À la mort prématurée de son père, Louis Mandrin se retrouve chef d’une grande famille de neuf enfants. La charge de subvenir aux besoins de tous lui revient, il n’a alors que 17 ans. Il reprend l’exploitation agricole familiale, mais la situation économique n’est pas fleurissante et c’est une affaire avec la Ferme générale, l’institution en charge de la collecte des impôts, qui signera sa faillite et … son passage définitif dans l’illégalité.
Pour ravitailler l’armée française en guerre en Italie, il avait signé un contrat pour fournir des mulets. Or, la paix signée, les animaux ne sont plus requis. En chemin, la plupart périssent. La Ferme Générale refuse de l’indemniser, c’est un coup mortel porté aux finances déjà bancales des Mandrins.
Le 27 juillet 1753, marquera sûrement une date de non-retour pour Mandrin : à la suite d’une rixe mortelle, avec son ami Benoit Brissaud, il est condamné à mort. Il parvient à s’enfuir, mais Brissaud est pendu. Pire : le même jour, son jeune frère Pierre, subit le même sort pour ses activités de faux-monnayage. Louis, entame alors une guerre violente et sans merci contre les autorités, en particulier contre les fermiers généraux qui se gavent sur le dos de la population déjà écrasée par la pression fiscale. Les cahiers de doléance rédigés avant les États généraux les qualifient comme «les sangsues du peuple, une peste qui infecte le royaume, une vermine qui dévore la nation.» Cette classe de privilégiés se partagent le produit des amendes et des marchandises confisquées, en ne reversant au Roi que le montant convenu préalablement… tout en exigeant des impôts jusqu’à quatre fois plus élevés aux pauvres bougres !
Pour mettre un terme à ce système, il s’unit à une bande de contrebandiers. Très vite, son audace, son génie et son charisme font le reste : il en devient le chef. Il est admiré, aimé, adulé. Il y a de quoi, les chroniques de l’époque le dépeignent « beau de visage, blond de cheveux, bien fait de corps, robuste et agile. À ces qualités physiques, il joint un esprit vif et prompt, des manières aisées et polies. Il est d’une hardiesse, d’un sang-froid à toute épreuve.* »
Ils achètent des marchandises – tabac, étoffes, horloges… – en Italie et en Suisse pour les revendre en France à des prix abordables et surtout sans taxes. Après les ventes, il fait défilé son armée sous les applaudissements de la foule. Avec ses lascars, il organise des raids dans les prisons pour libérer les détenus et les enrôler dans son armée. Mais pas n’importe lesquels : seuls ceux qui ont eu des déboires avec le fisc, fidèle à sa « ni voleurs, ni assassins ». Il mène ses hommes d’une main de fer et impose une stricte discipline. Sa réputation est si grande que des soldats du roi désertent pour rejoindre ses rangs ! Il faut dire aussi, qu’il les payent mieux. Il jouit non seulement du soutien de la population mais aussi de celui des aristocraties locales. Mandrin fait l’admiration de son contemporain Voltaire, qui écrit : « On prétend que Mandrin est à la tête de 6000 hommes déterminés ; que les soldats désertent pour se ranger sous ses drapeaux et qu’il se verra bientôt à la tête d’une grande armée. Il y a trois mois ce n’était qu’un voleur, c’est à présent un conquérant. »
En 1754, à partir des États de Savoie où il a établi son régiment, le « capitaine général de contrebandiers de France », lance six campagnes à travers la France. Il ne manque pas d’humour quand il oblige, l’arme au poing, les fermiers généraux à acheter ses marchandises de contrebande à prix majorés !
C’en est trop, les collecteurs ridiculisés, le pouvoir royal menacé, Louis XV mobilise ses dragons à sa poursuite. Ces derniers n’hésitent pas à outrepasser la frontière, ils pénètrent en Savoie déguisés en paysans qui, grâce à la trahison d’un infiltré et d’un cureton, mettent la main sur Mandrin.
Il est condamné pour vol, contrebande et assassinat. Deux jours plus tard, le 26 mai 1755, Louis Mandrin subit le supplice de la roue sur la place centrale de Valence. On raconte que durant la torture, il ne crie que pour enjoindre le peuple à poursuivre sa lutte contre l’administration fiscale.
Ainsi pouvait naître la légende du bandit justicier parti en guerre contre les excès d’une administration fiscale qui suffoquait la population.
Audrey Stéphanie
* La Gazette d’Amsterdam, in Contrebandiers et gabelous de André Besson.
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