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Guérilla urbaine entre nationalistes et antifascistes grecs : « la stratégie de la tension s’est adaptée à l’air du temps ». Interview de Gabriele Adinolfi

En Grèce, les antifascistes se sont invités à la commémoration en l’honneur de deux jeunes militants d’Aube Dorée, Giorgos et Manolis, assassinés le 1er novembre 2013. Une auto-invitation qui a bien entendu engendré des heurts d’une violence extrême entre les deux groupes. Nous avons interrogé Gabriele Adinolfi, auteur animateur de l’Institut Polaris et l’un des inspirateurs de Casapound qui a bien connu ce genre de climat insurrectionnel.

Un nationaliste arrose les antifascistes avec un bidon d’essence, qu’il vient de leur prendre pendant l’assaut.

Breizh–Info : Les images des récents affrontements entre nationalistes et antifascistes grecs ne peuvent pas ne pas rappeler la période des années de plomb que vous avez bien connue, quand, dans les années 70, la tension politique était poussée à son paroxysme et avait débouché sur une véritable guerre de rue entre rouges et noirs, le développement de la lutte armée et la multiplication des actes de terrorisme. La situation actuelle en Grèce est-elle comparable ? 

Gabriele Adinolfi : Je pense qu’il est nécessaire de contextualiser la situation grecque. Là-bas, la société est très violente, tant en politique qu’au sein des groupes de supporters, non seulement dans le football, mais aussi dans le basket-ball ou le volley-ball, et ce que nous considérons comme exagéré est en réalité la norme locale. De plus, les images qui ont choqué les gens sur Internet sont celles où l’on voit un groupe d’agresseurs tentant de brûler vifs des agressés dans un wagon de métro. Cependant, la réalité est différente : il n’y avait pas d’essence dans le bidon, mais un liquide pour les climatiseurs, il s’agissait d’une ruse pour faire vaciller la première ligne des adversaires en leur faisant peur. En réalité, nous avons assisté à un seul instant d’un affrontement qui a vu douze jeunes de la droite radicale prendre le dessus sur la première ligne des autonomes, quatre fois supérieurs en nombre. Une défaite reconnue publiquement par l’extrême gauche grecque. 

Cet affrontement a eu lieu le 1er novembre, à l’occasion du dixième anniversaire de l’assassinat de deux militants d’Aube dorée, Giorgos et Manolis, que l’extrême gauche voulait empêcher de commémorer. 

En ce qui concerne l’extrême droite, la situation est particulière. Après la dissolution d’Aube dorée et l’arrestation de toute sa direction, qui a été lourdement condamnée, le pouvoir a favorisé la naissance de trois partis qui se partagent le vote celui interdit. Il s’agit de “Solution grecque”, un parti populiste classique : de “Nike” (Victoire), un parti réactionnaire dirigé par le clergé orthodoxe ; et des “Spartiates”, des souverainistes patriotes. Les trois formations qui se partagent la force électorale d’Aube dorée se déclarent antifascistes, ce qui a créé un écart avec la base, de sorte que le militantisme s’est fragmenté et s’est réorganisé en une multitude de petits groupes. 

Quant à l’extrême gauche grecque, en particulier celle de tendance anarchiste, elle a sa propre tradition d’attentats et d’assassinats. Le double assassinat d’il y a dix ans, dont les complices et les instigateurs n’ont toujours pas été identifiés, est probablement d’origine anarchiste. 

La droite au pouvoir contribue à susciter d’étranges idées au sein des factions les plus extrêmes de la gauche, ce qui entraîne une augmentation des affrontements et des actes de dévastation. Mais nous restons – pour l’instant – dans la norme grecque. 

Breizh-Info : Bien qu’engagé idéologiquement, avec un ennemi politique tout à fait défini, vous avez toujours été critique à l’égard de la guerre que se menaient rouges et noirs. Vous aviez même des contacts avec des représentants des Brigades Rouges, qui semblaient partager votre scepticisme sur les violences entretenues. Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs votre position ? 

Gabriele Adinolfi : Je ne voudrais pas prêter à confusion. Nous n’avons jamais cherché d’alliance avec l’extrême gauche ni prêché aucune forme de pacifisme. Nous étions convaincus que la division du peuple en factions et en classes était une folie et que l’extrême gauche était instrumentalisée dans ses actions subversives par diverses oligarchies au pouvoir. C’est ce qu’il se passait réellement, mais l’historiographie, dominée par les communistes, a transmis l’inverse, faisant apparaître l’extrême droite comme une marionnette de la CIA, de Gladio et du gouvernement, alors que c’était exactement l’inverse qui se vérifiait. D’ailleurs, la haine antifasciste a engendré les premiers pas de la lutte armée rouge, tandis que la haine anticommuniste ne s’est jamais manifestée. Pour nous, les communistes faisaient partie intégrante d’un système erroné, et non notre raison d’être, comme c’était souvent le cas, et aujourd’hui encore davantage, dans l’esprit de la gauche. 

