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[Reportage] L’impossible vérité : à la Cour nationale du droit d’asile, institution submergée

Il est seul face aux trois magistrats, trois hommes en veste et cravate assis devant deux drapeaux, l’un français, l’autre européen, eux-mêmes assistés d’un rapporteur femme et d’une collègue. Face à eux, un Noir costaud, coupé ras, s’exprime dans un Français assez châtié.

Nous sommes à Montreuil, dans une petite pièce de l’immense bâtiment de briques rouges qui abrite la Cour nationale du droit d’asile. C’est ici que défile une partie des milliers d’immigrés qui réclament l’asile politique à la France. Tous sont d’abord passés par l’OFPRA (l’Office français de protection des réfugiés et apatrides), qui ploie sous les demandes…

Dans le rapport 2021, le dernier paru, l’OFPRA ne cache pas l’explosion : « Bien que demeurant à un niveau inférieur à celui de 2019, la demande d’asile a enregistré une hausse de 6,8 % par rapport à l’année précédente et a ainsi dépassé les 103.000 demandes. » En tête, Afghanistan, Côte d’Ivoire, Bangladesh, Guinée, . Si l’on observe les continents, l’Afrique noire arrive largement devant l’Asie et l’. La même année, l’OFPRA a mené plus de 95.000 entretiens en 117 langues : plus de 54.000 personnes ne l’auront pas regretté, puisqu’elles ont acquis là directement, en 2021, le précieux statut de réfugié. Plus d’une demande sur deux est donc satisfaite d’emblée, au bout de quelques mois. Tous ces demandeurs d’asile s’accumulent donc très vite, année après année, sur le territoire français. Au 31 décembre 2021, la France protégeait ainsi près de 500.000 ressortissants de pays étrangers (499.486, précisément). Parmi eux, combien d'authentiques réfugiés et combien de migrants déguisés ?

Comme par hasard, le profil de nos demandeurs d’asile ressemble comme deux gouttes d’eau à celui des migrants. À 65 %, ce sont des hommes. Pour 74 % d’entre eux, ils sont majeurs et, pour une majorité, ils sont célibataires. Surtout, ils sont jeunes : 31,8 ans en moyenne, en 2020, selon l’OFPRA. Les réfugiés, admis au titre du droit d’asile, auront le droit de vivre et de travailler en France, de profiter de ses lois sociales, du chômage et des allocations. Pour la moitié des demandeurs que l’OFPRA a écartés, il reste une solution que tous ou presque envisagent aussitôt : la Cour nationale du droit d’asile. Ainsi, 80 % des rejets de l’OFPRA font l’objet d’un recours devant cette juridiction. La Cour a mené 6.775 audiences en 2022, sur la base des dossiers, le demandeur d'asile peut demander un avocat dans le cadre de l'aide juridictionnelle. Ils y ont presque tous droit. Coût de cette aide : 21 millions d'euros en 2022, contre 8 millions en 2016 !

Mamadou, lui, n’a pas pris d’avocat. Son sac à dos posé sur la table, un dossier vert sous la main, il écoute un peu nerveusement le procureur expliquer son cas : Mamadou court un grand danger s’il rentre dans son pays, en République centrafricaine, explique le procureur. C’est compliqué. Il raconte une histoire de documents perdus, puis volés, puis retrouvés par « un ami ». Résultat, il a « oublié » de remettre son passeport à l’OFPRA. Sur ces entrefaites, sa femme qui vit au Maroc a été victime d'une sorte d'attaque cérébrale. Alors, il a demandé un visa pour voir son fils né en 2020 et sa compagne au Maroc, sans utiliser la procédure réservée aux réfugiés. Erreur pour la Justice. Il a des demi-frères en France, des frères à Bangui que son père a fui avant de décéder. Il assure qu’il n’est pas retourné dans son pays depuis 2009, mais les juges détiennent son permis de conduire : il l’a passé là-bas en 2014... Sa femme ? Elle est sortie très vite de l’hôpital, après à peine dix jours. Bizarre ? Il n’avait plus les moyens de payer l’établissement marocain, explique-t-il. Résultat : il ne peut aller au Maroc sans mettre en risque son statut de réfugié ni faire venir sa femme dans sa chambre de 9 m2. Pour qui l’immigration est-elle une chance ?

Les juges tentent de cerner un récit plein de zones d’ombre, une conjoncture locale indémêlable, une situation de famille impossible, le tout appuyé sur quelques documents administratifs marocains, centrafricains ou français, partiellement contradictoires. Le jugement est mis en délibéré jusqu’au 22 février.

