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Gabriel Attal : tremplin ou risque ?

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Non, il ne suffit pas de dire, comme Eric Zemmour, « qu’un macronien a remplacé une macronienne ».

Il ne suffirait même pas de préciser qu’un macronien talentueux et extraverti a pris la place d’une macronienne austère et peu douée pour la communication.

La nomination de Gabriel Attal, Premier ministre à 34 ans - le plus jeune de notre Histoire -, est bien plus qu’une affaire de jeunesse. Celle-ci ne va rien démontrer, ni pour ni pour contre. Pour ceux qui s’en plaindraient, qu’ils se rappellent Goethe : « S'il est vrai que la jeunesse soit un défaut, on s'en corrige bien vite ».

On perçoit bien tout ce que l’arrivée de Gabriel Attal au plus haut niveau va apporter à Emmanuel Macron. Et d’abord, ce qui est essentiel, l’espérance de pouvoir continuer son quinquennat dans des conditions sans doute plus apaisées qu’avant même si la structure parlementaire restera la même et que ses relations avec le groupe Renaissance ne seront pas faciles. Sans compter une adhésion implicite sinon au fond, du moins au style et à la conception du dialogue du nouveau Premier ministre. Sur ce plan, son adresse aux oppositions dans sa réponse à Elisabeth Borne était significative. Moins de mépris et de condescendance avec au contraire la conscience qu’elles représentaient des millions de Français.

Gabriel Attal étant la dernière chance présidentielle, il serait naïf d’envisager la suite, pour lui, comme un chemin de roses, même si l’année 2024 ne le confrontera à aucun texte décisif. Il n’empêche qu’on comprend bien pourquoi le nom d’Attal est sorti des réflexions présidentielles qui ont donné l’impression, longtemps, moins d’un dessein mûri que d’une improvisation au gré des vents et des influences.

Dès lors que s’est affirmée une volonté de changer de logiciel – passer d’une métamorphose classique, sans rupture, à un basculement sans exemple -, Gabriel Attal devenait le seul qui pouvait répondre à ce défi.

Dans le registre traditionnel, Richard Ferrand ne s’estimait pas plausible pour cette fonction. François Bayrou – le seul pouvoir qui lui reste ? – ne voulait pas de Sébastien Lecornu. Et Bruno Le Maire, sans doute le meilleur pour Matignon dans une configuration traditionnelle, n’avait pas suffisamment d’affinités, et trop de subtiles dissensions, avec le président pour emporter la mise.

Restait Gabriel Attal que les sots réduisent absurdement à un ambitieux inspiré par des calculs strictement personnels alors qu’on pourrait au moins lui concéder qu’une situation où le souci de son avenir et l’intérêt de la France se conjuguent pourrait avoir des conséquences positives pour notre pays, son redressement, sa remise en ordre et en sécurité.

Gabriel Attal certes doit tout à Emmanuel Macron : il le répète trop pour que ce soit le signe d’une insupportable dépendance mais plutôt un constat à partir duquel il pourra librement développer ses dons, ses talents, ses compétences à élargir et sa formidable énergie. Lui-même a déjà apporté beaucoup au président avec cette chance qui n’est dévolue qu’aux audacieux : au moins à deux reprises, Gabriel Attal a succédé à des ministres médiocres, Sibeth et Pap Ndiaye.

En cinq mois rue de Grenelle, Attal a accompli un travail considérable, bien davantage que verbal. Il a ouvert quelques chantiers, avec la suppression de l’abaya, les sanctions pour les minutes de silence non respectées, la lutte contre le harcèlement, les groupes de niveaux, le retour des redoublements, le changement de date du baccalauréat, la priorité redonnée aux enseignants pour les décisions éducatives et l’expérience de l’uniforme. Excusez-moi du peu !

On peut regretter que Gabriel Attal n’ait pas su résister à la tentation de Matignon mais on le comprend : on ne refuse pas un tel honneur. Il a d’ailleurs perçu le problème grave qui allait résulter de son abandon de la rue de Grenelle puisqu’il a affirmé que « l’école serait avec lui à Matignon ». Selon quelles modalités ? on ne le sait pas encore.

