Dans cette enclave, véritable ville dans la ville, on quitte le lit avant l’aurore. Et on n’a guère besoin que des politiciens viennent expliquer cette « France qui se lève tôt », Emmanuel Macron n’ayant pas hésité, en la circonstance, à paraphraser l’un de ses prédécesseurs plus connu pour sa vulgarité que ses bonnes manières.
Un de nos fidèles lecteurs, présent sur le site, nous confie : « On m’a parlé de sa petite expédition. Mais il s’est contenté de venir visiter les secteurs réservés à la viande. Comme je travaille dans le poisson et que nous nous levons encore plus tôt, on ne l’a pas vu. » Notre homme est-il impressionné par la visite présidentielle ? Pas plus que ça : « On a l’habitude. Les politiciens viennent se faire régulièrement photographier à Rungis une fois tous les trois ans. Et après, on ne les revoit plus. Remarquez, je les comprends. Ici, les gens ne votent pas ou ne votent plus. Et quand ils votent, c’est pour Marine Le Pen. Le seul qui était apprécié, chez nous, était un ancien ministre des Sports. Mais il ne venait que pour fréquenter nos bars et nos restaurants. »
Bref, le choc des mondes. Surtout quand Emmanuel Macron tente de vendre sa réforme des retraites à Rungis. Car ici, on se lève quand la nuit tombe, on travaille dur sans compter ses heures. Quant à la réforme en question, personne n’y comprend rien, surtout quand Jacques Attali, l’homme qui murmure à l’oreille des Présidents, en rajoute une couche : « La crise actuelle nous fait découvrir que les gens n’aiment pas leur travail. La clef, c’est de créer une société où on n’aurait pas envie de le quitter. Il faut un plan d’ensemble. »
Ce qui nous fait dire que, si du point de la pénibilité du travail, les ouvriers de Rungis se fatiguent avant l’âge, les journalistes peinent tout autant à traduire les oracles attaliens en langage vernaculaire, intelligible par le commun.
Pour le reste, le travail est-il une fin en soi ? Vu de manière biblique, il devint une malédiction pour Adam et Ève. De manière plus laïque, il n’est pas illicite d’ajouter que si l’on travaille pour vivre, on ne vit pas non plus pour travailler et qu’il serait bien idiot de vouloir perdre sa vie à la gagner.
La question est d’autant plus cruciale que notre société fait tout pour détruire cette même valeur du travail, multipliant les emplois inutiles ; ceux qu’on est incapable d’expliquer lors d’un dîner en ville. Entre « médias planeurs » et « chef de projet », mieux vaut finalement être plombier, couvreur, paysan ou menuisier ; voire même journaliste.
D’où le nombre grandissant de jeunes Français quittant leur « bullshit jobs » pour revenir dans le concret. Et ayant surtout compris qu’on ne peut désormais compter que sur soi, les multinationales mettant au rebus des quinquagénaires coûtant trop cher pour mieux exploiter ce nouveau sous-prolétariat que sont devenus les stagiaires. On peut, certes, railler ces jeunes urbains qui abandonnent souvent des emplois grassement rémunérés dans la finance pour s’en revenir à la France des terroirs et sauver ces fermes promises à la disparition, faute de descendance. Il n’empêche que voilà au moins de jeunes Français qui tentent de redonner un sens à une vie qui n’en a plus.
Nicolas Gauthier