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Réflexion autour d’une dépossession. La défense de la langue française, un combat inutile ? (1/3)

Réflexion autour d’une dépossession. La défense de la langue française, un combat inutile ? (1/3)

À l’heure où l’Europe est plongée dans une confusion certaine où l’évocation du lendemain peut faire frémir le cœur des plus courageux, quel intérêt aurions-nous à entamer un combat pour défendre notre langue ? Le lien essentiel entre une nation et une langue pourrait sembler évident, mais dans le monde occidental au sein duquel nous évoluons aujourd’hui, étouffés par le progressisme qui veut faire de chacun d’entre nous un citoyen du monde, déraciné, indifférenciable et liquide, défendre notre identité passe aussi par la défense de notre langue. Féminisation ou anglicisation de la langue, écriture inclusive, novlangue : tant de dangers qui menacent notre identité française, et partant, européenne et dont il nous faut prendre conscience pour pouvoir les combattre. Auditrice de la promotion Dante de l’Institut Iliade, Marion du Faouët enseigne le français dans le secondaire. Premier épisode d’une série en trois volets.

Mai 2021, quelque part en Bretagne. À l’Ouest rien de nouveau, si ce n’est le crissement régulier des chaussures qui heurtent les graviers de la cour entre deux ballons : c’est la reprise après les vacances de printemps. La sonnerie retentit, les mères de famille partent dans leurs pénates finir leur café froid tandis que les élèves, armés de leurs sacs déjà trop lourds, retrouvent leurs places dans les classes. On sent encore l’odeur de la poussière de craie qui se mêle rapidement à celle de la cour. Le surveillant général va encore souffler en constatant les efforts toujours vains de la femme de ménage à garder l’école propre. Les trousses s’ouvrent, les cahiers se déplient, les poignets s’étirent, déjà fatigués de n’avoir pas assez écrit pendant les longs jours bénis de ces vacances insouciantes.

En quatrième, c’est une interrogation de lecture qui attend ces chères têtes blondes. Leur professeur leur a demandé de lire une pièce de théâtre pendant les vacances. S’il a du cœur, Rodrigue a aussi donné du fil à retordre à ces adolescents, et bien plus que ce à quoi ils s’attendaient. Une dizaine de questions sur l’ensemble de l’œuvre, une trentaine de minutes où le professeur regarde avec affection ces visages familiers qu’elle connaît depuis maintenant quelques années. Elle devine, au nombre de têtes relevées et de regards inquiets que le résultat ne sera pas bon pour tous. L’un d’entre eux lui a même annoncé penaud ne pas avoir eu le temps de finir sa lecture… Elle avait pourtant pris soin de leur expliquer l’intrigue avant de les laisser partir en vacances, Le Cid sous le bras…. L’horloge poursuit sa course malgré tout, et les feuilles commencent à arriver sur le bureau du professeur à qui il ne restera finalement qu’une dizaine de minutes pour faire le point sur l’interrogation. La sonnerie sonne la fin de ces retrouvailles et chacun repart à ses occupations, qui au ping-pong, qui à son ballon de football, qui à ses bavardages incessants, qui à son café fumant…

Pourquoi Corneille ?

C’est après avoir éteint les lumières dans la chambre de ses propres enfants, repris un café et vérifié que la porte était bien verrouillée que le professeur peut enfin jeter un œil sur les copies fraîches du matin. Elle se réjouit de tenir ainsi les bonnes résolutions de correction que tout bon professeur se doit de s’imposer à chaque reprise scolaire. Les copies se suivent, les notes aussi. Toutes plus basses les unes que les autres. Deuxième café : Rodrigue n’aime pas Chimène mais l’Infante. Aucun dilemme à avoir : du moment qu’ils sont sincères, pourquoi Rodrigue et Chimène ne peuvent-ils pas se marier ? Troisième café de la soirée : la moyenne s’annonce épouvantable pour cette classe dont elle connaît pourtant l’amour des belles lettres. Charles Perrault, Jean de La Fontaine, Chrétien de Troyes, mais aussi Maupassant ou La Varende ont bercé leurs années de collégiens, alors pourquoi Corneille leur échappe-t-il ?

