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Captation des fonds des retraites du privé : l’État multirécidiviste

« Il faut prendre l’argent là où il est » . Quand il s’agit de ponctionner l’argent du fonds de retraite Agirc-Arrco, l’État français semble faire sienne cette vieille formule du parti communiste avec obstination !

L’argent de l’Agirc-Arrco, géré par les « partenaires sociaux » (organisations syndicales et patronales), et non par I'administration, appartient légitimement aux cotisants et retraités affiliés à ce régime. Mais le fric-frac est tentant, pour un État qui a accumulé plus de 3 000 milliards d'euros de dette publique et prévoit encore un déficit de 145 milliards d'euros en 2024. Et les tentatives se sont multipliées ces dernières années.

Le pouvoir a ainsi imaginé de capter les 87 milliards d'euros annuels de cotisations, en transférant leur recouvrement de l’Agirc-Arrco, à laquelle ce soin incombait normalement, à l’Urssaf - c'est-à-dire à l’administration, sans aucune garantie sur l’usage qui pourrait être fait de cette manne. Le risque était grand que l’administration ne détournât une partie des cotisations des salariés du privé pour financer les déficits béants des régimes spéciaux du secteur public. Cette tentative, inscrite dans la loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2020, sous le gouvernement de Jean Castex, a donné lieu à un feuilleton à épisodes jusqu’à ce qu'en avril 2023, Elisabeth Borne décide d'abroger la mesure. Le Conseil constitutionnel ayant toutefois annulé cette abrogation, le Premier ministre s‘engagea à la réinscrire dans le PLFSS pour 2024.

Argument fallacieux

La promesse a été tenue et le gouvernement a renoncé à piller les cotisations du privé ; mais, dans le même projet de loi, il introduit un autre moyen de spolier l’Agirc-Arrco, en prévoyant une « contribution » financière de ce régime du privé pour compenser les effets de la « fermeture » des régimes spéciaux de certaines entreprises publiques. À première vue, cette décision semble logique : les nouveaux employés de ces entreprises publiques qui seront embauchés partir du 1er septembre 2023 seront affilies au régime général et à l’Agirc-Arrco et ne cotiseront donc plus aux régimes spéciaux des entreprises publiques. II en résultera donc pour ces derniers un « manque à gagner » que les régimes du privé compenseront par des soultes pour les aider à payer les pensions de leurs retraités. Mais l’argument est fallacieux, car ces régimes spéciaux sont très déficitaires en raison des avantages couteux qu'ils garantissent à leurs bénéficiaires. Or, les agents publics embauchés avant le 1er septembre resteront affiliés, avec les mêmes avantages, ces régimes qui ne disparaitront pas avant le siècle prochain. Et ce sont finalement ces avantages sans équivalent dans leurs propres régimes, et les déficits qui en résultent, que les salariés du privé cotisant à l’Agirc-Arrco financeront par le biais des soultes.

Un autre stratagème a été imaginé par le gouvernement, pour ponctionner les réserves de l’Agirc-Arrco. Fin septembre, le ministre du Travail, Olivier Dussopt a enjoint aux organisations professionnelles gestionnaires de ce régime de contribuer à financer la promesse faite par Elisabeth Borne d’augmenter les petites pensions de retraite. Coût de la participation : entre un milliard d'euros en 2024 et trois milliards en 2030. Pour justifier son exigence, Dussopt fait valoir que l’Agirc-Arrco dégagera des « excédents » grâce à la réforme des retraites.

Cet argument ne résiste pas à l'examen. D'une part, les 68 milliards d'euros de réserves que possède actuellement l’Agirc-Arrco ne sont pas un pactole, mais correspondent à neuf mois de paiement des pensions à 13 millions de retraités du privé. Quant aux « excédents » à venir, ils sont sujets à caution quand on sait que le nombre des retraités en France augmentera de deux millions en 2030 et de plus de quatre millions d'ici 2040 ! Faut-il alors ponctionner les réserves que l’Agirc-Arrco a constituées pour assurer le paiement des pensions, en demandant de lourds sacrifices à ses affiliés (le rendement du régime baisse depuis trente ans) ? D'autre part, les « excédents » que convoite le gouvernement ne tombent pas du ciel, mais proviendront des cotisations que verseront les salariés en travaillant deux années de plus (jusqu'a 64 ans). Il faut donc une belle audace pour affirmer comme le ministre Dussopt que cet argent appartient, non pas aux cotisants et retraités de l’Agirc-Arrco, mais à « l’intégralité du système de solidarité des retraites »- autrement dit à l’État lui-même, dont la gestion déplorable à conduit dans le mur les régimes du public !

Aux gestionnaires du régime complémentaire du privé, qui protestent contre ce racket, Dussopt ne laisse qu'une alternative : soit ils se soumettent, soit le gouvernement introduira dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale un amendement l’autorisant à ne plus compenser les 6,5 milliards d'euros d'exemptions de cotisations (dites allégements fiscaux) qu'il consent à certaines entreprises, et qu'il est pour l’instant tenu de rembourser à l’Agirc-Arrco. Mais les gestionnaires du régime sont d'autant moins disposés à céder au chantage que, s'ils le font, l’État s’introduira dans la gouvernance du régime, en bonne place pour siphonner les réserves. Il faudrait alors peu de temps pour qu’un trou se creuse dans les caisses de l’Agirc-Arrco.

Eric Letty Monde&Vie 29 septembre 2023

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