Est-ce à dire que l’évidence de sa nomination, pour un changement de rythme et de vision, va le garantir contre les multiples aléas et résistances qui vont s’accumuler sur sa route jusqu’en 2027 ?

Qu’Emmanuel Macron ait désiré jeter la jeunesse d'Attal dans les pattes de Bardella, qu’il espère réduire la forte avance de celui-ci pour les élections européennes du mois de juin, est de bonne guerre. Pour le citoyen passionné, cette joute qui opposera François-Xavier Bellamy, Marion Maréchal, Jordan Bardella, Stéphane Séjourné, aura de la tenue intellectuelle et politique.

Quelle que soit la composition du gouvernement - il me paraît peu probable que ses poids lourds en sortent -, il est probable que le Premier ministre aura du mal à imposer en toutes circonstances son autorité, même s’il n’en manque pas et qu’il est sans doute lucide sur ce qui l’attend. Il ne devra en tout cas pas sous-estimer les conflits psychologiques et de compétence qui pourraient naître de l’humiliation (retenue mais certaine) des ministres d’expérience face à sa jeunesse conquérante. Mais les premiers n’ignoreront pas que le président sera un soutien de son Premier ministre, sauf à se déjuger.

Je ne partage pas l’avis de ceux qui prévoient avec volupté que le Premier ministre sera phagocyté par le président et qu’il n’aura que des miettes pour agir. C’est, si j’ose dire, le seul avantage des contradictions permanentes du président et de ses postures alternatives. Qu’on n’oublie jamais que c’est le même homme qui a nommé Pap Ndiaye puis son contraire avec Gabriel Attal : pour peu qu’on survienne, dans l’instabilité présidentielle, au moment où Emmanuel Macron se trouve dans une bonne phase pour le pays, il n’y a aucune raison de craindre que le Premier ministre soit entravé dans l’élaboration d’une politique placée du côté opportunément efficace du "en même temps".

J’entends bien que Gabriel Attal a une dette à l’égard du président mais le nouveau Premier ministre – il l’a démontré rue de Grenelle – mesure l’immense créance que le peuple français a sur lui. Ce sera sa charge et son honneur de ne pas le décevoir.

Le président de la République, en abattant sur la table démocratique sa dernière carte, assure-t-il à Gabriel Attal une avance décisive pour l’élection de 2027 ? Une avance certes mais pas forcément décisive.

Jusqu’à aujourd’hui, Gabriel Attal a été en état de grâce. Matignon n’est peut-être pas « un enfer » mais va représenter une épreuve face à laquelle il devra démontrer qui il est véritablement. Il sera confronté à des tâches multiples et inédites. Dévorantes et épuisantes. Elles lui imposeront une maîtrise générale qui, jusqu’alors, ne lui était pas nécessaire.

Une illusion, seulement de la communication, comme le ressassent ses concurrents et ses adversaires, ou une intelligence, un talent, une énergie rare au service de son pays, comme l’espèrent ses partisans et la multitude des citoyens qui l’ont découvert comme ministre de l’Education nationale ? J’ose parier pour la seconde branche de l’alternative.

Pour terminer par le président, au risque d’apparaître naïf, je ne parviens pas à valider l’idée selon laquelle il aurait nommé Gabriel Attal pour le détruire. Il ne pourra plus se représenter en 2027. Quel que soit le futur du Premier ministre, en compétition ou non en 2027, ce qui va se dérouler à partir de maintenant à Matignon, sous les yeux du pays, sera une aurore ou l’inéluctable continuation d’un déclin consubstantiel au macronisme. Un tremplin ou un risque ?

On a le droit de rêver.
(Ce billet a été publié sur Causeur le 10 janvier à 10 heures 30. Il est repris légèrement modifié.)

https://www.philippebilger.com/blog/2024/01/gabriel-attal-tremplin-ou-risque-.html

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