Semaine suivante, même classe, même poussière, même tableau noir. Les élèves sont moins fatigués que le lundi précédent, le professeur un peu plus. Elle doit rendre leurs copies aux élèves. Elle sait déjà qu’il y aura des grimaces et des déceptions… Les collégiens ont préparé leur défense, le texte était trop long, trop compliqué, personne n’a compris, de toute façon à quoi bon lire du Corneille ? Ce vieux bonhomme poussiéreux se torture avec des questions qui ne sont pas si graves que cela en plus… Haro sur le baroque, on s’insurge, on réfute, on souffle un vent de révolte. Le professeur se tait et attend que la classe l’imite. Le silence revient, et dans un geste lent, qui se veut un peu solennel, elle tire de son cartable son exemplaire du Cid. Il n’est plus très jeune, c’est celui qu’elle a eu dans ses mains quand elle était à la place des enfants à qui elle tente de faire aimer la langue française… Elle commence :

Le reste de l’heure se passe, ponctuée des passages du texte et des commentaires du professeur. Peu à peu les regards s’éclairent, les coudes s’ancrent sur les bureaux, les cous s’allongent vers elle. La classe sourit des échanges entre Don Diègue et Don Gomès pour sursauter au soufflet, elle vibre aux stances de Rodrigue, et tremble lors du duel. La sonnerie retentit, cette fois-ci trop tôt pour tous les occupants de la salle de classe. Regardant ses élèves sortir, le professeur ne peut s’empêcher de se demander si certains avaient même lu l’œuvre avant le cours, mais son quotidien la rattrape rapidement…

Abreuvés d’anglicismes et de néologismes, les élèves de ce petit collège de province sans prétention sont les acteurs malheureux du drame qui est en train de se dérouler sous nos yeux à l’échelle nationale. L’intrigue tient en une phrase : celui que l’on prive de sa langue est peu à peu dépossédé du patrimoine littéraire qui constitue son paysage culturel.

En 2023, comme chaque année, le Larousse s’enrichira de nouveaux mots. Sans surprise, le contexte sanitaire des dernières années impose son tempo à la langue française avec son champ lexical des passes, vaccinodrome et autre distanciel, mais d’autres entrées sont plus symptomatiques du mal qui ronge notre époque… Ainsi les termes de « wokisme » et de « grossophobie » intègrent le dictionnaire qui a mis au rebut voilà quelques années le mot « lourderie »…

Ce « wokisme », ou nouvel esprit des Lumières, veut peu à peu tordre la réalité à sa convenance, niant toute hiérarchie, féminisant à outrance, forgeant une nouvelle langue : passeport pour devenir le citoyen du monde que rien ne saurait dire s’il est né en France ou en Amérique… La propagande wokiste fait rentrer dans le débat la question de l’écriture inclusive qui apparaît désormais sur des sites d’administrations françaises (site de la région Bretagne, universités publiques…), et l’on peut entendre des féministes vilipender vertement l’affreuse règle du masculin l’emportant sur le féminin, remettant en cause la structure même de la grammaire française.

Sabir, globish, espéranto et infra-langages

L’anglicisation du français est aussi révélatrice de cette évolution des mentalités. Dans son Rapport sur la communication institutionnelle en langue française publié en janvier 2020, l’Académie Française s’inquiète de cela :

« Il n’est peut-être pas inutile de rappeler ce qui fait la spécificité de notre langue. Le français est constitutivement une langue écrite, une langue de l’écrit. C’est à partir de la langue écrite qu’il s’est unifié, diffusé et développé, d’abord par la décision de rédiger les textes juridiques en “langage maternel français et non autrement”, puis, dès le XVIIe siècle, par l’action des grammairiens et des écrivains, placée sous l’égide de l’Académie.

Jusqu’au XXe siècle, l’implantation de vocables étrangers se faisait à travers un processus d’assimilation, de francisation progressive. Actuellement au contraire, l’entrée quasi immédiate dans la vie publique de mots anglais ou supposés tels, via les moyens de diffusion de masse, sans adaptation aux caractéristiques morphologiques et syntaxiques du français, conduit à une saturation, d’autant que nombre d’anglicismes sont employés en lieu et place de mots ou d’expressions français existants avec pour conséquence immanquable l’effacement progressif des équivalents français, pourtant immédiatement compris des locuteurs francophones (un “follower” [pour abonné, mais aussi adepte, ami, contact, fan, suiveur…], pp. 16, 17 ; un “prototype 100 % éco-friendly” [pour écologique, respectueux de l’environnement], p. 13, etc.) »

L’Académie à la rescousse

Les sages poursuivent plus loin leur réflexion en ces termes :

« À une époque où la langue est profondément modifiée par des usages écrits généralisés au plan mondial, qui sont induits par les techniques numériques (nombre limité de caractères, symboles graphiques ou typographiques se substituant aux mots…), le risque est fort d’une réduction à un dénominateur commun artificiel, robotisé, uniforme, entraînant imprécision et ambiguïté, laissant peu de place aux nuances de la pensée et de l’expression, et plus adapté à des messages simplistes et éphémères qu’à une véritable communication précise et explicite.

