’est pas impoli de partir ;
3) Oubliez la chaîne hiérarchique pour communiquer avec vos collègues ;
4) Soyez clair plutôt qu’intelligent. Pas de jargon ;
5) Renoncez aux réunions régulières. Envoyez plutôt des SMS ou des emails ;
6) Soyez pratiques, ne suivez pas la règle, mais les objectifs de la société.
Des principes qu’il serait, à n’en pas douter, fort judicieux d’appliquer de ce côté-ci de l’Atlantique !
Notes
(1) Alan Ladd, héros fragile, Éditions Dualpha, collection « Patrimoine du Spectacle », préface de Jean Tulard, membre de l’Institut, 2009 cliquez ici
Dictionnaire des Forces Spéciales. Dictionary of Special Forces (français-anglais/anglais-français), Éditions Dualpha, collection « Patrimoine des Lettres », 2016. cliquez ici
(2) Les Extrafrançais, Éditions Dualpha, collection « Vérités pour l’Histoire » , 2015.