D’Antoine de Lacoste dans Fideliter :
Le bombardement de la Serbie, décidé par les Américains en 1999 pour obliger ce pays à abandonner sa province du Kosovo, a donné lieu à une manipulation des faits d’une ampleur rare.
Les principaux médias occidentaux, au garde à vous comme il se doit, ont relayé en cœur cette fable selon laquelle la Serbie n’avait plus de légitimité à conserver le Kosovo dans ses frontières. En effet, au fil du temps, d’une immigration incontrôlée et d’une démographie plus dynamique, les immigrés albanophones et musulmans sont devenus majoritaires au détriment des Serbes.
Les Américains, docilement suivis par la France, l’Angleterre et l’Allemagne entre autres, ont alors décidé de transformer ce fait démographique en droit de sécession.
L’histoire du Kosovo se confond pourtant avec celle de la Serbie.
UN PAYS TÔT CHRISTIANISE
Comme presque partout ailleurs, les Balkans firent l’objet de multiples invasions dans les premiers siècles de l’ère chrétienne. Illyriens, Romains, Avars, Slaves se succédèrent. Puis, la grande lutte entre Byzantins et Bulgares à partir du IXe siècle domina toute la région.
Les chroniques byzantines mentionnent l’existence des Serbes dès le VIIe siècle. Convertis au christianisme, grâce notamment à Saints Cyrille et Méthode, ils vécurent à l’ombre de Constantinople qui les encouragea à peupler les Balkans après le départ des barbares Avars.
Le premier prince serbe de renom, Jovan Vladimir, fut assassiné par les Bulgares en 1016. Il est aujourd’hui révéré comme saint par l’Eglise orthodoxe. Ses reliques font l’objet de nombreux pèlerinages dans la cathédrale orthodoxe de Tirana et la croix qu’il avait avec lui le jour de son assassinat est exposée une fois par an dans un village du Monténégro.
L’affaiblissement progressif de l’Empire byzantin et le début de la conscience nationale serbe engendra de nombreuses tentatives de secouer le joug grec et de s’affirmer comme une nation indépendante.
Stefan Nemanja fut le fondateur de la dynastie royale qui devait mener la Serbie à l’indépendance. Rome fut un soutien précieux et le pape Honorius III, en octroyant au fils de Stefan (qui s’appelait également Stefan) le titre de roi de Rascie, permit à la future Serbie de s’émanciper définitivement de Byzance. La Rascie englobait l’actuel Monténégro ainsi qu’une partie de la Croatie et de l’Herzégovine.
UNE GLORIEUSE MONARCHIE
Plusieurs rois prénommés Stefan se succédèrent et agrandirent progressivement le royaume. Un tournant décisif se produisit en 1330 lorsque les Byzantins, alliés cette fois aux Bulgares, attaquèrent la Serbie qui s’était mêlée de la succession dynastique à Constantinople. Les Serbes gagnèrent la bataille de Velbajd qui marqua le début de la domination serbe sur les Balkans.
Le règne de Stefan Douchan (1331-1355), qui se fit même couronner empereur, permit ensuite au royaume de conquérir l’Albanie et la Macédoine ainsi que le nord de la Grèce actuelle. Mais la faiblesse des souverains suivants entraîna l’affaiblissement du nouvel empire qui se fissura, certains chefs locaux profitant de cette conjoncture pour s’en détacher.
L’invasion turque mit, hélas, tout le monde d’accord. Elle se fit progressivement et fut particulièrement sanglante. Les Turcs remportèrent en 1371 la bataille de la Maritsa (en Grèce) qui leur permit de conquérir la Macédoine et la Bulgarie. L’Empire serbe disparut alors définitivement. Puis un prince serbe, Lazar Hrebeljanovic, parvint à s’allier avec d’autres princes pour contrer l’immense armée ottomane.
LUTTE CONTRE LE CROISSANT
L’affrontement décisif eut lieu en 1389. Ce fut la célèbre bataille de Kosovo Polje, le champ des merles. Lazar était parvenu à rallier des Hongrois, des Albanais, des Bosniaques, des Croates. Après des heures de batailles indécises, les Turcs l’emportèrent malgré la mort du sultan Mourad Ier, tué dans sa tente par un Serbe. Lazar et les princes serbes furent faits prisonniers et décapités sur le champ de bataille. Il n’y eut alors plus d’aristocratie serbe.
