Dans ce même discours du 27 février, le chancelier Scholz annonçait le déblocage historique de 100 milliards d'euros en faveur de la Bundeswehr. Un an après, en 2023, les résultats concrets pour l'armée allemande tardaient à apparaître. Et aujourd'hui, le chef d'état-major allemand a fixé un objectif à cinq ans à la Bundeswehr pour être en capacité d'affronter une guerre : Carsten Breuer, dans un entretien au Welt, n'a pas hésité à déclarer : « Parce que je suis militaire, je dis : dans cinq ans, nous devons être aptes à la guerre. »
Mais voilà, après avoir pris en pleine figure les conséquences de leurs délires idéologiques en termes d'énergie nucléaire et de pacifisme, les responsables allemands se heurtent à présent à leur talon d'Achille structurel : leur démographie vieillissante et antinataliste. L'Ukraine et Poutine ont rappelé, dans ce conflit qui ressemble plus à 14-18 qu'à la guerre des étoiles (voir le témoignage de Régis Le Sommier), que la guerre, c'était non seulement de la technologie mais aussi des hommes. Et en termes de jeunes hommes motivés, l'Allemagne est fort dépourvue. Dans Le Point, Pascale Hugues dresse le bilan RH peu reluisant de la Bundeswehr : manque chronique de personnel, faible motivation des jeunes, effondrement démographique tarissant d'autant le vivier de recrutement et suppression à contre-temps du service national en 2011. Selon un rapport de la Konrad-Adenauer-Stiftung, un think tank proche de la CDU cité par Le Point, « d'ici à 2050, le réservoir principal de recrues - les jeunes Allemands, hommes et femmes, entre 18 et 25 ans - aura diminué de 12 % » !
Le ministre de la Défense allemand a donc commandé un rapport. Le rétablissement du service national représentant, comme en France, plus d'inconvénients que d'avantages, la rationalité allemande s'est tournée vers... l'immigration car, en ce domaine, l'Allemagne qui ne fait plus de bébés est bien dotée. Il s'agirait d'ouvrir la Bundeswehr aux recrues étrangères. Selon ce rapport de la KAS, 1,38 million de jeunes entre 18 et 25 ans munis d'un passeport étranger vivaient, en 2022, en Allemagne, soit 19 % de cette tranche d'âge ! Une véritable manne, pour qui ne raisonne qu'en termes de chiffres... Pascale Hugues nous apprend que, déjà, 15 % des militaires allemands sont issus de l'immigration, essentiellement des Allemands de souche du Kazakhstan venus en masse en Allemagne après la dissolution de l'URSS, mais aussi des Turcs bénéficiant de la double nationalité.
Si le chancelier Scholz a vraiment conscience que les dangers menaçant l'Allemagne et l'Europe ne se limiteront pas à la Russie de Poutine, il devrait méditer cette phrase de bon sens d'un jeune Allemand qui a rejoint l'armée, Jacob, citée par le Point : « Il faut bien que quelqu'un défende notre pays. » Encore faudrait-il savoir qui sera ce « quelqu'un » et ce que veut dire « notre pays ». Trump et Poutine ont mis fin à bien des illusions de la gauche allemande et européenne ; sauf une, peut-être la plus inquiétante pour l'avenir : l'immigration.
Frédéric Sirgant