Les failles du système
Le silence règne dans la salle Georges-Clemenceau quand Mickaëlle Paty prend la parole. Lunettes sur le nez, elle lit sans frémir un discours longuement préparé. Cette commission d’enquête parlementaire, lancée au mois de juin dernier, Mickaëlle Paty l’a voulue et demandée. Si la Justice poursuit l’instruction pénale, la jeune femme attend que l’administration reconnaisse sa part de responsabilité dans la mort de son frère. En mai, dans un courrier adressé à Gérard Larcher, président du Sénat, elle écrivait : « La descente aux enfers de Samuel Paty aura duré onze jours et nul ne pouvait l’ignorer. […] J’attends que l’Éducation nationale et l’Intérieur apportent des preuves de la protection qu’ils auraient apportée à mon frère et, à défaut, de comprendre pourquoi il n’a pas été protégé. » Son objectif : pouvoir ainsi « demander des comptes aux personnes responsables de la mauvaise gestion, du traitement erroné de la menace pesant sur mon frère et du défaut de prévoyance qui en a découlé, facteurs qui sont à l’origine de sa mort ».
Cinq mois plus tard, après Pap Ndiaye, ancien ministre de l’Éducation nationale, et Sylvie Retailleau, ministre de l’Enseignement supérieur, Mickaëlle Paty a donc enfin l’occasion de s’exprimer publiquement. Dans un discours d’une trentaine de minutes, la sœur de Samuel Paty pointe une à une les failles qui ont mené à l’ignoble assassinant du professeur d’histoire-géographie. « Il me semble nécessaire d’évoquer les excuses qu’on a demandé à Samuel de formuler auprès de ses élèves. […] On se retrouve avec des élèves victimes et le professeur devenant coupable aux yeux de tous, même de certains de ses collègues », s’indigne en premier lieu la jeune femme. Pour elle, cette première étape entraîne l’isolement de l’enseignant, livré à ses bourreaux. Et parce qu’il était jugé « coupable », Samuel Paty n’a pas pu bénéficier de la protection fonctionnelle à laquelle il aurait dû avoir droit, regrette sa sœur. « Même s’il était très inquiet, il croyait en la justice. Il pensait qu’à la fin, il aurait gagné grâce à la justice », ajoute-t-elle. Malheureusement, il n'en n'aura pas le temps. Devenu un « paria », lâché par sa hiérarchie, pointé du doigt par des élèves, Samuel Paty sera décapité à sa sortie du collège, le 16 octobre 2020. « Le dernier condamné à mort pour blasphème en France n'est plus de La Barre, exécuté en 1766 à Abbeville. C'est désormais Samuel Paty, en 2020 à Conflans-Sainte-Honorine » déplore impuissante la jeune femme.
La mort de Samuel Paty n'aura servi à rien
Malgré ce drame, trois ans plus tard, rien ne semble avoir été fait - ou, du moins, pas suffisamment fait - pour que plus jamais un professeur n'ait à subir cela. Côté exécutif, on assure que « l’État était au rendez-vous » et que « rien » n’aurait permis d’éviter cet assassinat. Des propos inaudibles pour Mickaëlle Paty, qui persiste à dénoncer « un défaut de moyens, à moins que l’objectif visé n’était pas de sauver [son] frère ». Côté enseignants, l’omerta reste de mise. À un sénateur qui l’interroge sur les difficultés pour rebaptiser un établissement « Samuel-Paty » ou pour rendre hommage au professeur assassiné, Mickaëlle Paty répond que la peur est toujours présente. Peur d’être à son tour la cible des islamistes, d’une part. Mais, également, peur d’être pointé du doigt au sein de l’institution. À Conflans-Sainte-Honorine, le projet de renommer le collège de l’enseignant est toujours au point mort. Las, Mickaëlle Paty n’y croit plus. « Je pense qu’ils trouveront toujours une excuse [pour ne pas le faire] », se désole-t-elle.
Quand ils ne quittent pas le navire, les professeurs, qui partagent pour beaucoup un profond sentiment de solitude, font le choix de s’autocensurer. En cause, un « sentiment d’impunité » - alimenté par l’absence de réelles sanctions – et un entrisme islamique toujours plus puissant. La jeune femme en veut pour preuve l’offensive des abayas au sein des écoles. Selon elle, nul besoin de tergiverser : « Les abayas et les qamis affichent ostensiblement l’appartenance religieuse de ceux qui les portent. »
La mort de Samuel Paty aura-t-elle servi à quelque chose ? Y aura-t-il un après Samuel Paty ? Mickaëlle Paty n'en est pas sûre. « Si la mort de mon frère avait servi à quelque chose, Dominique Bernard serait encore là », glisse-t-elle. La sœur de Samuel Paty retire ses lunettes et ajoute, en guise d’avertissement : « Perdre l’école, ce n’est pas perdre une bataille : c’est perdre la guerre. » Auprès des journalistes, Laurent Lafon salue « un témoignage fort empreint de beaucoup de colère ». Dehors, la sonnerie de l’Hémicycle retentit. Il est temps de mettre fin aux échanges.
Clémence de Longraye
https://www.bvoltaire.fr/je-dedie-ce-texte-a-dominique-bernard-les-mots-dignes-de-mickaelle-paty/