Le Nasdaq 100 affichait ce 14 juillet le même score que le 14 janvier 2022 (et même 100 points de mieux en intraday à 15 720). Sauf que, le 14 janvier 2022, le rendement d’une obligation d’Etat américaine à 6 mois était de 0,50% de rémunération, tandis que celle à 10 ans affichait un rendement de 1,75%. Aujourd’hui, 18 mois plus tard, ces mêmes obligations d’Etats offrent respectivement 5,52% (502 points de base supplémentaires) et 3,83% (208 points) de rendement.
La dette fédérale américaine culminait alors vers 30 500 Mds$. Elle vient de passer le cap des 32 500 Mds$ ce weekend, soit 2 000 Mds$ de plus en 18 mois. Cette dette représente 122,8% de PIB américain (26 500 Mds$). Ce n’est d’ailleurs qu’une partie de l’histoire, puisque les dettes des 50 Etats américains s’élèvent à 1 260 Mds$, auxquels s’ajoutent 2 360 Mds$ de « dettes locales »… ce qui propulse le montant dû par des organismes garantis par l’Etat fédéral à 136,5% du PIB américain.
En parallèle, le coût du service de la dette, c’est-à-dire les intérêts dus par cet Etat fédéral, viennent d’atteindre les 618 Mds$ ce 16 juillet. C’est déjà le double de 2022, et ce coût devrait dépasser les 900 Mds$ d’ici fin 2023. C’est toutefois un plancher, qui suppose que la Fed stoppe la hausse du loyer de l’argent à 5,50% lors de sa prochaine réunion du 28 juillet. En effet, à 5,75%, la barre des 1 000 Mds$ d’intérêts annuels sera franchie.
Des dépenses, encore des dépenses
Les compteurs s’affolent côté déficit budgétaire avec 1 050 Mds$ de dettes supplémentaires (avec des dépenses fédérales en hausse de 15% en annualisé) depuis l’accord sur le relèvement du plafond de la dette il y a six semaines.
Pour financer tout cela, le programme d’émission de la Fed va dépasser les 170 Mds$ par mois d’ici fin 2023. Cela, tout le monde le sait, mais le récent décrochage du dollar (qui a perdu 2,4% au cours de la semaine du 9 au 14 juillet) va amplifier le creusement du déficit commercial américain, qui dépasse désormais les 1 060 Mds$ depuis janvier (dont plus de 300 Mds$ depuis fin mai face à la Chine, soit 50 Mds$ par mois).
Ces levées massives de capitaux vont s’effectuer de concert avec un assèchement de la liquidité aux Etats-Unis sans équivalent depuis fin 2018, lorsque Wall Street avait décroché de 20% avant que la Fed ne retourne sa veste sur les taux, puis recommence à imprimer massivement à partir de mi-septembre 2019.
Chaque Américain porte désormais 73 600 $ de dette fédérale sur ses épaules, tandis que les jeunes adultes doivent en moyenne 40 700 $ sous forme de prêts étudiants (l’encours de ce prêt dépasse désormais les 1 800 Mds$, c’est-à-dire à peu près l’équivalent du PIB du Brésil, de la Corée du Sud… ou de la Russie.
Escalade commerciale
A propos de la Russie, Janet Yellen a déclaré – en marge d’un sommet des ministres des Finances du G20 en Inde – que le soutien à l’Ukraine en guerre (les Etats-Unis rajoutent encore 1,5 Mds$ de livraison d’armes) est le « meilleur moyen d’aider l’économie mondiale ».
Cela n’aide pas beaucoup l’économie européenne, mais cela dope de façon certaine le lobby de l’armement américain, sans oublier BlackRock qui s’est déjà positionné comme principal financier de la reconstruction de l’Ukraine.
Et pour ceux qui l’auraient oublié, Janet Yellen n’a pas manqué de rappeler « qu’il était encore trop tôt pour lever les restrictions imposées à la Chine » dans le cadre de la guerre commerciale lancée par l’ancien président américain Donald Trump, et poursuivie par l’administration Biden. Selon la secrétaire au Trésor :
« Les droits de douane ont été mis en place parce que nous avions des inquiétudes concernant les pratiques commerciales déloyales du côté chinois, et nos inquiétudes concernant ces pratiques demeurent ; rien n’a vraiment été résolu. »
Elle conclut que les conditions ne sont pas encore réunies pour une désescalade de la guerre commerciale, laquelle a franchi un nouveau cran en début d’année avec l’embargo sur les semi-conducteurs haute performance à destination de la Chine.
Pékin a riposté en réduisant ses exportations de gallium et de germanium. La Chine dispose d’un quasi-monopole de raffinage de ces terres rares indispensables à la fabrication des batteries, de certains composants électroniques et des dispositifs d’éclairage à base de LED.
Pas de rechute des taux ?
Mais surtout, la Chine reste potentiellement le plus gros acheteur de la dette américaine avec ses 600 Mds$ d’excédents commerciaux à recycler… c’est à peu près l’équivalent de la moitié du programme d’émission du Trésor américain en 2022.
Et si le placement des 1 000 Mds$ de dette programmé d’ici Noël devient problématique, les taux américains pourraient ne pas réussir à se détendre… alors que les 42,5% de hausse du Nasdaq 100 depuis le 1er janvier reposent en grande partie sur l’espoir que le coût de l’argent va se mettre à baisser fortement au second semestre (d’où une inversion de courbe de taux historique de presque 200 points), répercutant avec 6 mois de décalage la spectaculaire décrue de l’inflation.
Dans 95% des cas, une telle inversion de courbe signifie en réalité : récession.
Si le score algébrique du Nasdaq est identique au 14 janvier 2022, les perspectives macroéconomiques n’ont donc rien à voir… avec une guerre en plus dans l’intervalle.
Rédigé par Philippe Béchade