François Bernault, ancien président de chambre aux cours administratives d’appel de Marseille et de Lyon, estime dans une tribune publiée par Valeurs Actuelles, que la France doit se poser la question de la peine de mort :
La France connaît actuellement un grave problème d’insécurité qui en fait dans ce domaine la dernière de la classe des grands pays européens. Le taux d’homicide en France est plus de deux fois celui de l’Italie, le pays de la mafia ! L’Allemagne, la Grande-Bretagne, l’Espagne, la Pologne connaissent moins de criminalité que la France. En 2018, la France est le pays européen qui a, selon Eurostat, enregistré le plus grand nombre d’homicides : 779, devant le Royaume-Uni (754) et l’Allemagne (632). On note une progression quasiment continue de la criminalité depuis 2017 en France, où le nombre des homicides est passé de 917 à 1026 en 2021 et le rythme en a encore augmenté au premier trimestre 2022 selon les sources officielles du ministère de l’Intérieur. Il faut ajouter que les statistiques officielles françaises ne prennent pas en compte les décès causés par une agression, mais survenus quelques temps après les coups ou le choc.
Devant cette situation, on doit s’interroger sur l’opportunité d’un rétablissement, au moins temporaire, de la peine de mort. On doit s’interroger sur le moyen de protéger les vies innocentes qui disparaissent ainsi, à une échelle qui est désormais celle du millier d’individus. Le caractère massif de cette criminalité place notre pays dans une situation qui s’apparente à une situation de guerre. Nous, citoyens français, ne pouvons pas et ne devons pas nous y habituer, et nos dirigeants encore moins.
Devant l’ampleur et l’accroissement de la criminalité en France, devant la nature inhumaine et barbare de certains de ces actes (deux décapitations durant la période récente, meurtres d’enfants, de mineurs, de prêtres, défénestration d’une octogénaire juive, récidives de crimes, très nombreuses attaques au couteau, innombrables menaces de mort proférées contre des policiers, des enseignants, des juges, écrasement volontaire d’une jeune femme sous une voiture) le rétablissement de la peine capitale peut paraître souhaitable.
On pourrait l’envisager pour les meurtres les plus horribles, pour les auteurs et complices d’attentats sanglants, pour parer aux récidives de crimes. Son rétablissement serait susceptible de créer une atmosphère de dissuasion face à la tentation de la violence, et de faire que règne à nouveau, comme il n’y a pas si longtemps, la peur du gendarme et de la justice, et non la peur éprouvée par le gendarme et le juge. Par ailleurs, couplée à l’alternative « la mort ou l’exfiltration immédiate », elle permettrait l’expulsion définitive de criminels étrangers jugés irrécupérables. […]
Certains objecteront que le pape François a aboli la peine de mort dans le catéchisme. Le nouveau paragraphe 2267 se lit comme suit (avec une auto-citation du pape régnant) :
Pendant longtemps, le recours à la peine de mort de la part de l’autorité légitime, après un procès régulier, fut considéré comme une réponse adaptée a (sic) la gravité de certains délits, et un moyen acceptable, bien qu’extrême, pour la sauvegarde du bien commun. Aujourd’hui on est de plus en plus conscient que la personne ne perd pas sa dignité, même après avoir commis des crimes très graves. En outre, s’est répandue une nouvelle compréhension du sens de sanctions pénales de la part de l’État. On a également mis au point des systèmes de détention plus efficaces pour garantir la sécurité à laquelle les citoyens ont droit, et qui n’enlèvent pas définitivement au coupable la possibilité de se repentir. C’est pourquoi l’Église enseigne, à la lumière de l’Évangile, que « la peine de mort est une mesure inhumaine qui blesse la dignité personnelle » et elle s’engage de façon déterminée, en vue de son abolition partout dans le monde.
Jean de Saint-Jouin écrivait alors :
[…] Pour ceux encore qui, avec le Pape François, mettent de l’avant la dignité humaine qui défendrait de tuer tout homme, St-Thomas répond : Par le péché l’homme s’écarte de l’ordre prescrit par la raison ; c’est pourquoi il déchoit de la dignité humaine qui consiste à naître libre et à exister pour soi ; il tombe ainsi dans la servitude qui est celle des bêtes, de telle sorte que l’on peut disposer de lui selon qu’il est utile aux autres, selon le Psaume (49, 21) : « L’homme, dans son orgueil ne l’a pas compris ; il est descendu au rang des bêtes ; il leur est devenu semblable », et ailleurs (Pr 11, 29) : « L’insensé sera l’esclave du sage. » Voilà pourquoi, s’il est mauvais en soi de tuer un homme qui garde sa dignité, ce peut être un bien que de mettre à mort un pécheur, absolument comme on abat une bête ; on peut même dire avec Aristote qu’un homme mauvais est pire qu’une bête et plus nuisible. […]
[…] Il est tellement plus rassurant, pour l’homme déchu, de s’imaginer un monde où rien ne se paye. Où la peine n’existe que pour « réformer » le coupable. Où la stricte rédhibition des dettes est un conte de grand-mères. Un monde, bref, où la peine mort n’existe pas. Où les conséquences de nos actes sont magiquement effacées, par un coup de baguette magique, sans conséquences. C’est la rêverie hédoniste, l’adolescence élevé au rang de magistrat, qui s’invite dans le Temple.
Privé des échos répétés d’une liturgie signifiante et de la catéchèse du Salut, est-il réellement surprenant que l’homme cherche à cacher sa nudité?
Être contre la peine de mort, c’est au fond se mentir à soi-même. Si c’est refuser sa propre culpabilité ontologique et refuser la sentence de mort où figure son prénom, c’est aussi refuser la joie indicible de Pâques.
Mon frère. T’es-tu interrogé pourquoi tu réagis de manière si épidermique à cette question qui, au fond, devrait te laisser froid. Es-tu dans le corridor de la mort? A-t-on prononcé contre toi la sentence fatale? Alors pourquoi tant de passion à débattre de cette question?
Ne serait-ce pas qu’en fait, si! Tu sais bien, au fond de toi-même, que, comme moi, tu mérites la mort 100 fois. Jette-toi dans les bras du mystère et accepte ta culpabilité profonde. Ce mystère n’est pas néant ; Il est amour et vérité. Écoute la voie de l’Église qui psalmodie dans sa liturgie de toujours, avec tant de beauté, la Miséricorde de ce Dieu qui a réglé la note éternelle.
Tous, prions pour que nos contemporains puissent avoir accès, de plus en plus, à cette liturgie extraordinaire (sic) qui assure aux âmes la vraie joie de l’Évangile et à l’Occident, une culture qui soit digne de sa vocation.