Si l’apport de mots étrangers pour combler les lacunes patentes du lexique français est bienvenu et parfois même nécessaire, on voit bien désormais que leur afflux massif, instable, incontrôlé, porte atteinte à l’identité et éventuellement à l’avenir de notre langue, comme de la plupart des autres langues. Ainsi la propagation massive et continue d’un vocabulaire anglo-américain souvent dénaturé, considéré à tort comme bien connu du public général et d’emploi quasi universel, a pour conséquence contradictoire le risque d’un appauvrissement en proportion du lexique français. »

Le feu sacré du verbe

Disons-le, il est essentiel de suivre l’évolution du dictionnaire qui est une photographie de la société elle-même. Que dire d’un pays où le mot « selfie » a tellement été utilisé qu’il a intégré son répertoire ? Et que penser d’une société où « flow » et « upcycling » font désormais partie du vocabulaire de base ? Comment ne pas faire le lien avec ces élèves que nous venons d’évoquer ?

L’évolution du dictionnaire va de pair avec l’évolution de la langue orale : de l’absence des négations et l’utilisation du pronom « on » honnies de nos aïeux, nous sommes passés au « verlan » pour finalement voir notre langue contaminée par de l’argot des cités qui se répand, par capillarité, à toutes les strates de la société. L’on se plaît à dire qu’une langue vivante évolue en permanence et qu’elle tend vers la simplification, mais nous pourrions nous demander dans quelle mesure ne sommes-nous pas en partie responsables de ce délitement évident de notre langue à travers notre façon de parler…

Transmettre ou disparaître : telle est l’issue de notre combat actuel, et celui-ci doit se porter tout particulièrement sur la langue. À l’image de Ronsard et du Bellay, de Malherbe et Vaugelas, des sages de l’Académie et de Corneille, nous nous devons de préserver et entretenir la langue de nos aïeux. Elle ne doit pas être mise sous cloche, dans un musée que l’on visiterait à l’occasion du passage de quelque étranger sur nos terres, elle doit être au cœur de nos préoccupations, comme le feu que l’on se doit d’entretenir pour faire vivre son foyer et autour duquel l’on aime à se rassembler pour y conter des histoires et y fredonner des airs de nos pays. Des braises encore fumantes, il en existe sous bien des toits, il nous incombe maintenant de souffler dessus pour raviver la flamme du sentiment national et partant européen.

Langues vivantes, langues vibrantes

Si les générations qui viennent ont été dépossédées d’une partie de leur patrimoine par le vol de leur langue, il ne tient qu’à nous de leur insuffler l’absolue nécessité de combattre la novlangue de l’ennemi. Reprenant la triade homérique si chère à Dominique Venner, nous pourrions articuler notre lutte sous trois aspects.

« La Nature comme socle » : la défense et la transmission de notre langue ne pourra se faire que grâce à la maîtrise de notre grammaire française : orthographe, conjugaison, analyse doivent être des piliers de notre langage. Soyons exigeants avec nous-même lorsque nous écrivons et lorsque nous parlons : c’est par notre exemple de tenue que nous pourrons faire entrer en résistance les autres !

« L’excellence comme but » : l’imitation des Anciens fut un principe fondateur de notre littérature. De Racine à Anouilh, de saint Thomas d’Aquin à Gérard de Nerval, tout homme de lettres connaissait les auteurs antiques et s’en nourrissait, conscient que l’Antiquité contenait l’essentiel des questionnements humains. Lisons ! Il faut faire sienne la littérature européenne, qu’elle infuse notre esprit pour pouvoir ensuite la transmettre !

« La Beauté comme horizon » : la langue française, héritière des Romains et des Gaulois, est à l’image du peuple qui l’a forgée : « elle se caractérise, sinon toujours dans les faits, du moins par l’idéal de clarté et de précision dont elle se prévaut traditionnellement et qui lui est généralement reconnu. Cette rigueur formaliste, au lieu d’un obstacle, peut être une force » (Rapport sur la communication institutionnelle en langue française). Cet idéal nous oblige et nous nous devons de toujours maintenir cette clarté classique qui a fait la beauté de notre langue.

Pour qui a conscience de l’importance de la Tradition, la défense de la langue doit être un combat de tout instant. Les Européens que nous sommes sont appelés à défendre notre civilisation et cela devra se faire par la défense de la langue et de la littérature qu’elle a nourrie et dont elle s’est abreuvée !

Marion du Faouët – Promotion Dante

Illustration : Le Duel. Acte 2, scène 3. Dessiné pour l’Opéra de Massenet d’après Le Cid. Gravure d’Auguste Tilly (détail), 1898. Source : Wikimédia Commons

https://institut-iliade.com/reflexion-autour-dune-depossession-la-defense-de-la-langue-francaise-un-combat-inutile-1-3/

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