« Notre combat se situe dans l’Assemblée nationale. » Ce mantra, répété et diffusé par les élus du RN dans l’ensemble des médias, a été le cap du RN alors que la réforme des retraites et son cortège de colère se profilaient à l’horizon. Soucieux de garder l’image d’un groupe d’opposition responsable et constructif, soucieux de participer à l’effort du perchoir de ne pas « laisser l’Assemblée se transformer en ZAD », pour reprendre les mots de la présidente Braun-Pivet, le RN était catégorique : leur place n’était pas prioritairement dans la rue mais bel et bien dans l’Hémicycle.
Or, ce jeudi, devant l’incontestable succès de la mobilisation syndicale contre la réforme des retraites (entre un et deux millions de manifestants à travers la France), les élus de la NUPES se sont sentis pousser des ailes. Et même le psychodrame du vote interne du Parti socialiste redémarrant la traditionnelle guerre des chiffres ne déstabilise pas une gauche unie avec tout son écosystème de syndicats et d’acteurs sociaux. « Le chemin est tel qu’en 2027, sauf impair majeur, on gagne. Le risque serait de trop en faire. » Le député RN du Loiret Thomas Ménagé ne sait pas prévoir l’avenir mais a confiance en ce dernier. « Ne pas trop en faire » sans « ne rien faire », telle est la ligne de crête sur laquelle le Rassemblement national tente d’avancer. Mais dans un contexte social explosif, alors que les élus de gauche battent le pavé et se font voir par les manifestants, le RN peut-il prendre le pari de rester confiné dans l’Assemblée nationale ?
Bien entendu, pour se départager de la gauche, le RN a un ou deux pavés dans sa besace. Notamment l’élection d’Emmanuel Macron. « Le RN est totalement légitime pour s’opposer à cette réforme, à la différence des autres partis qui ont tous appelé à voter pour Macron », a rappelé la députée du Var Laure Lavalette sur BFM TV, le 18 janvier dernier.
Une situation qui a poussé le parti de Jordan Bardella à corriger légèrement le tir. La veille de la première manifestation, le président du parti a d’ailleurs parlé à cet électorat. « La réforme des retraites est un projet de casse sociale, un projet injuste pour des millions de travailleurs. Il y a une colère souterraine qui gronde dans le pays face à un gouvernement qui demande des efforts toujours aux mêmes », a-t-il notamment déclaré sur CNews, ce 16 janvier. Quant au vice-président de l’Assemblée nationale Sébastien Chenu, il n’a « pas exclu », ce vendredi, dans « Les Quatre Vérités » sur France 2, « que le RN soit présent à la mobilisation du 31 janvier contre la réforme des retraites ».
En tout cas, fidèle à sa stratégie managériale depuis le début de la législature, Marine Le Pen n’a laissé aucune consigne à ses troupes. « On veut rester imprévisible et on se sent totalement libre de rejoindre tel ou tel rassemblement », assure la porte-parole du groupe Laure Lavalette, qui précise néanmoins que « nous serons à l’Assemblée nationale pour y croiser le fer. Notre objectif est toujours d’être la force d’alternance à Emmanuel Macron. » En d’autres termes, tenir le rôle d’opposition raisonnable au risque de disparaître très momentanément des écrans radar.
En bref, le RN cultive le paradoxe d’avoir un cap très clair à long terme mais d’hésiter sur la manœuvre d’esquive des différents récifs qui se succèdent à l’horizon 2027. A contrario de la NUPES, qui suit le paradoxe inverse : savoir comment esquiver les récifs tout en ignorant où le vent porte l’embarcation. Une embarcation qui ressemble en au moins un point au Titanic : il n’y aura pas assez de bateaux de sauvetage ; reste à savoir qui occupe la 3e classe !