Les mêmes qui dénonçaient la politisation du rassemblement à venir (dimanche 12 novembre), "Pour la République et contre l'antisémitisme", ont tout fait pour l'aggraver. Au point que ce qui aurait dû apparaître comme une lutte commune et consensuelle contre un poison universel s'est fortement réduit.
Par le refus de LFI d'y participer (elle y aurait été très mal accueillie !) mais surtout par l'expression de pudeurs démocratiques visant à créer "un cordon sanitaire symbolique" pour préserver les purs, les intègres, les authentiques Républicains !, de la moindre promiscuité avec le RN qui sera présent en masse, j'en suis persuadé, comme Marine Le Pen l'a demandé.
Depuis quelques jours, en effet, il s'agit moins de relever le caractère positif et salubre d'une telle manifestation, voulue par la présidente de l'Assemblée nationale et le président du Sénat, que de montrer à quel point nos politiques sont délicats et sauront tenir leurs distances à l'égard d'un parti dont on a sans cesse besoin de rappeler les origines passées et lointaines pour exorciser un présent et peut-être un futur où beaucoup le voient victorieux (ce qui n'est pas mon cas, je le répète).
Notre démocratie ou les Précieux ridicules, c'est vraiment cela.
Il y a heureusement des voix qui, dans l'indignation, l'approbation ou la dérision, savent faire preuve de lucidité et de bon sens en mettant en évidence ce qui devra inspirer seulement la multitude probable du 12 novembre : la dénonciation forte, éclatante et massive de l'antisémitisme et de la quotidienneté de plus en plus menacée et angoissée de nos concitoyens juifs à l'égard desquels propos et actes agressifs se multiplient à une cadence vertigineuse. Et non pas l'approbation obligatoire de la politique d'Israël et de son dirigeant Netanyahou.
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Gilles-William Goldnadel, toujours singulier et ferme dans ses résolutions, ne participera pas au "défilé" du 12 novembre - si j'ose dire, le distinguo entre "marche civique" et "rassemblement politique" me semble byzantin ! - parce qu'il reproche, à juste titre, au ministre Olivier Véran et au Crif d'en avoir fait "un enjeu politicard".
Quand il s'agissait de s'opposer au projet de loi sur les retraites, apparemment personne, où que ce soit sur l'échiquier politique, n'a fait la fine bouche devant la solidarité de fait unissant, dans la rue, le RN et les autres forces sur la même ligne que lui.
Olivier Marleix, le président du groupe parlementaire LR à l'Assemblée nationale, a moqué avec esprit le fait qu'on voulait bien, "assis", être aux côtés du RN comme lors des Rencontres de Saint-Denis mais qu'on refusait, "debout", de côtoyer le RN le 12 novembre dans un combat contre l'antisémitisme. Quelle absurdité ! Quand on tient des postures et que les postures nous tiennent !
Le malaise de ces personnalités de gauche (Boris Vallaud par exemple chez Jean-Jacques Bourdin sur Sud Radio) ou de ces ministres macronistes (Bérangère Couillard notamment le 10 novembre chez le même) pour justifier la légitimité de l'exclusion d'un parti - démocratique jusqu'à nouvel ordre - d'une lutte nécessaire contre l'antisémitisme. À cause, précisément, de l'absence totale de fondement d'un ostracisme qui vise à prolonger la facilité et le confort de l'opprobre éthique à la place de la contradiction politique.
Faut-il minimiser la position sans équivoque de Serge Klarsfeld - qui oserait discuter la portée fondamentale de son avis, lui qui a été en première ligne pour la défense des Juifs et le respect de leur mémoire ? - soulignant dans le Figaro qu'il se "réjouissait" de la participation du RN à la marche du 12 novembre et qu'il était "soulagé de voir le RN abandonner l'antisémitisme et se poser en défenseur des Juifs mais (...) triste de voir l'extrême gauche abandonner sa ligne d'action contre l'antisémitisme" (Valeurs actuelles).
Je n'ai pas envie non plus de négliger l'opinion doublement majoritaire des Français qui à la fois approuvent la manifestation du 12 novembre mais désapprouvent la volonté de mise à l'écart du RN. Il y a dans cet équilibre une leçon qui devrait faire réfléchir nos politiques.
Merveilleuse surprise pour les adversaires du RN : la déclaration de Jordan Bardella affirmant que malgré ses condamnations Jean-Marie Le Pen n'était pas "antisémite". On devine, derrière ce qu'il a reconnu être une "maladresse" vite corrigée, le désir de ne pas essentialiser une personnalité mais il n'empêche que cela a jeté le trouble dans une dédiabolisation dont la réussite est consacrée par l'entêtement acharné d'adversaires nostalgiques à continuer à prendre la fille pour le père.
Alors, oui, je persiste : nos démocrates patentés, autoproclamés exemplaires, justiciers du bon grain et de l'ivraie, sont en réalité "des Précieux ridicules". Leur souci n'est pas de vaincre le Mal mais d'être les seuls à à avoir le droit de le faire.