L’alignement lamentable du président français sur l’Union Européenne et donc sur les Etats-Unis, ces chers alliés toujours à l’écoute des dirigeants européens grâce aux grandes oreilles de la NSA, symbolise cruellement le grand basculement. Il y eut un de Gaulle, allié de l’Amérique en difficulté à Cuba, mais libre d’en critiquer les dérives dans l’ex-Indochine. Il y eut un Sarkozy au moins pendant un temps, lors de la présidence française du Conseil européen, capable d’apporter une solution à la crise géorgienne en jouant les intermédiaires pacificateurs, comme il convient au chef d’Etat d’ une puissance nucléaire et membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU.
Il n’y a plus désormais qu’un Macron incapable d’user d’une nouvelle présidence tournante du Conseil européen pour éviter la guerre en Ukraine alors que c’était son devoir de le faire, pour empêcher le déclassement économique de l’Europe et de la France, pour écarter la menace d’une nouvelle guerre mondiale peut-être. Cette guerre est une guerre voulue depuis longtemps par les Etats-Unis, préparée par des fournitures d’armes sous l’écran de fumée des accords de Minsk que les dirigeants occidentaux avouent aujourd’hui n’avoir jamais eu l’intention de faire respecter par l’Ukraine, bras armé que l’Amérique sacrifie à ses intérêts dans un conflit par procuration.
Eviter la guerre était possible. Il suffisait depuis 2014, de laisser la Crimée réintégrer la Russie dont elle est une partie historique sans conteste, accorder une autonomie au sein de l’Ukraine pour les deux oblasts russophones du Donbass, ne pas intégrer l’Ukraine à l’OTAN. Vladimir Poutine est au pouvoir depuis plus de vingt ans. Si la reconquête de l’ex-URSS, ou l’invasion de l’Europe étaient ses projets, il n’aurait pas attendu aussi longtemps, ni multiplié les signes d’une volonté de rapprochement jusqu’à proposer d’intégrer l’OTAN pour lutter contre le terrorisme islamiste. Poutine est patriote. Il veut que son immense pays soit respecté et bénéficie toujours d’une zone d’influence notamment auprès des pays qui ont partagé son histoire et sa culture. Ce n’est pas le cas de la Pologne. Bien au contraire ! Mais c’est le cas de l’Ukraine dans sa plus grande partie. Washington a voulu la guerre qui coupe l’Europe de la Russie et les affaiblit toutes deux.
Mais l’origine du conflit et son déroulement font l’objet d’une désinformation systématique en Occident et particulièrement en France. La lecture qui en est imposée par une large majorité des médias est la suivante : “un tyran paranoïaque, atteint de multiples maladies mortelles, lance ses troupes contre un pays qui résiste héroïquement. Cette invasion prépare une agression contre ses anciens satellites afin de restaurer l’URSS et menace l’Europe qui doit se défendre en protégeant la démocratie ukrainienne dont l’avenir est l’intégration à l’OTAN et à l’Union Européenne, comme si l’appartenance à l’une devait logiquement s’accompagner d’une entrée dans l’autre. Mal préparée, l’attaque russe subit revers sur revers. Les pertes humaines colossales pour la Russie, et les armes souvent obsolètes dont elle va bientôt manquer tuent de pauvres victimes innocentes les rares fois où elles atteignent leurs cibles. Enfin son économie, frappée par les sanctions des puissances occidentales va s’effondrer.” Tout cela n’est qu’un tissu d’affabulations grossières fabriqué par Kiev sous le patronage américain. On reconnaît la signature avec les indispensables massacres imputés à l’ennemi pour le diaboliser, avec le retournement systématique des accusations jusqu’à l’absurde. Ainsi on impute la destruction des gazoducs Nordstream 1 et 2 aux Russes quand ceux-ci n’avaient ni les moyens ni les motifs pour le faire. Le grand journaliste américain Seymour Hersh a fourni récemment un scénario très plausible de l’opération qui impute la décision aux Etats-Unis, et l’opération en partie à leurs alliés scandinaves. La Russie avait intérêt à vendre son gaz à l’Allemagne, qui avait d’ailleurs intérêt à lui acheter. Il lui suffisait de couper le robinet en attendant des jours meilleurs, mais elle aurait donc préféré détruire un jouet utile qui lui a coûté une fortune ! Plus sérieusement, seule l’Amérique avait besoin de cette destruction afin de couper à long terme l’axe de la synergie entre les ressources énergétiques russes et l’industrie allemande. De plus, Biden l’avait explicitement annoncé. Depuis, l’Allemagne est entrée en récession, achète son gaz de schiste plus cher aux Américains qui accueillent avec joie les entreprises allemandes qui délocalisent plus près d’une énergie à meilleur coût. Les pays scandinaves, qui ont sans doute fait le travail, font l’enquête d’où la Russie, comme par hasard, est exclue.
Que penser des estimations des médias occidentaux sur les pertes russes ? Comment comprendre que l’armée russe qui a adopté une stratégie défensive appuyée sur une artillerie huit fois supérieure, et ménage logiquement les habitants des régions russophones qu’elle veut désormais annexer, puisse connaître des pertes supérieures à celles des Ukrainiens ? Ses retraits effectués sans laisser de prisonniers ni beaucoup de matériel n’ont eu pour but que de diminuer la longueur du front et lui permettre de réaliser des lignes de défense très solides sur lesquelles la contre-offensive ukrainienne exigée par les occidentaux est venue se briser, avec pour le coup, des pertes colossales. Son économie résiste et s’adapte. D’abord parce que son immense territoire est plein de ressources qui sont mises en oeuvre, ensuite parce que ses échanges se sont réorientés au profit d’une grande partie du monde qui n’applique pas les sanctions, et au détriment de l’Allemagne qui en souffre. Et quand ce pays est malade, c’est toute l’Europe qui est contaminée, et la France tout particulièrement.
L’échec de la stratégie des sanctions menées par l’Occident est un signe éminent du grand basculement. Chassée stupidement du G8, la Russie est membre des BRICS, ce groupe qui réunit avec le Brésil, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud 41% de la population mondiale et représente 31,5 % du PIB mondial contre 31,7% pour le G7. On voit des journalistes se gausser du classement des membres des BRICS par rapport à ceux du G7. C’est une illusion : les pays émergents l’emportent, la Chine passe en tête, l’Inde est 3ème et la Russie 6ème, si on tient compte non de la valeur nominale des monnaies, mais de leur parité en pouvoir d’achat : ils ont les ressources énergétiques, les matières premières, la production, et ils progressent. Il reste au G7 la puissance financière minée par les déficits, la lourdeur des administrations, le coût de la santé et l’importance de la consommation. Dix-neuf Etats souhaitent se joindre au groupe qui monte. Les échanges dans ce groupe en expansion vont se faire en monnaies nationales : pour le roi-dollar, c’est le commencement de la fin. Beaucoup commencent à voir dans le rapport des forces qui évolue comme une revanche sur l’histoire, comme une révolution planétaire qui mettra fin à la domination occidentale et remplacera l’unilatéralisme anglo-saxon par un multilatéralisme : c’est le grand basculement qui s’avance. la France a manqué sa chance d’accompagner ce mouvement historique pour se libérer de l’emprise qu’elle subit. La Russie appartient à la civilisation occidentale et à l’Europe. Il fallait que la France oeuvre pour une Europe des Nations comprenant la Russie : c’était le seul moyen pour que l’Europe ne soit pas la grande perdante du basculement actuel ! (fin)
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