Par Nikolay STARIKOV – ORIENTAL REVIEW
Toute discussion sur la prise de contrôle de l’Autriche par Hitler doit inclure le rôle important que Mussolini a joué dans l’Anschluss. L’Italie étant l’un des vainqueurs de la Première Guerre mondiale, ce pays était l’un des principaux garants de la neutralité et de la souveraineté de l’Autriche. La raison en était simple: selon l’article 36 du traité de Saint-Germain, l’Italie bénéficiait d’importantes concessions territoriales de l’ancien empire austro-hongrois et avait donc tout intérêt à préserver la souveraineté de l’Autriche.
C’est ainsi que Vienne plaçait un espoir particulier dans Mussolini, qui sembla d’abord justifié: en 1934, lorsque le mouvement nazi local releva la tête et devint anormalement actif, l’Italie déploya des troupes jusqu’à la frontière autrichienne, ce qui indiquait clairement qu’elle ne tolèrerait aucune domination allemande de l’Autriche. Cependant, l’Italie ne fit rien pour aider son voisin pendant l’Anschluss. En ce qui concerne le changement de Mussolini, nous devons nous rappeler que, bien qu’une alliance formelle ait existé entre Berlin et Rome, le dirigeant de l’Italie n’avait aucune raison de se sentir contraint de prouver que cette amitié était sérieuse. [1] Mussolini, un fasciste, n’était nullement obligé de soutenir Hitler, un Nazi! Une affinité psychologique et idéologique commune est une chose, mais le retour potentiel de territoires autrefois autrichiens (actuellement italiens) dans un pays habité par des Allemands de souche en était une autre. [2]
Pourquoi Mussolini s’est-il comporté ainsi? L’Italie avait été richement récompensée pour cette prise de position sur la question autrichienne… par l’Angleterre et les Etats-Unis.
Le fait est que Mussolini était fasciné par les exploits héroïques de la Rome antique et avait ainsi décidé de construire un nouvel empire pour l’Italie. La première épreuve de force de l’Etat fasciste fut l’attaque contre l’Ethiopie, connue à l’époque sous le nom d’Abyssinie. Les troupes italiennes envahirent le pays le 4 octobre 1935.
L’Abyssinie exigea des sanctions internationales contre l’Italie. Le 7 octobre 1935, le Conseil de la Société des Nations reconnut l’Italie comme agresseur, mais cela n’eut pas de conséquences tangibles pour le régime de Mussolini, car les ” sanctions ” qui lui avaient été imposées lui avaient permis de continuer à faire la guerre. En effet, la question sur des actions sérieuses, telles qu’une rupture dans les relations diplomatiques ou une pression militaire sur l’agresseur, n’a même jamais été soulevée. Il est révélateur qu’aucune mention n’ait été faite dans les documents de la Société des Nations concernant un embargo sur les matières premières les plus importantes pour l’Italie: pétrole, minerai de fer et charbon. En outre, les États-Unis et l’Allemagne n’étaient pas membres de la Société des Nations et n’étaient donc pas tenus de se conformer au régime des sanctions. Au contraire, les États-Unis avaient considérablement augmenté leurs expéditions de pétrole vers ce pays agresseur entre 1935 et 1936, et le gouvernement britannique avait rejeté une proposition de blocus naval de l’Italie et la fermeture du canal de Suez à ses navires, proposition qui aurait pu être utilisée comme une forme de pression significative. [3]
Bien que leurs forces soient inégales, les Éthiopiens mal armés offrent une résistance obstinée. En réponse, l’armée italienne utilise des gaz toxiques contre la population civile éthiopienne. [4] Au lieu de condamner cette sauvagerie, la Grande-Bretagne adopte une position assez étrange: non seulement elle refuse de durcir les sanctions, mais elle commence même à essayer de les faire annuler complètement. Le 18 juin 1936, le ministre des Affaires étrangères, Anthony Eden, prit la parole à la Chambre des communes pour affirmer que les sanctions imposées à l’Italie n’avaient pas donné les résultats escomptés. Comme nous l’avons souvent vu, c’est Londres qui jouait le rôle de pionnier politique sur la scène mondiale. Ainsi, le 4 juillet 1936, après que les Italiens eurent occupé la capitale éthiopienne, Addis-Abeba, la Société des Nations décida de renoncer aux futures sanctions.