Dans ces conditions, il était nécessaire d’affirmer et de défendre nos espaces vitaux et même notre propre vie contre la menace armée de la gauche radicale : nous l’avons fait et nous ne le regrettons certainement pas. En ce qui nous concerne nous, membres du mouvement Terza Posizione (Troisième Position), qui étions en première ligne pendant ces années tumultueuses, nous avons toujours réussi à répondre de manière efficace aux attaques, évitant que l’escalade ne se termine par un mort, ce qui était vraiment difficile à l’époque. Tout au long de notre existence, nous n’avons jamais perdu une bataille de rue ni dans un de défis plus insidieux, tels que les attentats à nos domiciles. Nous avons remporté chaque partie. 

Cela, c’était à l’époque. Les relations que j’ai eues par la suite avec certaines personnalités de l’ultragauche découlent du fait que j’ai toujours respecté tout adversaire et tout ennemi, à condition qu’il soit loyal, surtout si sa foi lui présentait un compte existentiel, comme l’exil ou la prison.

Il convient également de noter que de nombreux membres de la gauche historique ont réalisé qu’ils avaient été utilisés et trahis, ce qui les a poussés à une profonde autocritique. C’est ainsi qu’est née l’initiative de l’un des chefs des Brigades Rouges, Valerio Morucci, qui en 2009 a envoyer depuis CasaPound un appel à ses camarades pour qu’ils ne tombent plus dans le piège de l’antifascisme. 

 Breizh-Info : Les militants d’extrême-gauche de votre époque différent-ils de ceux qui, aujourd’hui, sont rassemblés sous l’appellation d’antifascistes, de Black bloc ou d’autonomistes, bref, adeptes de la devise “tuer un fasciste n’est pas un crime” ? 

Gabriele Adinolfi : La devise “tuer un fasciste n’est pas un crime” est particulièrement ressentie aujourd’hui au sein des groupes antifa pour la simple raison que le schéma mental et émotionnel dans lequel ils sont enrôlés leur explique qu’il existe un méchant qui empêche la société d’être heureuse : le fasciste, qui, selon eux, méprise les femmes et les maltraite, est homophobe, raciste, en d’autres termes qu’il est le Mal. La distorsion des années de plomb, durant laquelle on a déshumanisé l’autre, légitimant voire imposant de le tuer, s’est même aggravée. Cependant, il y a une énorme différence par rapport à cette époque : aussi enfants gâtés et choyés qu’ils soient, les antifa forment une minorité non enracinée, n’appartenant à aucun mouvement social vital. Ils n’ont donc pas derrière eux des personnes motivées à se battre et à mourir. C’est pourquoi il est peu probable que la violence dégénère en une spirale infinie et qu’un meurtre en entraîne cent ou mille autres. Il n’y a pas autant de candidats à la tragédie que ça. Nous l’avons vu il y a dix ans en Grèce : il n’y a pas eu de répliques. 

Je dirais que c’est un aspect spécifique de la société atomisée et paranoïaque d’aujourd’hui. Même les attentats islamistes en Europe ont été espacés dans le temps et n’ont pas produit de situation comparable à celle de l’Italie des années 70. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de stratégie de la tension, mais qu’elle s’est adaptée aux temps, à la fragmentation et à la massification engendrées par Internet. 

Nous sommes en présence de tous les mécanismes envisagés par Eric Werner sur la guerre civile latente, bien que minoritaires. Nous ne pouvons pas dire si la restructuration internationale et le désastre démographique ne reproduiront pas des situations de terrorisme diffus, mais s’ils surviennent, ces actes ne se manifesteront plus selon les schémas idéologiques et politiques des années 70. Il y a un quart de siècle, les appareils américains expliquèrent que le rôle des formations terroristes communistes serait remplacé par d’autres, et ils ont en effet plutôt tendance à exacerber les fondamentalismes religieux. Ce qui en résultera, nous devons encore le découvrir. Ce qui se passe à Gaza pourrait bien déclencher des effets sanglants d’une toute autre intensité et d’une toute autre fréquence que ce que nous avons connu jusqu’à présent. 

Propos recueillis pas Audrey D’Aguanno

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