Téléologie et domination du Capital
Il faut ici faire appel à Marx. Et d’abord souligner son point faible : la téléologie, voire une certaine eschatologie. C’est ce qu’il y a de moins convaincant chez Marx. « Pour nous, écrit Marx, le communisme n’est pas un état de choses qu’il convient d’établir, un idéal auquel la réalité devra se conformer. Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l’état actuel des choses. Les conditions de ce mouvement résultent des données préalables telles qu’elles existent actuellement » (L’Idéologie allemande). On peut en douter. Pour le dire autrement, peut-on penser que le règne du Capital (entendons par là les rapports sociaux liés à un certain état et un certain agencement des forces productives) aboutisse nécessairement, même avec un coup de pouce politique, au communisme selon Marx, c’est-à-dire à la fin de l’aliénation ? Non. On ne peut valider la thèse de l’inéluctabilité historique de la marche vers le socialisme marxien comme travail conscient de la transformation de la nature et de soi-même. On peut craindre au contraire que le brouillard des âmes et le brouillage de la conscience de soi comme sujet historique ne s’étendent, par le développement du fétichisme de la marchandise.
Pas de marche assurée au dépassement du capitalisme donc. En revanche, le règne du Capital (de la Forme Capital) peut aboutir à une version apocalyptique du « communisme », cette fois au sens stalinien, ou au sens de la dictature chinoise, c’est-à-dire à l’étatisme absolu. Mais la différence entre le totalitarisme néo-libéral et les totalitarismes communistes, c’est qu’il s’agit d’un étatisme antinational avec les néo-libéraux, l’État ayant fusionné avec les multinationales et la finance, qu’il a déjà sauvées en 2008 (cf. notamment Alain de Benoist, Au bord du gouffre – La faillite annoncée du système de l’argent, Krisis, 2015). Nous vivons ainsi sous le « soleil noir du capital », comme écrit Anselm Jappe. Il est là non pour nous chauffer l’âme, mais pour brûler nos vies et pour nous aveugler par le crétinisme télévisuel des médias de grand chemin.
Quand Macron fait du saint-simonisme
Frédéric Rouvillois dit encore : « Comme Monsieur Jourdain faisait de la prose, Macron fait du saint-simonisme sans le savoir » (FigaroVox, 27 septembre 2020). Cela va plus loin que cela, et c’est encore plus grave que cela. L’utopie rationaliste et techniciste de Saint-Simon (le socialiste) se voulait un « nouveau christianisme » (1825). Avec Macron, c’est d’un antichristianisme ou d’un postchristianisme (car s’opposer suppose de connaître, ou d’être déçu, non d’être indifférent) qu’il s’agit. Ses mots d’ordre sont non seulement ceux du télétravail mais ceux de la télévie. Une vie désincarnée. « Éloignez-vous les uns des autres », « suspectez tout le monde (de ne pas être vacciné, d’être “un danger”) », « méfiez-vous de votre prochain », « isolez-vous » et, finalement, « préparez-vous à la vraie vie dans le monde libéral : la guerre de tous contre tous ». C’est le refus de toute incarnation. C’est l’effacement de toutes les images fédératrices. C’est la destruction de toutes les formes instituantes : école, églises, histoire de France, élections prises au sérieux, fêtes solennelles. C’est la victoire de « ceux qui ont créé leur start-up » sur « ceux qui ne sont rien » et qui pourtant sont tout le peuple. C’est la domination des arrogants improductifs voire nuisibles (les affairistes) sur les travailleurs, sur les producteurs.
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