Mais quel est le lien entre l’annexion de l’Abyssinie et l’Anschluss autrichien? Elles sont directement liées. L’attitude accommodante de Mussolini, qui a permis à Hitler de dévorer son voisin, a été immédiatement récompensée. Le 12 mars 1938, toutes les routes menant à Vienne étaient pleines de chars allemands et le 16 avril 1938, l’accord anglo-italien fut signé à Rome avec peu de publicité. L’Angleterre et l’Italie s’engageaient à établir de “bonnes relations de bon voisinage” entre elles. Mais le plus important, c’est la reconnaissance par l’Angleterre de l’annexion italienne de l’Abyssinie. Ces messieurs britanniques avaient littéralement échangé Addis-Abeba contre Vienne.
La liste des capitales européennes qui ont été ” livrées ” sans vergogne au Führer devrait, de plein droit, inclure Madrid en Espagne. Hitler était en train de créer une nouvelle armée gigantesque à une vitesse fulgurante et avait besoin d’urgence d’un terrain d’essai pour les nouvelles technologies, la formation des officiers, etc. Et ce terrain d’essai a été créé pour lui.
La guerre civile espagnole ne s’est pas déroulée dans un contexte de lutte entre communisme et fascisme. C’était une répétition générale pour la future confrontation militaire entre l’URSS et l’Allemagne. Et la Grande-Bretagne et la France, qui s’étaient couverts d’un voile de neutralité, aidaient en fait activement l’une des parties au conflit – les insurgés du général Franco, et non le gouvernement légitime de l’Espagne. Cette assistance fournie par les ” démocraties ” aux fascistes espagnols était parfois indirecte, mais souvent assez directe.
Naturellement, les messieurs de Londres n’aimaient pas le général Franco lui-même ni ses idées. Mais la victoire des fascistes dans la guerre civile espagnole a permis aux diplomates britanniques de résoudre plusieurs questions très importantes:
- Hitler et Mussolini ont eu l’occasion de se battre et de gagner à leur guise, d’avoir confiance en leurs succès et de tester leurs armées et leur équipement militaire dans un contexte réel.
- s’ils gagnaient, les agresseurs potentiels obtiendraient une source importante de matières premières [5].
- Une des clés de voûte de l’idéologie nazie – combattre et détruire le communisme – a été confirmée de manière explicite.
L’insurrection contre le gouvernement espagnol a commencé dans la soirée du 17 juillet 1936, au Maroc espagnol et dans les îles Canaries et Baléares. Moins de deux semaines après le coup d’État, deux escadrons militaires allemands sont arrivés sur les côtes espagnoles et des avions de transport allemands se sont envolés vers le Maroc. Avec l’aide d’Hitler, les troupes marocaines ont débarqué en toute sécurité sur le continent espagnol.
Comment la communauté internationale aurait-elle pu réagir à l’intervention d’un pays tiers dans le conflit interne de l’Espagne? Surtout si ce pays se prépare à soutenir les unités militaires qui se révoltent contre le gouvernement légitime? Ils auraient pu réagir assez fortement avec des sanctions, un boycott ou la demande d’une cessation immédiate de l’intervention. N’oublions pas que les Jeux olympiques devaient avoir lieu à Berlin en août 1936, un événement extrêmement important pour le régime nazi. Et à peine un mois auparavant, Hitler était engagé dans une guerre civile en Espagne! Et le comité civil de boycott des Jeux olympiques allemands, basé à New-York, avait désespérément besoin de ces arguments! Mais la communauté internationale a obstinément ignoré les panneaux comportant les inscriptions “No Admittance to Jews or Dogs” (Interdit aux Juifs et aux Chiens) qui étaient accrochés aux portes des toilettes publiques du Troisième Reich. Et puis Hitler lui-même offrait un cadeau à ceux qui voulaient le priver de la flamme olympique – il était intervenu militairement dans un pays indépendant. Peut-être que le boycott des Jeux Olympiques fascistes commencerait alors?
Pourquoi Hitler a-t-il pris un tel risque? Parce qu’il savait que le Troisième Reich jouissait du statut de la nation la plus favorisée tant qu’il agissait conformément à ses accords avec ses partenaires britanniques.
Le 9 septembre 1936, le comité international de non-intervention commença ses travaux sur la guerre civile espagnole au ministère britannique des Affaires étrangères. Le comité s’est concentré sur le blocus de toute aide aux républicains sous le couvert d’une fausse neutralité, tout en poussant l’Union Soviétique vers une action indépendante qui “violerait” le droit international. Et les événements allaient exactement dans la bonne direction pour les Anglais. Le 22 octobre 1936, l’ambassadeur soviétique à Londres envoya une note au ministère britannique des Affaires étrangères proposant de reconnaître et de rétablir le droit du gouvernement espagnol à acheter des armes. La note avertissait que, dans le cas contraire, le gouvernement soviétique ne se considérerait pas davantage lié par l’Accord de non-intervention que les autres parties.
