La récente découverte d’un massacre néolithique en Slovaquie confirme ce que nous savions déjà : il y a environ 7 000 ans, un conflit brutal et effréné a éclaté en Europe centrale. La preuve en est constituée par ce massacre, survenu au sein de la culture archéologique du rubané (ou culture de la céramique linéaire), la plus ancienne culture néolithique d’Europe centrale. S’étendant de 5 500 à 4 700 avant notre ère dans un vaste espace allant du bassin parisien à la limite occidentale de l’Ukraine, le rubané a été le vecteur du « courant danubien » dans la néolithisation de l’Europe, lors de l’installation des agriculteurs anatoliens sur notre continent.
En 1983, à Talheim (Allemagne, Bade-Wurtemberg), a été découverte la première tombe, ce qui fut un choc, car l’on s’imaginait que le Néolithique avait été une période paisible. Ainsi la réalité est-elle fort éloignée de la vision de Marija Gimbutas qui voyait dans les sociétés néolithiques de l’« Old Europe » un espace égalitaire, matriarcal et pacifique que les Indo-Européens auraient détruit lors de leurs invasions du Chalcolithique et de l’âge du Bronze.
Dans la tombe se trouvaient 34 personnes, dont 7 femmes et 16 enfants, tués à coups de hache à la tête, ce qui sera la norme dans la plupart des tombes de l’époque.
Au cours des décennies suivantes, de nombreuses autres tombes ont été découvertes. Similaire, bien que le modus operandi varie d’un massacre à l’autre. À Kilianstädten, il n’y avait que des individus de sexe masculin – hommes et garçons. Les femmes ont manifestement été enlevées, et les hommes torturés. À Asparn-Scheltz en Autriche, on a trouvé les restes de jusqu’à 200 personnes, hommes, femmes et enfants, également tués à coups de hache sur le crâne, non pas enterrés dans une fosse commune, mais dans les douves du village rasé.
Une exception dans l’espace eurasien
Le cas de Herxheim (Palatinat) est plus énigmatique. Le nombre de victimes est de 450. Mais ici, elles n’ont pas toutes été massacrées en même temps. L’endroit ressemble à un sanctuaire, où les guerriers victorieux plantaient les têtes des vaincus sur des pieux et jetaient leurs os dans des fossés. Pire : les os ont été retrouvés brisés – et brûlées – avec des traces de dépeçage des parties les plus succulentes. Le cannibalisme a pu être pratiqué.
La nouvelle tombe en Slovaquie à Vráble contient les restes de 38 individus décapités. La violence est non seulement extrême, mais aussi ritualisée (mutilations, exposition de cadavres, cannibalisme). Les squelettes semblent avoir été jetés dans cette fosse sans ménagement. Il est possible qu’il y ait une intention exemplaire : terroriser les survivants. Le fait que certaines têtes aient été retirées soigneusement pose des questions sur la ritualisation de ces morts.
Tous ces massacres sont sans équivalent dans aucune autre culture néolithique eurasienne, et sont surtout concentrés dans la phase finale de la culture, entre 5 100 et 4 900 avant notre ère.
Cette crise de la fin du rubané peut avoir plusieurs causes. La fertilité des sols avait diminué depuis le début de cette culture néolithique, et les communautés rubanées ne pouvaient plus s’étendre davantage sans entrer en conflit avec d’autres populations. Elles étaient limitées, au nord notamment, par les communautés de chasseurs-cueilleurs. La paléogénétique montre que le nord de l’Europe a été néolithisé culturellement, mais pas par déplacement des populations venues d’Anatolie (dont faisaient partie les rubanés). On a ainsi vu l’apparition de fortifications dans le rubané, et de concurrences au sein de cette culture. Une épidémie a-t-elle eu un rôle ? Dans la tombe de Wiederstedt, les individus sont morts de maladie. Après cette période de crise, le rubané laisse place à différentes cultures locales, plus distinctes entre elles, signe d’un éclatement et d’une fragmentation de cet espace. Les styles céramiques se régionalisent, des villages sont quittés pour en créer d’autres ailleurs, les cimetières sont délocalisés et les inégalités sociales sont moins marquées.
© Photo : Le charnier découvert par les archéologues (Ivan Cheben/Matej Ruttkay/AÚ)
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