Pour faire vivre le contre-pouvoir de l’Assemblée, l’auteur en appelle aux citoyens. Après nous avoir fait découvrir le fonctionnement du Parlement, ses règles et ses procédures, il propose un « Règlement citoyen » à l’usage de tous. Il donne ainsi les clefs d’une participation citoyenne au travail parlementaire pour que l’Assemblée nationale devienne, enfin, la Maison du peuple.
Après avoir été collaborateur parlementaire de Dominique Raimbourg, de 2007 à 2017, Philippe Quéré occupe la même fonction auprès de Boris Vallaud depuis 2017. Il a écrit de nombreux articles consacrés aux questions institutionnelles et parlementaires, publiés notamment dans Le Monde, Libération, Ouest-France et à la Fondation Jean-Jaurès.
Nous l’avons interrogé pour en savoir plus sur l’ouvrage.
Breizh-info.com : Pouvez vous vous présenter à nos lecteurs ?
Philippe Quéré : Après des études de philosophie à Nantes, j’ai travaillé dans l’enseignement, la coopération internationale, ainsi que le développement de relations entre l’enseignement supérieur universitaire et le monde de l’entreprise. C’est donc sans préparation particulière que les hasards de la vie m’ont conduit à travailler depuis plus de quinze ans maintenant comme assistant parlementaire de députés.
Breizh-info.com : Pensez-vous que la dynamique entre l’exécutif et l’Assemblée nationale s’est détériorée ces dernières années ? Si oui, comment ?
Philippe Quéré : Les institutions de la Vème République ne dessinent pas un équilibre parfait entre les pouvoirs exécutifs et législatifs. Mais dans un même cadre institutionnel, des pratiques différentes sont possibles et de nombreux autres éléments peuvent avoir une influence importante sur cet équilibre fragile. Ainsi la conception d’une présidence dite “jupitérienne” par le président de la République ne peut qu’affaiblir le Parlement. Cela peut venir aussi d’équilibre au sein du pouvoir exécutif. On se souviendra que la commission d’enquête sénatoriale sur l’affaire Benalla par exemple, avait pointé du doigt la pratique inédite de mise en place de conseillers communs à l’Elysée et à Matignon au début du premier quinquennat d’Emmanuel Macron. Cette pratique était apparue aux sénateurs comme une anomalie, d’autant que le Premier Ministre est responsable devant l’Assemblée nationale (qui peut le censurer), ce que n’est pas le Président de la République. Renforcer la Présidence face au Premier Ministre revient à affaiblir encore plus de Parlement.
Un autre point peut être regardé, à savoir la “sociologie” des députés. Nous assistons de toute évidence à une période de très grande faiblesse des partis politiques traditionnels, à droite comme à gauche. Souvenons-nous que Nicolas Sarkozy, qui avait été surnommé l’hyper président, avait malgré lui face à lui des députés de sa propre majorité qui étaient capables de lui tenir tête. Non pas en s’en faisant des opposants, mais en imposant un certain respect des prérogatives du Parlement. Avec l’émergence depuis 2017 de “mouvements politiques”, centrés sur une figure unique, le lien de dépendance entre les députés et le Président de la République a été renforcé. Si de plus, comme cela avait été théorisé et organisé par le mouvement En Marche en 2017, le choix est fait de faire élire des personnes sans aucune expérience politique, sans aucune expérience des institutions, ce renouveau qui peut paraître bienvenue, est “en même temps” une source de fragilité voir de faiblesse pour l’institution, qui a besoin de députés aguerris, capables de tenir tête à l’exécutif, pour faire vivre les pouvoirs du Parlement.
Breizh-info.com : Vous parlez d’une “faiblesse” de l’Assemblée nationale face à l’exécutif. Pouvez-vous citer des exemples concrets de cette faiblesse ?
Philippe Quéré : Il y a d’abord les faiblesses organisées par notre Constitution et le cadre normatif. L’essentiel de l’ordre du jour du Parlement est à la main du gouvernement, qui décide donc des textes qui y seront travaillés. Le temps de travail du Parlement est aussi à la main du Gouvernement qui peut choisir d’avoir recours à des procédures accélérées. De leur côté, les députés ont cette l’outil essentiel des amendements pour re travailler les textes proposés par le Gouvernement, mais sans compter sur un temps très limité, ce droit d’amendement est lui-même très encadré par notre Constitution, avec notamment l’article 40 qui interdit aux amendements parlementaire d’avoir le moindre impact budgétaire. Et la liste pourrait être allongée.
Breizh-info.com : La situation en France est-elle comparable avec d’autres démocraties similaires ?
Philippe Quéré : Le régime de la Vème République est assez atypique. D’autant qu’il a beaucoup évolué depuis 1958. Sur le papier, le Parlement est sensé voter la loi, contrôler le gouvernement et évaluer les politiques publiques. Mais nous voyons une initiative législative à la main quasi exclusive du gouvernement et une capacité de contrôle du parlement assez faible.
