Briser les armées russes
En sa troisième année de règne, en l’an 1807, Napoléon doit encore affronter les coalitions des monarchies qui ne cessent de combattre la France depuis 1792. L’Empereur doit désormais défaire la Quatrième Coalition, regroupant principalement le royaume de Prusse, l’Empire russe et l’éternel banquier et financier des guerres menées contre l’Ogre corse et notre pays : la Grande-Bretagne. Ayant réussi à vaincre les armées prussiennes à Iéna et Auerstaedt en 1806, la Grande Armée doit désormais briser les armées russes qui arrivent vers elle. Pénétrant chacune dans le duché de Pologne, les belligérants finissent par se rejoindre près du petit village d’Eylau, aujourd’hui Bagrationovsk, dans l’oblast de Kaliningrad. En cette fin de journée du 7 février 1807, le soleil se couche sur la lande déserte, sans savoir que demain il se couchera sur des milliers de cadavres.
À l’aube, un duel d’artillerie commence entre les deux factions et fait pleuvoir sur les soldats, épuisés par une nuit glaciale, une grêle de boulets meurtriers. Après deux heures d’un déluge de fer et de mitrailles, l’infanterie française, menée par Davout et Augereau, passe à l’action et entreprend de conquérir les positions russes avant de se faire détruire par une vive contre-attaque. Cette dernière tente même de couper les forces françaises en deux.
Napoléon, comprenant que la mort est proche s’il n'agit pas, fait donner pour la première fois de son règne l’élite de ses soldats : la Vieille Garde. L’Empereur, voulant totalement retourner la situation à son avantage, met aussi au défi son beau-frère, Joachim Murat, en lui disant : « Nous laisseras-tu dévorer par ces gens-là ? » Le maréchal d’Empire lance alors, ce que Jean Tulard décrit dans son livre Napoléon (Fayard), « une colossale charge de cavalerie, quatre-vingts escadrons » qui vont permettre de stopper définitivement l’offensive, mais sans la vaincre. À la fin de la journée, les troupes russes finissent par se retirer, faute de munitions à tirer sur les Français, laissant ainsi ces derniers maîtres du terrain et vainqueurs de la bataille. Victoire amère néanmoins, car elle coûte à la France la vie de milliers de ses enfants et en laisse des milliers d’autres blessés pour toujours.
« Cette boucherie passerait l'envie à tous les princes de la terre de faire la guerre »
Le chirurgien de la Grande Armée, Pierre-François Percy, raconte : « Jamais tant de cadavres n'avaient couvert un si petit espace. La neige était partout teintée de sang ; celle qui était tombée et qui tombait encore, commençait à dérober les corps au regard affligé des passants. […] Des milliers de fusils, de bonnets, de cuirasses étaient répandus sur la route ou dans les champs. » Même le bulletin de la Grande Armée ne peut cacher l’horrible vérité : « Après la bataille d’Eylau, l’Empereur passait tous les jours plusieurs heures sur le champ de bataille, spectacle horrible, mais que le devoir rendait nécessaire. Il a fallu beaucoup de travail pour enterrer tous les morts. » Affecté par la perte de tant de ses braves soldats, Napoléon conclut : « Cette boucherie passerait l'envie à tous les princes de la terre de faire la guerre. »
Une guerre à laquelle l’Empereur s’évertue de mettre fin par la signature du traité de Tilsit, le 9 juillet 1807, faisant de l’Empire russe, l’ennemi d’hier, l’allié nécessaire à une paix durable en Europe. Illusion éphémère, car le tsar Alexandre Ier n’est pas l’ami qu’escomptait Napoléon et permit, par sa trahison, que la guerre perdure encore jusqu’à la chute de l’Empire, en 1815.
Eric de Mascureau
https://www.bvoltaire.fr/la-bataille-deylau-le-triste-prix-dune-paix-ephemere/