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Maréchal-Bardella : Droites parallèles ?

« Mais à quoi ils jouent ? Comme si on pouvait faire de la petite tactique sur un sujet aussi grave. » Nous étions en novembre 2022. Marion Maréchal s’agace devant son café crème, attablée dans un bistrot de Boulogne-Billancourt. La vice-présidente de Reconquête et ancienne députée FN de Vaucluse est vent debout contre l’amendement de sa tante proposant de constitutionnaliser la loi Veil. Un moyen de limiter la casse pour le RN, un sacrilège pour celle qui fut jusqu’en 2017 la tenante de la ligne conservatrice au sein du Front national. Le lendemain, Jordan Bardella martelait : « Nous sommes des défenseurs de la loi Veil. Aucun député du RN n’est opposé au droit à l’avortement. » Sur ce clivage anodin réside une des rares différences entre ces deux représentants de la nouvelle génération de la droite. Deux représentants qui vont s’affronter jusqu’au 9 juin 2024, jour des élections européennes. Et pour cause : ce 6 septembre 2023, prenant de vitesse l’immense majorité des observateurs, Éric Zemmour et son état-major officialisaient la nomination de Marion Maréchal comme tête de liste de Reconquête aux élections européennes.

Proches et inconnus

Ne demandez pas à l’un ce qu’il pense de l’autre. Ils vous répondront tous les deux qu’ils ne se connaissent pas. Du moins, pas personnellement. Et pourtant, on les croirait de la même génération même s’il y a bien plus que huit années d’écart entre eux. Entre l’éternelle jeune retraitée et l’éternel jeune premier, de l’eau a coulé et de la bouteille a été prise.

Hasard notable, Marion Maréchal venait d’être élue députée à l’Assemblée nationale l’année même où Jordan Bardella prenait sa première carte au Front national. Il avait 17 ans, elle en avait 23. « Il faut reconnaître que son ascension a été spectaculaire », concède Marion Maréchal. La rapidité de la carrière de Jordan Bardella, qui en à peine dix ans est passé de simple militant à président du parti, aura même réussi à éclipser l’aura de celle qui est vue depuis dix ans comme l’espoir de la relève à droite.

Admirée, même fantasmée, l’ancienne députée de Vaucluse avait tout pour incarner l’espoir d’une génération née de la Manif pour tous, tiraillée entre une droite républicaine qui passait déjà pour traîtresse et un RN perçu comme trop gauchiste et qui a agi pendant des années en repoussoir à conservateurs. Un parti dans lequel Marion Maréchal n’a jamais eu l’impression de parvenir à faire exister sa ligne, pourtant majoritaire au congrès du parti de 2014.

« C’est une jeune femme talentueuse, notamment en débat. Elle dispose d’une aura chez une certaine droite conservatrice », reconnaît Pierre Meurin. Le député RN du Gard, qui a la particularité d’avoir commencé avec Éric Zemmour après avoir été pendant presque trois ans le directeur des études de l’ISSEP, l’école de Marion Maréchal, est laudateur mais nuancé : « Jordan Bardella a réussi à conquérir le cœur de cette droite-là », analyse-t-il. Un moyen de considérer la liste Reconquête comme superfétatoire. D’autant que tous, au RN, savent que Bardella est en capacité de séduire l’électorat de Zemmour et Maréchal.

« La force de l’ambition contre celle des convictions »

Cette phrase de l’eurodéputé Jérôme Rivière a le mérite de résumer l’opposition entre les deux têtes de liste. Jordan Bardella cultive, sinon revendique cet aspect militant professionnel. Il n’a qu’un baccalauréat en poche et n’a pas pris la peine de passer une licence. À quoi bon s’échiner sur chaque marche quand on peut prendre l’ascenseur Le Pen ? Surtout lorsque Marion Maréchal en descendait au même moment ! Son départ du Front national au lendemain de la défaite de 2017, concomitamment à celui de Florian Philippot, a libéré l’horizon pour Bardella. Pendant que Marion Maréchal se retirait à Lyon, Jordan Bardella menait déjà le RN aux élections européennes. Pendant qu’elle rejoignait péniblement Zemmour, Jordan Bardella brillait sur les plateaux en ferraillant face à Olivier Véran et Gérald Darmanin.

Deux nuances de droite ?

« Il faudrait savoir, un coup je suis la vitrine ripolinée du RN, un autre je suis l’effrayant tenant d’une ligne identitaire. » En conférence de presse à la rentrée 2022, Jordan Bardella ne cache pas son agacement. La bataille pour la présidence du Rassemblement national faisait rage et les critiques des partisans de Louis Aliot, synthèse de la vieille garde et du clan d’Hénin-Beaumont, faisaient mouche chez les observateurs. Bardella, c’est le « zemmouro-compatible, le conservateur, l’identitaire. En bref, un homme de droite dans un parti qui prêche le ni-droite-ni-gauche », s’amusait un observateur neutre.

De quoi pousser la comparaison entre les deux profils ? La liste Reconquête est créditée entre 5 et 7 % selon les sondages, celle du RN est donnée en tête. « Il y aura un jeu médiatique qui n’arrangera pas Bardella. C’est rageant quand on pèse 26 d’être comparé à ceux qui font 6 », souffle un élu du RN. Paradoxalement, cela pourrait aussi gêner Reconquête. « Notre cible principale de ces européennes reste les LR, pas le RN », rappelle-t-on du côté des zemmouristes.

La droite. Une couleur politique qu’a toujours récusée Marine Le Pen et qui provoque parfois l’incompréhension sémantique de certains alliés européens. « Marine Le Pen est le leader incontesté et unique de la droite française », nous confiait Maximilian Krah, tête de liste de l’AfD allemande et allié historique du RN à Bruxelles. « Nous espérons que le camp de droite en France se réunira rapidement à nouveau », renchérit son conseiller. Vu d’Allemagne, on peine à comprendre les subtilités. Vu de France aussi, les fractures idéologiques entre les deux têtes de liste ne sautent définitivement pas aux yeux. Seuls leurs partis semblent les différencier vraiment. De fait, si Marion Maréchal et Jordan Bardella se trouvent des points communs, ils peuvent compter sur leurs alliés pour les battre en brèche. À l’instar d’Éric Zemmour, déclarant ce jeudi matin, sur CNews : « Nous ne sommes pas socialistes comme le RN », tout en accusant Bardella de « lui avoir pris ses idées ». Paradoxal et révélateur.

Pour l’heure, la campagne européenne de Marion Maréchal devrait être dirigée par… l’ancien directeur de la campagne européenne de Jordan Bardella en 2019, le Niçois Philippe Vardon. Un autre transfuge du RN passé chez Reconquête. Si, à ce stade, rien n’est officiellement décidé (« Je prendrai toute ma part dans cette campagne », nous assure cependant Vardon), la présence de l’ancien patron de la campagne de « Jordan » au premier plan de celle de « Marion » illustre cette proximité idéologique doublée d’un éloignement des deux appareils politiques.

« Jordan et Marion ont un ennemi commun », résume Meurin, « le mondialisme, le wokisme et le fédéralisme européen ». De quoi s’entendre ? « Jordan Bardella doit arriver en tête en juin », avertit Meurin, qui conclut : « Toute division favorisera Renaissance. » C’est tout le problème de l’équation.

Marc Eynaud

https://www.bvoltaire.fr/marechal-bardella-droites-paralleles/

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