Les Ottomans avaient cependant subi d’énormes pertes et ils durent attendre 1459 et la prise de Smederevo, au cœur de la Serbie actuelle, pour assoir solidement leur pouvoir.
Cette occupation dura jusqu’en 1804 et fut très dure. Les Turcs tentèrent constamment de convertir les Serbes à l’islam. Peu le firent, contrairement aux Albanais (après la mort du grand Skanderberg en 1468) et aux Bosniaques, et beaucoup émigrèrent en Autriche-Hongrie. Le Kosovo, foyer important de résistance aux Ottomans perdit ainsi une grande partie de sa population. Certains villages se convertirent à l’islam pour ne plus payer l’impôt des chrétiens, le kharadj.
A partir de 1804, plusieurs révoltes serbes éclatèrent contre l’occupant. Ce fut une longue guerre de libération sous la houlette des princes de la famille des Karageorges et des Obrénovic. De nombreux Serbes de Hongrie se joignirent à ce vaste mouvement dont Belgrade fut le foyer.
LIBERES DU JOUG OTTOMAN
Tandis que d’incessants combats se poursuivaient, églises et monastères furent reconstruits dans la ferveur. Finalement, en 1815, l’insurrection menée par Milos Obrenovic aboutit à l’autonomie de la Serbie dont il fut élu Prince. Le grand reflux de l’Empire ottoman se poursuivit tout au long du XIXe siècle et, comme une confirmation, le Congrès de Berlin accorda l’indépendance à la Serbie en 1878. Quatre ans plus tard, Milan Obremovic devint roi de Serbie sous le nom de Milan Ier de Serbie.
Mais le Kosovo resta encore sous domination turque. Il constituait en quelque sorte la frontière entre le sud de la nouvelle Serbie et le nord de l’Empire ottoman. C’est alors que des milliers d’Albanais, ne voulant pas vivre dans le nouveau royaume serbe, émigrèrent vers le Kosovo. Ce fut le début d’un processus fatal.
Après la première guerre mondiale, le Kosovo put retrouver ses origines serbes et intégrer le royaume des Serbes, Croates et Slovènes, nouvellement créé et regroupant la Serbie et les anciennes régions de l’Empire austro-hongrois : Croatie, Slovénie, Bosnie-Herzégovine. Le Monténégro, plus au sud, fit également partie du regroupement.
Le roi serbe, Alexandre Ier transforma l’entité existante en Royaume de Yougoslavie en 1928. L’invasion allemande de 1941 mettra fin au royaume qui fut démantelé. Le Kosovo fut alors inclus dans l’Albanie passée sous contrôle italien.
PASSE ENTRE TOUTES LES MAINS
La victoire du communiste Tito (Josip Broz de son vrai nom) contre les Allemands, lui permit de reconstituer une Yougoslavie récupérant tous les territoires de la monarchie, y compris le Kosovo qui bénéficia toutefois d’un statut d’autonomie. Tito le Croate, désireux d’affaiblir les Serbes, détacha même par la suite le Kosovo de la Serbie. Le Kosovo devint ainsi une province à part entière.
La mort de Tito va modifier le sort du Kosovo. Son successeur, le Serbe Slobodan Milosevic supprima l’autonomie du Kosovo en 1989, ordonna la dissolution de son parlement et de son gouvernement et interdit la langue albanaise. Les Albanophones réagirent et proclamèrent l’indépendance du Kosovo dont le président quasi-clandestin fut Ibrahim Rugova.
L’embrasement des Balkans et la pluralité de guerres qu’il engendra n’empêcha pas la reconnaissance internationale de l’appartenance du Kosovo à la nouvelle République fédérale de Yougoslavie créée par Milosevic en 1992. En 1995, les accords de Dayton furent signés à Paris par les présidents serbe (Milosevic), croate (Franjo Tudman) et bosniaque (Aliza Izetbegovic). L’Américain Richard Holbrooke parraina ce traité qui mettait fin à la guerre en Bosnie-Herzégovine. Bien que signés à Paris, ces accords s’appellent Dayton, nom de la base américaine où ils furent négociés entre les différentes parties.
