Ce jeune homme, qu’on appelle ici Antoine, est d’origine albanaise. Âgé de 25 ans, il est en France depuis douze ans et, malgré des débuts difficiles avec sa famille (ils étaient à la rue), il a passé son brevet des collèges, puis un bac pro commerce et travaille dans la restauration depuis sa majorité. Parlant un excellent français, nous dit-on, il est serveur dans un restaurant de Limoges et cumule avec son auto-entreprise de nettoyage de véhicules. Soit une « double cotisation pour l’État », précise le quotidien. À noter, également, que son patron lui propose de reprendre le restaurant où il travaille, mais « il est hors de question que je m’endette à hauteur d’un million d’euros en rachetant l’affaire avec seulement un titre de séjour », dit Antoine qui, au vu de son dossier, apparaît donc comme le candidat idéal à la naturalisation.
Hélas pour lui, la préfecture de la Haute-Vienne en a décidé autrement. Pourquoi ? Parce qu’il est tombé sur une enquêtrice qui a multiplié les questions les plus pointilleuses, par exemple « expliquer qui était Édith Cresson » ou encore « citer le nom du ministre de l’Éducation nationale » ou « la figure historique qui a ordonné la construction de l’Arc de Triomphe ». Et pourquoi pas, me direz-vous. On pourrait le comprendre, en effet, si les Français eux-mêmes étaient capables de répondre à ces questions, mais on sait qu’il n’en est rien pour la majorité d’entre eux. Surtout, en quoi cela témoigne-t-il des capacités réelles et des efforts d’intégration du candidat ?
« J’ai compris que la personne que j’avais en face de moi n’allait pas donner suite à ma demande. Elle me posait des questions toujours plus dures pour que je ne puisse pas répondre », dit Antoine, qui avait pris soin de « réviser l’Histoire de France avec un de ses clients, ancien professeur d’histoire-géo ». Pire, il affirme que le compte rendu qu’en a fait l’enquêtrice est inexact : « Je peux totalement entendre que la préfecture ne donne pas droit à ma demande, c’est leur droit de refuser de me naturaliser », dit-il au Parisien, « mais je ne peux pas accepter que des choses fausses soient écrites sur le compte rendu et qu’on me pose des questions illégales ou injustes ».
Selon l’enquête du Parisien, il apparaît en effet que nombre des questions posées ne se rapportent pas au document officiel, celui des « connaissances attendues » répertoriées dans le « livret du citoyen ».
Cette histoire m’en rappelle une autre, preuve qu’on navigue ici entre absurdie et arbitraire.
Un ami américain, professeur d’université en retraite, marié depuis plus de quinze ans à une Française, a demandé, voilà quelques années, sa naturalisation française. Ce monsieur est un spécialiste reconnu du XVIIe siècle français en général et du théâtre de Molière en particulier. Sourcilleuse, la préfecture de la Haute-Vienne (la même que dans l’histoire citée plus haut) a dépêché deux enquêteurs chez le couple, au petit matin, histoire de voir s’ils faisaient chambre commune. C’est plus facile dans une vieille maison à la campagne que dans une HLM du 9-3. Madame était au jardin, c’est sa passion. D’où l’inquiétude de l’agent enquêteur… et les soupçons appuyés de l’enquêtrice lors du fameux « entretien d’assimilation » qui a suivi : « Partagez-vous les tâches ménagères ? » Réponse : « Oui, je fais la cuisine. » Elle lui demande alors sa recette de la blanquette de veau (sic !). Il s’exécute. Sourire satisfait de la dame : « Bien, c’est la recette de ma grand-mère. Si vous m’en aviez donné une autre, vous n’auriez pas eu vos papiers » (resic).