L’impossible compromis
C’est l’autre bruit qui court, amplifié par Mediapart. En commission des finances, Jean-Philippe Tanguy a avancé sa position : d’accord pour s’abstenir, sous réserve que les aides européennes soient conditionnées à l’adoption de ce texte qui a pour ambition de fixer la trajectoire pluriannuelle des finances publiques jusqu'en 2027. En d’autres termes, le député de la Somme voudrait que le RN s’abstienne si le gouvernement accepte ses demandes, ce qui permettrait à Élisabeth Borne de se passer de l’utilisation du 49.3 . Un éventuel deal qui fait hurler la gauche. « Nous assistons à un drôle de manège », a raillé le député socialiste Philippe Brun, cité par Mediapart. « Une opposition déclarée qui mène une sorte de tango avec la majorité. » Autant dire que la gauche suit cela avec gourmandise. Du côté de la majorité, certains voient cette esquisse d’entente avec beaucoup d’appréhension.
Une position du président délégué du groupe RN qui fait grincer des dents jusque dans son camp. Débattu à l’ordre du jour mardi dernier, le point a été soulevé par le député du Tarn Frédéric Cabrolier, qui s’est inquiété d’une éventuelle abstention. Ce qui a provoqué un débat au sein du groupe. « On ne peut pas ne pas s’y opposer », s’alarme un député du groupe. « C’est un acte d’opposition indispensable », renchérit-il. Oui et non. Si les lois de finance sont traditionnellement et systématiquement rejetées par les oppositions, la loi de programmation des finances est une loi ordinaire. Donc, elle ne constitue pas un marqueur politique en soi. Néanmoins, le gain politique d’une telle opération n’est pas évident, pour certains. « Si on s’abstient, on tend un magnifique bâton à la gauche, murmure un député du RN. Ils nous accuseront de complicité vis-à-vis du macronisme et l’opinion ne comprendra jamais notre position. » Pas de véritable marqueur politique mais un sacré enjeu financier, car cette loi de programmation est directement corrélée au fameux plan de relance européen. « Cette loi de programmation, c'est un truc sans importance mais qui pourrait bloquer les fonds européens », précise Jean-Philippe Tanguy qui se rêverait donc en levier.
Alors, abstention ? Opposition ? Pour l’heure, la question ne semble pas avoir été totalement tranchée. « Marine attend le dernier moment pour dévoiler son jeu », croit savoir un élu du groupe. Ou alors de ménager le solaire député de la Somme qui donne l’illusion, à certains de ses collègues, de faire « cavalier seul ». Celui-ci est catégorique : « On s'abstiendra si le gouvernement accède à nos demandes, affirme-t-il, tout en précisant que ce n'était pas définitif ».
La majorité prise au piège ?
Quoi qu’il en soit, la majorité se retrouve à jouer un jeu dangereux. Si Élisabeth Borne revendique ne pas chercher d’accord avec le groupe de Marine Le Pen « sans, pour autant, exclure les extrêmes », a-t-elle affirmé, il lui importe de trouver le moyen de composer sans pour autant s’accorder. « On prend les macronistes à témoin », explique Jean-Philippe Tanguy, par téléphone. « Ils prétendent vouloir défendre l’intérêt national et faire des compromis mais, au final, ils mentent et n’en veulent aucun. » L’occasion est bonne, pour Tanguy, qui pourrait y voir une revanche sur le sabotage de sa commission d’enquête sur les financements étrangers par la majorité. C'est toute la problématique du trappeur : ne pas tomber soi-même dans son propre piège.
Marc Eynaud
https://www.bvoltaire.fr/49-3-le-curieux-ballet-du-rn-et-de-la-majorite/