Pourquoi parler aujourd’hui du Management totalitaire (Albin Michel), enquête inédite très fournie de la journaliste de Marianne Violaine des Courières ? D’abord parce qu’il apparaît clairement que ce sujet n’est pas étranger au mur de méfiance qui s’est construit entre les entreprises et les salariés français, aujourd’hui vent debout contre la réforme de retraites. Ensuite parce que la façon dont notre Président traite la start-up nation France relève pour une grande partie de ce management totalitaire dont a accouché le capitalisme anglo-saxon qui, peu à peu, chez nous, a pris le pas sur la « culture capitaliste sociale qui, jusqu’à présent, faisait l’honneur des grandes société du CAC 40 ».
La désindustrialisation, en faisant la part belle au secteur tertiaire, en a été le catalyseur : « On n’évalue plus le salarié selon son savoir-faire, ses compétences et ses actes, mais selon son comportement et ses particularités cognitives. » C’est le wokisme managerial : le salarié vaut moins par ce qu'il fait - qui, dans une économie financiarisée, ne peut être aussi objectivement évalué que dans une économie à forte dominante industrielle - que par ce qu'il est. Il n’est pas étonnant que ces techniques aient mis plus de temps à éclore dans nos pays latins catholiques, car elle s’inspirent de l’éthique protestante : la prédestination et la foi avant les œuvres. Tout cela se traduit « par une implacable sélection entre les forts et les faibles, entre les charismatiques et les timides, entre les empathiques et les asociaux » : « Les évaluations comportementales, les méthodes de management psychologisantes et l’infantilisation des personnes réduisent le libre-arbitre des employés. Au point de ne plus savoir penser par eux-mêmes. Au point d’accepter d’être des exécutants au service d’une institution qui pourrait les évincer à leur tour, au moindre faux pas. »
Et c’est bien sur ce terrain qu’est allé le gouvernement pendant la crise du Covid. Avec la technique managériale du nudge, le gouvernement a créé une obligation vaccinale de fait, dégagée de toute responsabilité, en modelant les comportements. De même, pour « emmerder » (sic), comme Emmanuel Macron l'a dit, les non-vaccinés, il a usé du mobbing, pratique permettant de se débarrasser d'un collaborateur sans les tracasseries juridiques d'un licenciement : on le met au placard et même au ban de l'entreprise, le dénigre, l'évince des réunions et des missions jusqu'à ce qu'il craque et démissionne (avec une rancœur tenace : ce n'est pas un instrument de paix pour la société…).
Pour que le tableau de ce « management totalitaire » soit complet, il faut rajouter une bonne dose d’hypocrisie. Les entreprises d’aujourd’hui ressemblent aux douairières d’autrefois, que se plaisait à décrire François Mauriac : au premier rang à la messe, donnant mille gages ostensibles de leurs vertus aux notables et au clergé, présidant les jurys de rosières, mais traitant par derrière avec mépris leur bonne, leur jardinier et leur bru. Il y avait le green washing - démonstration bruyante d’’éco-responsabilité -, voici le woke washing, pour le versant sociétal : LGBT, antiracisme, etc. Félicitées pour leur éthique par les agences de notation grâce à leurs ostensibles génuflexions devant le politiquement correct, les entreprises peuvent ensuite en toute bonne conscience malmener, pressuriser, jeter à la hussarde leurs salariés. On ne s’étonne plus, comme Violaine des Courières le souligne, que nombre de jeunes diplômés fuient aujourd’hui comme la peste ces grands groupes à l'atmosphère éminemment toxique.
Des pistes de solution ? La réindustrialisation de la France car, comme le note avec humour l’auteur, « on ne recrute pas un ingénieur en fonction de son quotient émotionnel ou de son profil de leader inspirant, mais bien pour sa capacité à construire un pont ou à développer des innovations », mais aussi la « préservation des sociétés à l’actionnariat familial, la valorisation des PME en région et du made in France ». Convenons que, pour le moment, ce n’est pas gagné.
Gabrielle Cluzel
https://www.bvoltaire.fr/livre-ce-management-anglo-saxon-toxique-qui-a-gangrene-nos-entreprises/