Il y aurait aussi à dire du côté des moyens humains et financier du Parlement au regard de ceux du Gouvernement. Dans cet “équilibre des pouvoirs”, le parlement, combien de divisions ? Nous ne sommes de toute évidence pas dans un régime présidentiel à l’américaine, mais nos institutions n’ont pas grand chose à voir avec les régimes parlementaires que l’on trouve dans beaucoup de pays européens.
Breizh-info.com : Pouvez-vous expliquer en quoi les articles 49-3, 47.1, et 40 de la Constitution française peuvent être perçus comme des instruments de réduction du pouvoir législatif ?
Philippe Quéré : L’article 49.3 est peut-être le plus symptomatique de ces articles qui déséquilibrent nos institutions. En y ayant recours le gouvernement peut faire “comme si” l’Assemblée nationale avait voté un texte, alors qu’il n’en n’est rien. Seul le vote d’une motion de censure contre le gouvernement peut alors contre balancer cela. Ce qui suppose qu’une majorité de députés la votent. Ceci n’est arriver qu’une fois depuis 1958.
L’article 47-1 a connu un petit moment de notoriété lors de la dernière réforme des retraites car le gouvernement a fait le choix d’utiliser une loi de modification du budget de la sécurité sociale pour porter sa réforme. Choix qui a été contesté par beaucoup de députés et de juristes, aucune réforme des retraites n’ayant jamais été précédemment portée par un tel type de loi. Mais le Conseil Constitutionnel a validé cette pratique inédite. Or l’article 47-1 concerne précisément les textes financiers et leur applique des règles d’examen spécifiques, avec notamment un temps maximum d’examen. De plus, alors que le gouvernement ne peut recourir à l’article 49.3 que sur un seul projet de loi par session, il peut par contre y avoir recours autant de fois qu’il le veut sur les textes budgétaires.
L’article 40, quant à lui, comme nous l’avons déjà indiqué précédemment, vient fortement encadrer la capacité des députés à amender, c’est-à-dire réécrire, les projets de loi du gouvernement. En effet, cet article rend quasiment impossible pour les députés que leurs amendements aient la moindre implication budgétaire. Faire la loi sans pouvoir modifier les équilibres budgétaires limite fortement le champ des interventions possibles des députés.
Breizh-info.com : Y a-t-il des cas où l’utilisation de ces articles pourrait être justifiée selon vous ?
Philippe Quéré : De fait l’article 47-1 trouve à s’appliquer automatiquement sur les textes financiers. Ce qui a pu prêter à discussion récemment c’est le choix du gouvernement d’avoir recours à un tel texte pour sa réforme des retraites, qui s’est de ce fait trouvée encadrée par les règles strictes de cet article.
S’agissant de l’article 40, là aussi, son application est quasiment automatique. Si une majorité considérait qu’ils sont problématiques, il conviendrait alors d’en proposer la modification à l’occasion d’une réforme constitutionnelle.
S’agissant de l’article 49.3, lui est à disposition du gouvernement. C’est donc un choix fait par celui-ci de l’utiliser ou non. Donc, en plus de savoir s’il conviendrait de le modifier dans sa rédaction (ce qui a déjà été fait dans de précédentes réformes de la constitution), ou de le supprimer complètement, la question de son utilisation est effectivement posée.
On se souviendra par exemple que lors du précédent quinquennat, le Premier Ministre Edouard Philippe y avait eu recours bien que disposant alors d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale, là encore sur un projet de réforme des retraites. L’argument pour justifier son utilisation avait été de considérer que les débats de l’Assemblée n’allaient pas assez vite.
Nous voyons donc que l’usage de cet article 49.3 est éminemment politique. Il appartient donc à chacune et chacun de se faire une idée de la justification de cet usage.
Breizh-info.com : Comment les citoyens ordinaires peuvent-ils s’engager plus efficacement dans le processus législatif selon votre vision ? N’est-il pas temps d’instaurer une démocratie directe en France, à la Suisse, pour remettre le pouvoir au peuple et non plus ni aux élus (souvent par une minorité) ni à un régime présidentiel ?
Philippe Quéré : En réalité, l’Assemblée nationale est déjà une institution ouverte. Alors que le Gouvernement travail essentiellement avec ses administrations, dans une opacité presque totale, les députés travaillent au quotidien avec les françaises et les français. C’est vrai de leur travail sur leur circonscription, où il vont rencontrer des personnes les sollicitant à leur permanence et les rencontrant lors d’innombrables évènements publics. C’est vrai lorsqu’ils sont à Paris pour le travail législatif où là ils vont auditionner en grand nombre les associations, syndicats, professionnels, usagers, experts, etc. dans les domaines sur lesquels ils travaillent les uns et les autres. Et les travaux de l’Assemblée nationale sont publics. En allant sur le site de celle-ci vous trouverez les comptes-rendus des travaux des commissions comme de séance.
