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L’ancien ordre mondial est mort

En lisant ce texte qui dit bien ce que nous ressentons tous à savoir que l’ordre ancien, celui vécu au moins durant 200 ans est mort et qu’un nouveau commence à poindre, je ne puis m’empêcher de penser que cela coïncide avec cette période de l’année, celle du solstice d’hiver, le moment où la nature parait endormie et où les nuits sont les plus longues mais où la lumière va croître et chaque feu, chaque étincelle en est la promesse. Jadis, nous avions l’habitude avec mon compagnon d’aller dans la campagne faire un feu dans lequel nous brulions le malheur des jours anciens et appelions le jour et la lumière. Voici donc ce premier jour de 2023 dont nous avons souhaité pour tous qu’il dise ce qui va naître et auquel nous sommes invités à participer.

Danielle Bleitrach

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par Timofei Bordachev

Directeur de programme, Valdai Club 29 décembre 2022

Une contradiction importante à laquelle la Russie a dû faire face sur la scène internationale en 2022 était la combinaison d’un contexte mondial qui nous était entièrement favorable et d’énormes obstacles à la réalisation d’objectifs spécifiques de politique étrangère.

D’une part, l’année sortante a été la dernière année de plusieurs siècles de domination occidentale, qui maintenant ne mène plus que des combats défensifs. D’autre part, les adversaires de la Russie disposent d’énormes ressources pour se battre. Il ne fait aucun doute que la nécessité d’aborder ces sujets d’une manière ou d’une autre restera présente en 2023. Et mieux nous serons préparés à cela, plus la Russie aura de succès dans le nouvel ordre international qui se forme sous nos yeux. 

L’ancien ordre mondial est mort. Les dernières tentatives pour le faire revivre – les États-Unis organisant un soi-disant sommet des démocraties en 2021 – n’étaient pas seulement dénuées de sens, mais même dépourvues de l’effet informatif escompté. Ce n’est pas une coïncidence s’il n’a fait l’objet d’aucun suivi visible. L’ordre occidental est mort parce que ses dirigeants, les pays les plus avancés économiquement et les plus armés du monde, ont perdu la capacité de déterminer la vie des autres. Leurs énormes capacités de puissance se sont révélées inutiles pour prévenir les protestations et refus de suivre les directives de Washington et des capitales européennes.

Le seul outil qui reste aux États-Unis et à l’Europe en 2022 est la coercition et l’intimidation. Convenons que c’est une base faible pour un engagement international, même relativement stable.

Lorsque nous disons qu’un pays ou ses entreprises « se conforment aux sanctions contre la Russie », cela signifie que ces chiffres font l’objet d’une menace directe et immédiate pour leur sécurité ou leur bien-être économique relatif. Dans ce mode, l’Occident peut se battre avec la Russie ou la Chine, mais il est impossible de créer quoi que ce soit de nouveau de cette manière – la réduction de la dépendance et la création de moyens de communication alternatifs deviennent monnaie courante.

Le résultat des innombrables votes à l’Assemblée générale des Nations unies en est un parfait exemple. De plus en plus de pays dans le monde, même lorsqu’il existe des motifs formels de condamner les actions de la Russie, rechignent à le faire. Ils sont bien conscients qu’ils pourraient être les prochaines cibles de la pression.

Mais surtout, la réduction de la dépendance à l’égard de l’Occident devient une condition de développement importante pour de nombreux États d’Asie, d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Amérique latine. Les États-Unis et leurs alliés ne savent pas encore comment répondre à ce défi. C’est pourquoi ils choisissent la voie la plus facile, en convainquant leurs citoyens de leur propre infaillibilité, et en n’offrant que la violence aux autres.

Aujourd’hui, les pays occidentaux – les États-Unis, l’Europe et leurs rares alliés – se transforment en un camp militaire et affrontent le reste de l’humanité. Ils avaient déjà cette expérience – les empires coloniaux européens n’ont été créés que par la coercition brute et la guerre. Mais le monde n’était pas alors un monde d’États souverains, dont la plupart avaient atteint un niveau de développement qui leur permettait de faire des choix indépendants. Il n’y avait pas de Chine capable d’offrir des ressources alternatives à l’époque, et la Russie faisait partie du monde impérial, elle n’était pas son adversaire. Par conséquent, la question de savoir si le camp militaire occidental est capable de regagner au moins une partie de sa position devient une question de foi, et non de savoir. Mais on ne peut nier qu’il existe encore de nombreux croyants en la toute-puissance occidentale, y compris en Russie.

D’autant plus que les ressources des États-Unis et de l’Europe sont vraiment colossales. Jusqu’à présent, ils sont capables d’avoir un impact dévastateur sur l’infrastructure la plus importante du monde moderne – le commerce et les finances internationales. Le plus grand avantage de l’Occident est sa structure autoritaire et verticalement intégrée. Là où la communauté mondiale hésite à penser aux intérêts de ses citoyens et à leur sécurité, les gouvernements occidentaux ne s’inquiètent pas des conséquences pour les Américains ou les Européens ordinaires. D’autant plus lorsque les électeurs sont prêts à subir des épreuves, espérant retrouver une existence sereine aux dépens du reste du monde à la fin des hostilités. Cependant, l’histoire montre que les systèmes autoritaires ne peuvent réussir que tactiquement – stratégiquement, ils perdent toujours.