La première partie du plan américain était ainsi accompli en démantelant la Yougoslavie par les indépendances successives de la Slovénie, de la Croatie, de la Bosnie-Herzégovine et de la Macédoine. La question du Kosovo ne fut pas abordée. Cela viendrait plus tard, tout comme l’indépendance du Monténégro en 2006.
L’objectif était clair : affaiblir la Serbie, trop proche de la Russie, et rapprocher les nouveaux pays de l’Union européenne et de l’OTAN, les deux fonctionnant de pair comme chacun sait.
LE FAUX MASSACRE DE RACAK
La seconde partie du plan concerna cette fois le Kosovo.
L’Armée de libération du Kosovo, la sinistre UCK, entra en scène. Rejetant l’ancien président clandestin Rugova, jugé trop modéré, elle lança l’insurrection contre la Serbie. Attentats, assassinats de policiers et soldats serbes, combats sporadiques, tout y passa. Les armes et les financements ne manquèrent pas grâce aux services secrets occidentaux. Les exactions contre les civils serbes se multiplièrent. On peut lire à ce sujet l’excellent livre du colonel Hogard, L’Europe est morte à Pristina.
Mais cette insurrection n’ayant guère de chances de vaincre l’armée serbe, les occidentaux décidèrent de passer à la vitesse supérieure. Ils organisèrent ce qu’ils savent très bien faire : un faux massacre.
Il eut lieu le 15 janvier 1999 à Racak. Une quarantaine de cadavres furent découverts dans ce village et aussitôt la presse occidentale dénonça un massacre de villageois commis par l’armée serbe. Les Serbes protestèrent, affirmant qu’il s’agissait de combattants de l’UCK tués au cours d’un affrontement contre l’armée. A part quelques voix indépendantes, personne ne releva qu’il n’y avait ni femmes, ni enfants, ni vieillards parmi les victimes, mais seulement des hommes jeunes. En outre, les blessures constatées faisaient davantage penser à des combats qu’à un massacre délibéré.
DESINFORMATION CONCERTEE
Une équipe médicale de l’Union européenne, dirigée par la Finlandaise Helena Ranta, se rendit sur place et confirma le massacre. Beaucoup plus tard, elle révèlera qu’elle avait été soumise à de fortes pressions par les Américains, en particulier le diplomate William Walker : « Walker voulait que je déclare que les Serbes étaient derrière afin que la guerre puisse commencer » dira-t-elle en 2008 dans un livre finlandais qui lui était consacré. Trop tard.
Une grande opération de désinformation se déversa alors. Les journaux et la classe politique occidentale rivalisèrent d’imagination pour accabler les Serbes et faire passer les terroristes de l’UCK pour de valeureux libérateurs.
On parla de « génocide », de meurtres « de 100 000 à 500 000 personnes », de matches de football « avec des têtes coupées », de fœtus arrachés puis grillés, d’incinération de cadavres dans des fourneaux « du genre de ceux utilisés à Auschwitz », rien n’y manqua. La palme revint aux Allemands, révélant la préparation d’une vaste opération d’épuration ethnique appelée « Potkova », c’est-à-dire « fer à cheval » en Serbe. C’est le ministre des Affaires étrangères allemand, le vert Joschka Fisher qui annonça gravement la nouvelle.
Tout était faux. Des enquêtes ultérieures le démontrèrent, comme celle de l’hebdomadaire allemand Der Spiegel (10 janvier 2000) ou celle du Wall Street Journal (31 décembre 1999). Certaines voix avaient d’ailleurs alerté dès le début que fer à cheval ne se disait pas « Potkova » mais « Potkovica ». Le document était un faux grossier mais peu importe, il fallait mettre les Serbes à genoux.
Le Monde Diplomatique, dans son numéro d’avril 2019, a fait une excellente synthèse de cette affaire sous ce titre plaisant : « Le plus gros bobard de la fin du XXe siècle ».