Devant cette Cour de Montreuil, Mamadou a repris son sac à dos et laissé la place à une jeune fille noire, les cheveux tressés. Autre cas, même écheveau d’histoire, de géographie et de situation familiale. Le père de la jeune fille a été visé par la rébellion, explique-t-elle. Elle aussi vient de Bangui. C’est une chrétienne, sa maison a été pillée, son cousin assassiné, elle évitait les quartiers musulmans pour aller à l’école, raconte-t-elle. « Les musulmans avaient des couteaux dans leurs sacs, je ne peux pas imaginer revivre cela », dit-elle, les larmes aux yeux, lorsqu'un magistrat évoque un retour. Elle a été persécutée deux ans, de 2013 à 2015, précise-t-elle. Toute sa famille, soit huit personnes, vivait dans 9 m2. Il faut la croire sur parole. Elle n’allait plus à l’école. Lorsque son père, chef d’état-major de Centrafrique, tombe en disgrâce, elle part pour la France. Arrivée à Paris en 2015, elle a attendu 2022 pour faire sa demande, ce qui surprend les juges. C’est sa tante qui l’a accueillie à son arrivée. « Je suis venue en France car elle [cette tante] voulait que je sois une bonne pour elle », explique la jeune fille. Où est la vérité ? Elle a été scolarisée normalement, passant son bac et suivant un BTS. Elle non plus n’a plus personne à Bangui : ses frères et sœurs vivent aux États-Unis et au Luxembourg, en France, au Sénégal. Là aussi, il ne semble pas y avoir de pièces au dossier.

Enfin, il y a son père, un ministre donc. Les juges ont tout de même des étonnements. L’homme a occupé des postes à hautes responsabilités en Centrafrique depuis 2015. On lui demande si son père faisait de la politique. « Je ne sais pas si être ministre, c’est faire de la politique », répond la jeune fille. Pour démêler le vrai du faux, les juges regardent sur Internet si le ministre existe bien. Il existe, mais il a occupé d’autres postes à responsabilités au gouvernement depuis 2015. Pour un bannissement... la jeune fille ne sait pas. Elle sait qu’il a deux épouses, sa mère et une autre femme, morte à Roubaix en France en 2015. Serait-elle ciblée si elle revenait huit ans plus tard ? La jeune fille assure que oui, dans des propos confus. Elle a reçu une balle dans le dos, révèle-t-elle. Vrai ? Personne ne vérifie.

Avec une belle maestria, son avocat prend le relais et explique, avec un fort accent africain, à quel point le retour de sa cliente lui ferait prendre des risques. « Renvoyer cette demoiselle, c’est mettre en péril sa vie », lance-t-il. Il demande l’annulation de la décision de l’OFPRA. La décision des juges de la Cour du droit d’asile est mise en délibéré le 22 février, même jour même heure que pour Mamadou. Bon courage aux magistrats pour démêler l’affaire !

La Cour nationale du droit d’asile statue en premier et dernier ressort sur les décisions de l’OFPRA. Mais les déboutés peuvent encore en appeler à la Cour de cassation et au Conseil d’État. Complètement débordés par le nombre, nos juges font face. Une affaire est parfois jugée par un seul juge. Parfois, cinq magistrats sont mobilisés durant une heure d’audience au moins sur chaque demandeur, sans parler de l’instruction au préalable, de la délibération et des taches administratives. Installée sur 16.000 m2, la Cour emploie directement 650 personnes (et 500 autres indirectement) pour un coût direct de 16,9 millions d'euros en 2022. Un dispositif devenu fou, inadapté, dépassé par l’ampleur des flux migratoires. Pendant les 25 ans qui ont suivi sa création en 1953, la CNCA, ancêtre de la Cour du droit d’asile, aura rendu environ 300 décisions par an… En 2022, elle a enregistré plus de 61.500 recours ! Soit un chiffre multiplié par 200 ! Et l'explosion n'est pas finie. 2022 est une année record si on excepte 2021 (68.243). In fine, un demandeur d’asile sur cinq devant cette juridiction se fera ouvrir les portes de la maison France, soit 21,5 % en 2022. Un chiffre à ajouter aux dossiers validés par l’OFPRA.

La député du  Edwige Diaz, qui a assisté à plusieurs audiences, en ressort surprise. « À aucun moment on ne vérifie si les demandeurs d'asile ont ou non un casier judiciaire », s'étonne-t-elle, tout en rendant hommage à des magistrats « pas complaisants et pas dupes »« L'existence d'un casier devrait être rédhibitoire, ajoute-t-elle. On ne leur demande pas non plus quelles sont leurs perspectives, ce qu'ils font pour devenir de bons Français, on ne vérifie pas s'ils pratiquent la langue alors qu'ils sont en France parfois depuis plusieurs années. » C'est tout un système qu'il faut remettre à plat avant les débats sur la loi Immigration prévus dans quelques mois.

Marc Baudriller

https://www.bvoltaire.fr/reportage-limpossible-verite-a-la-cour-nationale-du-droit-dasile-institution-submergee/

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