Nous n’avons pas besoin de remonter très loin avant Louis XIV afin de trouver ce roi qui aura fait de Versailles son havre de paix. En effet, il s’agit simplement du père de Louis Dieudonné : Louis XIII le Juste. Ce dernier, afin d’échapper à l’usure du pouvoir, chercha sans relâche « un lieu fermé, obscur, ignoré encore de la masse des Français », selon Jacques Levron, dans La vie quotidienne à la cour de Versailles. Ce lieu de repos, le roi de France finit par le trouver en 1623, il y a tout juste quatre siècles, et décida d’y faire ériger son refuge. Le paysage est alors bien différent de celui d’aujourd’hui. Saint-Simon décrit l’endroit comme « le plus triste et le plus ingrat de tous les lieux, sans vue, sans eau, sans terre, parce que tout y est sable mouvant et marécages ».
Mais cela ne découragea pas Louis XIII. Si l’endroit est hostile, tant mieux : personne ne viendra le déranger. De plus, les bois sont giboyeux, la chasse est donc toujours bonne. C’est ainsi qu’en septembre 1623 est construit un simple pavillon de chasse. S’il semblait bien modeste par rapport au palais qui le remplaça bien plus tard, l’édifice était, à ses débuts, suffisant pour le roi. Cependant, ce dernier lança, en 1631, de nouveau travaux afin d’agrandir sa demeure. Sous les ordres de l’architecte Philibert Le Roy, l’ensemble architectural se vit composer d’un simple corps de logis s’élevant sur trois étages et accompagné de deux ailes donnant sur une cour. Le tout correspond aux bâtiments actuels donnant sur la cour de marbre. L’ensemble était entouré de douves, de jardins et d’allées d’arbres.
L’aspect du château sembla pourtant si dérisoire aux yeux des puissants qu’il fut surnommé la piccola casa par l’ambassadeur de Venise, ou encore, plus tard, le « château de cartes » par cette mauvaise langue de Saint-Simon. Louis XIII n’avait cependant que faire des critiques et des railleries. Versailles n’était un lieu ni de parade, ni de charme et encore moins de fête. La demeure ne possédait en effet aucune chambre pour la gent féminine. Le roi aurait même déclaré qu’« un grand nombre de femmes lui gâterait tout ». Le château était seulement destiné à l'usage des hommes, à la chasse, et restait une résidence secondaire, à la différence du Louvre ou de Fontainebleau. En conséquence, le monarque dépensa peu afin d’améliorer le confort de sa demeure. Ainsi, la construction de cette dernière n’aurait coûté qu'environ 250.000 livres, soit 8 millions de nos euros. Le coût d’entretien, quant à lui, n’aurait pas dépassé 40.000 livres en cinq ans, soit un million d’euros d’aujourd’hui. Nous sommes donc bien loin des 149 millions d’euros de budget dépensé seulement en 2022 afin d’entretenir le domaine, selon le rapport annuel publié par le château.
Louis XIII prit néanmoins plaisir à venir de plus en plus souvent à Versailles et fit même venir son fils en 1641. C’est ce moment qui rendit si importante l’existence de ce premier château de Versailles. C’est cet instant qui donna, plus tard, l’envie au Roi-Soleil de s’installer en ce lieu et de s’inscrire dans la continuité architecturale de son défunt père. Ainsi, devenu roi, Louis XIV ne fit pas raser l’œuvre de son prédécesseur. En effet, il ne cessa jamais de l’agrandir et de l’embellir, jusqu’à lui donner l’apparence qu’on lui connaît. Cette volonté de marcher dans les pas d’un père parti trop tôt peut même se remarquer dans le choix de la chambre royale : Louis XIV choisit de faire sienne celle qui avait été celle de Louis XIII. Si ce dernier avait vécu plus longtemps, qui sait ce que Versailles serait devenu. Jusqu’à la fin, sa demeure du repos et des plaisirs simples resta dans ses pensées : « Si Dieu me rend la santé […] je me retirerai à Versailles […] pour ne plus penser du tout qu’aux affaires de mon âme et de mon salut. »
Cependant, le Versailles du Roi-Soleil fut le miroir inversé de celui du Juste : un lieu rempli de femmes et de maîtresses là où il n’y en avait point, un château dédié aux fastes et au pouvoir alors qu’il fut construit pour la solitude et le repos, un édifice aux décors et aux jardins somptueux qui a remplacé l’austérité d’une demeure et d’une région autrefois sauvage.
Eric de Mascureau
https://www.bvoltaire.fr/septembre-1623-quand-versailles-netait-pas-encore-versailles/