LES BOMBES DU MENSONGE
Sans mandat de l’ONU, l’OTAN déclencha alors une de ses nombreuses guerres illégales. Une armada aérienne procéda à des bombardements massifs sur la Serbie. Ils durèrent 78 jours et tuèrent des milliers de civils. Des pilotes français participèrent hélas à ces crimes.
Au bout de 78 jours, les Serbes demandèrent grâce. Une « autorité internationale civile » fut décidée par l’ONU pour administrer le Kosovo désormais « libéré » de la Serbie. L’opération américaine avait parfaitement réussi et Poutine n’était pas encore au pouvoir en Russie, alors empêtrée dans les dernières années catastrophiques de Boris Eltsine.
Le très belliciste Bernard Kouchner fut nommé haut-représentant de l’ONU. Cet adepte du « droit d’ingérence humanitaire », notion floue qui peut tout justifier, exerça son mandat pendant dix-huit mois avec un rare sectarisme anti-serbe.
C’est alors que les rumeurs concernant des assassinats de prisonniers serbes suivis de trafics d’organes organisés par l’UCK commencèrent à prendre corps. Interrogé par un journaliste serbe sur cette question, Kouchner éclata d’un rire mauvais, l’image est encore visible sur internet.
Le Kosovo va vivre ainsi sous le contrôle de l’ONU jusqu’en 2007. Cette année-là, les extrémistes de l’UCK, partisans de l’indépendance, remportèrent les élections législatives. Le décès l’année précédente du très populaire Ibrahim Rugova, plus modéré, leur facilita la tâche.
ILS PERDIRENT LEUR ILE DE FRANCE
Poussés par les Américains et les Européens, le premier ministre kosovar, Hashim Thaçi, proclama l’indépendance le 17 février 2008. Des milliers de civils serbes quittèrent le nouveau pays. Ceux qui sont restés sont concentrés dans le nord et vivent dans des conditions très difficiles.
Thaçi fut premier ministre du nouveau pays puis devint Président de 2016 à 2020. Malgré sa réputation sulfureuse, il fut chaleureusement reçu dans tous les pays occidentaux. Pourtant son implication dans de multiples trafics de drogue ne faisait aucun doute. En 2010, le Suisse Dick Marty, représentant du Conseil de l’Europe publia un rapport accablant contre Thaçi à propos des trafics d’organes de prisonniers serbes. Les dirigeants occidentaux préférèrent regarder ailleurs.
Mais grâce à l’obstination de quelques personnes courageuses, le tribunal spécial de La Haye prononça l’inculpation de Thaçi pour ses multiples crimes et trafics. Le livre de Pierre Péan, Kosovo, une guerre « juste » pour un Etat mafieux, est à cet égard édifiant.
L’INJUSTICE INTERNATIONALE
Lâché par ses anciens amis, le trafiquant d’organes est aujourd’hui détenu à La Haye et doit méditer sur l’ingratitude de ses anciens amis. C’est un grand classique.
On attend toujours les regrets des Sarkozy et autre Macron pour avoir reçu en grande pompe cet assassin, alors que tout le monde savait. La palme du grotesque revient, comme souvent, à Joe Biden pour avoir fait de Thaçi « Le George Washington du Kosovo »…
Le Kosovo est aujourd’hui un Etat ruiné qui vit de la charité des occidentaux. La corruption est endémique. Le nouveau premier ministre, Albin Kurti, élu sans rire sur un programme anti-corruption, fait la chasse aux opposants accusés d’être des agents serbes. La presse occidentale s’inquiète de sa « dérive autoritaire ». Ce serait comique si ce n’était tragique pour la Serbie qui a perdu 15% de son territoire grâce aux armées occidentales et à une campagne de désinformation dont nos médias sont devenus spécialistes.
La grande gagnante de l’opération est l’Amérique qui a construit au Kosovo une de ses plus grandes bases militaires au monde et lorsqu’on atterrit à Pristina, la capitale, le taxi qui vous emmène au centre-ville emprunte l’avenue Bill Clinton.
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