Le camp militaire occidental a ses propres fantassins qui sont envoyés à l’abattoir. Il s’agit des populations de l’ancienne Ukraine, d’une partie des pays d’Europe de l’Est, y compris une Finlande devenue hargneuse en l’espace de quelques mois, peut-être Taïwan. Le cas de l’Ukraine est particulièrement dramatique jusqu’à présent. Une fois que tout le monde a été convaincu de l’incapacité de la population de ce territoire à créer un État également amical pour tous ses voisins, elle est devenue ni plus ni moins un instrument de guerre. D’autant plus que la culture de l’inimitié et de la violence y est ancrée. En 2022, le territoire de l’Ukraine a retrouvé son état historique de « champ sauvage » [dikoe pole, une réalité qui remonte au Moyen-Age, espèce de no man’s land parcouru par des bandes de pillards, NdT] à la frontière russo-européenne. Pour l’instant, la majeure partie de cette ressource demeure entre les mains des États-Unis et de l’Europe, et les événements militaires montrent que la lutte pour redresser les esprits en Ukraine se poursuivra pendant longtemps.

À l’échelle mondiale, la Russie n’a pas besoin de se battre pour s’attirer la sympathie des peuples et des gouvernements des pays qui représentent 85% de la population mondiale – c’est ainsi que de nombreux États n’ont pas imposé les soi-disant sanctions à notre encontre. Ces sympathies sont déjà du côté de la Russie. Elle est en partie due à nos mérites, mais surtout à l’intérêt personnel d’une multitude d’États indépendants. La raison en est le simple désir, déjà mentionné, de liberté pour déterminer comment se développer et ne pas chercher sa place dans la « chaîne alimentaire » dirigée par les États-Unis. C’est sur cette base qu’est apparu en 2022 le nouveau phénomène de la Majorité Mondiale – un ensemble de pays poursuivant leurs propres objectifs, mais cherchant à se débarrasser du contrôle total de l’Occident. La Majorité Mondiale est le facteur le plus important qui façonne le contexte du changement international favorable à la Russie.

Mais le contexte seul ne peut pas résoudre les défis actuels de la politique étrangère. La sympathie et le soutien, la volonté de coopération et son contenu pratique ne signifient pas que les amis de la Russie subordonnent leurs intérêts à ceux de la Russie. Il serait illusoire d’imaginer que quiconque dans le monde se sacrifierait pour résoudre notre problème ukrainien. Changer l’ordre international est un processus long et coûteux pour tous, et chacun doit économiser son énergie. Jusqu’à présent, en Russie, beaucoup de gens ont du mal à comprendre et à accepter les motivations des autres. De nombreux observateurs ici sont habitués, comme l’Occident, à penser selon les catégories du passé.

Mais nous avons de notre côté une reconnaissance fondamentale de l’autonomie de nos partenaires. Dans ces conditions, le plus important dans le comportement de la majorité mondiale n’est pas ce que ses pays font subjectivement pour la Russie, mais les conséquences de leur aspiration objective à leur propre indépendance vis-à-vis de nos adversaires. Bien que beaucoup de choses se fassent déjà. Un indicateur est le taux de croissance du commerce, y compris des produits de haute technologie importants pour la Russie, avec des pays comme la Chine, la Turquie et bien d’autres. Y compris nos voisins de l’ex-Union soviétique, auxquels nous adressons parfois des réprimandes malvenues. Il ne faut pas non plus oublier l’importance des valeurs – une grande partie du monde est aujourd’hui du côté de la Russie parce qu’elle est rebutée par le nationalisme et la destruction des valeurs traditionnelles promues par les États-Unis et l’Europe occidentale.

En d’autres termes, l’événement le plus important de 2022 n’est même pas l’effondrement de l’ordre mondial précédent, mais le début de la formation d’un nouvel ordre. La base du pouvoir de cet ordre est la Majorité Mondiale. Chacun de ses membres évolue de manière autonome vers l’indépendance pour lui-même et, par conséquent, vers une plus grande liberté pour tous. La base du pouvoir de l’ordre ancien – le bloc militaro-économique de l’Occident – défend activement ses positions, faisant preuve de ténacité et de capacité à utiliser ses ressources. Dans cette configuration déterminante de 2023, la Russie est l’un des acteurs les plus importants dont les relations avec l’Occident ont franchi la ligne de la confrontation militaro-politique. Le fait que cela se soit produit est notre problème personnel, un produit des circonstances uniques entourant les conséquences de l’effondrement de l’URSS il y a 30 ans. Ce qui nous aide à résister à 2023 et à gagner à l’avenir, c’est notre position internationale très favorable et, plus important encore, notre propre résilience économique et le moral de la population.

source : VZGLYAD

traduction Marianne Dunlop pour Histoire et Société

https://reseauinternational.net/lancien-ordre-mondial-est-mort/

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