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La « droite Pasqua » est-elle de retour? (pour le Figaro Vox)

« La droite Pasqua est de retour » selon la jolie formule d’Olivier Marleix.  Le président du groupe LR à l’Assemblée nationale s’exprimait ainsi à propos du projet de loi « destiné à améliorer le contrôle de l’immigration et l’intégration », voté par le parlement le 19 décembre sur la base des propositions de la droite sénatoriale et désormais soumis au Conseil constitutionnel à la demande du président de la République. Il faisait ainsi allusion aux lois initiées par Charles Pasqua, ministre de l’Intérieur, du 9 septembre 1986 et du 24 août 1993, réputées pour leur fermeté – notamment la seconde.

Jusqu’où la comparaison est-elle fondée ? Certes des analogies existent entre les deux périodes. Elles se trouvent notamment dans la disposition sur la « manifestation de volonté » obligatoire pour devenir Français par le droit du sol que le législateur veut réintroduire dans le nouveau texte. (Toutefois, ce n’était pas la loi Pasqua mais celle portée par le garde des sceaux, Pierre Méhaignerie, le 22 juillet 1993, qui avait jadis créé cette obligation, ensuite abrogée par la loi Guigou du 16 mars 1998).  Cette mesure a un caractère surtout symbolique sachant qu’en réalité, l’immense majorité des bénéficiaires du droit du sol (90% des 30 000 nouveaux Français à ce titre chaque année) le sont dans le cadre d’une « demande anticipée » qui procède déjà d’une démarche volontaire. Rien de cela n’est de nature à exercer la moindre influence sur la maîtrise de l’immigration.

La loi Pasqua du 24 juillet 1993, votée après avoir été largement censurée par le Conseil Constitutionnel, a profondément imprégné le droit des étrangers sur un point précis. Alors que la polygamie était jusqu’alors tolérée en France à l’image de l’arrêt Montcho du Conseil d’Etat du 11 juillet 1980 (annulant un refus de séjour prononcé par un préfet sur ce motif), la fameuse loi Pasqua a interdit le regroupement familial et la délivrance de titres de séjour à toute personne en situation de polygamie. Cette réforme relève aujourd’hui d’un consensus républicain fondé sur le principe d’égalité et de dignité des femmes que nul ne songe à remettre en cause.

Les lois Pasqua de 1986 et 1993 bien que fortement contestées à l’époque par les partis de gauche n’ont pas atteint leur but proclamé à l’époque par le ministre de l’Intérieur : « immigration zéro ». Au mieux ont-elles stabilisé le nombre des entrées autour de 120 000 dans les années 1990. Cependant, elles comportaient de multiples dispositions destinées à maîtriser l’asile et le regroupement familial, renforcer la lutte contre l’immigration irrégulière et faciliter les éloignements d’étrangers condamnés pour des faits de délinquance. Elles ont notamment instauré les dispositifs de rétention administrative pour les étrangers en situation irrégulière et d’expulsion pour menace grave à l’ordre public. Sévères sur le contrôle de l’immigration et la lutte contre l’immigration illégale (avec l’assentiment du président François Mitterrand), les lois Pasqua se gardaient en revanche de remettre en cause les droits sociaux des étrangers en situation régulière.

A cet égard, le texte actuel, en subordonnant, même de manière marginale, certaines prestations à des conditions de durée du séjour supplémentaires, s’affranchit symboliquement d’un principe que Charles Pasqua avait choisi de respecter. De même, ce texte met en avant d’autres mesures, certes populaires selon les sondages, mais essentiellement emblématiques car sans effet, elles non plus, sur la maîtrise réelle des flux migratoires : par exemple les quotas, qui ne pourront pas, pour des raisons constitutionnelles et de droit européen, s’appliquer à l’immigration familiale ni au nombre de demandeurs d’asile ; ou l’extension des cas de « déchéance de nationalité » prévus par l’article 25 du code civil aux meurtriers de policiers binationaux et naturalisés, dans certaines conditions exceptionnelles sinon rarissimes.

Ainsi, au-delà des effets de communication ou d’affichage, cette nouvelle loi « de droite », en cours d’examen par le Conseil constitutionnel, est à mille lieues de l’ampleur des réformes introduites par les lois Pasqua. Il faut dire que l’époque était différente : aujourd’hui, l’essentiel des normes est défini par l’Union européenne depuis le traité d’Amsterdam – voulu par l’ensemble de la classe politique française à l’exception de quelques personnalités comme, justement, Charles Pasqua et Philippe Séguin – entré en vigueur le 1er mai 1999, sous forme de directives et de règlements qui réduisent comme peau de chagrin la compétence des Parlements nationaux en matière d’asile, d’immigration et de frontières.

Mais le mythe Charles Pasqua ne saurait se réduire aux lois sur l’immigration et à la politique sécuritaire. Ce fidèle à la tradition gaulliste d’indépendance et de souveraineté nationale, fut dans les années 1990, avec Philippe Séguin, l’un des hérauts de l’opposition aux traités européens opérant des transferts de compétence à Bruxelles en particulier le traité de Maastricht du 7 février 1992, suivi de celui d’Amsterdam. Et cela au nom de la défense des démocraties nationales contre le risque d’une bureaucratisation et de judiciarisation des politiques.  Le retour de la « droite Pasqua » marque-t-il une inflexion radicale de la ligne suivie par la droite depuis les années 1990 à cet égard, à la faveur d’une sorte de mea culpa et une volonté claire et durable de réhabilitation des démocraties nationales ? L’avenir nous le dira.

Le mythe Charles Pasqua – nonobstant les zones d’ombre tel son goût des réseaux – s’attache enfin à sa gouaille, son accent du midi, son côté populaire et ses bons mots, par exemple le célèbre « il faut terroriser les terroristes ». Bref, Charles Pasqua se présentait comme un homme du peuple, rassurant, proche du terrain, au franc-parler, simple et sans prétention. Aujourd’hui, l’abstentionnisme record et la crise profonde de la démocratie procèdent du sentiment que ressentent les Français d’être méprisés par leurs dirigeants politiques. Aussi faut-il souhaiter que le « retour de la droite Pasqua » soit le retour d’une droite qui sache respecter, écouter la vox populi et s’en inspirer dans tous ses grands choix pour restaurer la confiance perdue.

MT

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