Tout l’enjeu pour chaque citoyenne et chaque citoyen qui voudrait contribuer plus directement et personnellement aux travaux parlementaire, est de s’y repérer. Afin d’identifier les travaux sur lesquels intervenir et les quelques interlocuteurs à cibler de manière privilégiée. À l’Assemblée nationale comme dans toute organisation, est organisée une division du travail.
C’est ce que propose notamment le livre en faisant découvrir la procédure et l’organisation des travaux, afin de donner les clefs à chacune et chacun pour entrer à l’Assemblée.
Ça c’est pour faire avec l’existant. Vous posez aussi la question d’évolutions de notre régime politique. Je ne sais pas si nous pouvons dire que la Suisse est un régime de démocratie directe. Il est évident que des consultations des citoyennes et citoyens sont beaucoup plus fréquentes, mais il y a tout de même un régime représentatif avec des élus, un parlement, etc.
Une des convictions auxquelles ces quelques années de travail à l’Assemblé nationale m’ont conduit, est que nous pourrions assez facilement renforcer une alliance nouvelle entre les citoyens et leurs députés, ceci pour à la fois renforcer le parlement face au pouvoir exécutif et renforcer la vitalité de notre démocratie. Le mouvement des gilets jaunes a par exemple mis en avant l’idée d’un RIC (Référendum d’initiative Citoyenne). Je parlais précédemment de l’initiative gouvernementale qui était bien plus forte que l’initiative parlementaire dans la procédure législative. Il serait heureux je pense de faire converger une initiative citoyenne avec celle des députés. Alors oui, cela peut viser des référendum, pour lesquels au passage il existe une procédure de RIP (Référendum d’Initiative Partagée), trop lourde et complexe qu’il conviendrait de simplifiée. Mais les référendum, quoi qu’il arrive, resteront des outils exceptionnels pour faire la loi.
Par contre afin de permettre à chacune et chacun de pouvoir intervenir sur les sujets qui le concerne le plus directement, et afin de pouvoir entrer dans le fonctionnement quotidien du Parlement, l’initiative citoyenne me semblerait à développer autour d’un droit d’amendement citoyen, d’une droit de propositions de loi citoyennes, ainsi que de droit de questions citoyennes, pour aller sur la fonction de contrôle du Parlement.
Des expérimentations ont déjà eu lieu à l’initiative de quelques députés. Ces procédures pourraient facilement être instituées.
Breizh-info.com : Quels sont les changements législatifs ou institutionnels que vous souhaiteriez voir pour équilibrer la relation entre le pouvoir exécutif et l’Assemblée ?
Philippe Quéré : En plus de cette initiative citoyenne dont nous venons de parler et qui pourrait contribuer à ce nouvel équilibre entre l’exécutif et le législatif, sans entrer ici dans des discussions sans fin sur une réforme constitutionnelle complète (qui viendra peut-être), nous pourrions beaucoup changer les choses avec des modifications qui peuvent sembler presque de détail.
Nous avons vu l’impact du temps législatif, à la main du gouvernement. Nous aurions pu parler des pouvoirs donnés aux oppositions notamment pour des travaux de contrôle, qui sont aussi limités, alors que parfois les majorités s’auto limitent dans l’exercice de ces prérogatives car cela peut entrer en contradiction avec leur soutien politique au gouvernement. Des questions aussi essentielles ne supposent pas de modifications de la constitution. Des réformes du Règlement de l’Assemblée pourrait suffire à améliorer considérablement les choses. En attendant une réforme constitutionnelle…
Breizh-info.com : Comment les partis politiques et les médias peuvent-ils selon-vous contribuer à un meilleur équilibre des pouvoirs ? Doivent-ils s’effacer au profit des citoyens ?
Philippe Quéré : S’agissant des partis politiques, il me semble que deux questions importantes se posent. D’une part, leur représentativité. La France n’a jamais été un pays de partis de masse, avec peut-être l’exception pendant une période du Parti communiste. Mais encore, c’est à relativiser lorsque l’on compare avec d’autres pays européens. Mais aujourd’hui, nos partis politiques en sont globalement réduits à être des groupuscules. Par ailleurs, ceux-ci doivent contribuer à former des femmes et des hommes qui pourront exercer un mandat, certes pour soutenir l’orientation politique de leur famille politique, mais avec le soucis aussi, presque égal, de défendre l’institution dans laquelle ils auront à siéger. Je reviens sur ce point.
Pour que nous ayons un Parlement qui contrôle le gouvernement, nous avons besoin de députés qui font usage de leurs pouvoirs de contrôle. Cela suppose que des députés d’un groupe majoritaire, certes, soutiennent la politique de “leur” gouvernement, mais soient aussi capables d’être très exigent avec lui, aient le tempérament pour contrôler celui-ci, lui poser les questions qui fâches, et non de fausses questions qui sont autant de perches tendus pour de l’auto satisfaction comme nous le voyons trop souvent, majorité après majorité, dans les questions au gouvernement.
Propos recueillis par YV.
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