Et le gouvernement républicain n’avait tout simplement pas le choix. Il était en possession d’une réserve d’or, mais le principe de “non-intervention” signifiait que personne n’était disposé à leur vendre des armes. L’Union Soviétique de Staline était le seul pays où l’Espagne pouvait en acheter. Il y avait aussi les États-Unis bien sûr, mais en 1935, le Congrès américain adopta une loi de “neutralité”. Qu’est-ce que ça voulait dire? Cela signifiait que l’Espagne ne pouvait pas acheter d’armes aux États-Unis, mais l’Allemagne le pouvait. Ainsi, les républicains ne recevaient pas d’armes américaines, tandis que leurs adversaires étaient abondamment approvisionnés par des firmes allemandes.
Il existe une question qui n’a jamais été étudiée: les sources de financement de Franco. Selon les calculs des nazis, une seule légion Condor allemande comprenait 250 avions, 180 chars d’assaut, des centaines de canons antichars et d’autres armes, et coûtait plus de 190 millions de Reichsmarks entre le 7 novembre 1936 et le 31 octobre 1938. Quiconque connaît bien les dépenses militaires sait que les armes les plus coûteuses ne sont pas les avions ou les chars d’assaut. Les navires de guerre sont les armements les plus coûteux. Et devinez quoi? La flotte rebelle était régulièrement ravitaillée par des approvisionnements de Berlin et de Rome. La valeur totale de l’aide envoyée aux forces franquistes par l’Allemagne et l’Italie est estimée à 1 milliard de dollars.
Comment le général Franco a-t-il pu rembourser une aide aussi généreuse? Où a-t-il pu trouver des sommes d’argent si énormes? Après tout, Franco n’avait pas de ressources financières – toute la réserve d’or espagnole était aux mains des républicains. Le chef des insurgés n’avait aucun moyen de payer. Mais il s’est avéré que l’Allemagne, qui supportait le fardeau de l’énorme croissance de ses propres dépenses militaires, aurait aussi bien pu balancer des tonnes d’argent la fenêtre. Et l’Italie faisait de même. En fin de compte, ils n’ont reçu aucun dividende économique de la victoire de Franco: l’Espagne vendait (et ne donnait pas) ses matières premières stratégiques à l’Allemagne et à l’Italie pendant la guerre. Il n’y aura pas non plus de dividendes politiques: plusieurs années plus tard, Franco refusera de se battre pour ses “amis” allemands contre la Grande-Bretagne, la France et l’Union Soviétique. [6]
Il était le seul dictateur qui, non seulement a survécu à la Seconde Guerre Mondiale sans problème, mais est resté au pouvoir jusqu’à sa mort. [7]
Cependant, ni Hitler ni Mussolini n’ont jamais présenté de factures à Franco, et ni n’ont manifesté envers lui la moindre rancune. Pourquoi? Parce que les factures de la guerre espagnole et les fournitures militaires allemandes envoyées aux rebelles espagnols ont été payées par les mêmes commanditaires mystérieux des nazis qui étaient responsables du “miracle économique” d’Hitler.
NOTES:
[1] L’alliance entre Berlin et Rome connue sous le nom d’Axe est née le 25 octobre 1936 lors d’une visite en Allemagne du ministre italien des Affaires étrangères, Galeazzo Ciano. Le Japon a adhéré à l’alliance italo-allemande beaucoup plus tard – le 11 décembre 1940.
[2] La région connue sous le nom de Tyrol du Sud, qui est habitée par des Allemands de souche, fait encore partie de l’Italie aujourd’hui.
[3] Ainsi, les exportations américaines de pétrole vers l’Italie en 1935 ont augmenté de 140 % par rapport à l’année précédente, tandis que les approvisionnements envoyés à l’Afrique occupée par l’Italie ont explosé de 2 000 à 3 000 %.
[4] Le ” monde civilisé ” ne fit presque ” pas attention ” au massacre commis par les fascistes italiens au lac Ashangi le 3 avril 1936, lorsque 140 avions larguèrent des armes chimiques sur des civils. Personne n’a prêté attention aux crimes commis par le Japon lors de son attaque contre la Chine. Sans entrer dans les détails de cette terrible guerre, nous n’en présentons que deux exemples: pendant le siège de Shanghai, les Japonais ont tellement massacré la population civile qu’un témoin a décrit le carnage comme suit: pas une seule personne n’a survécu dans une zone de 4,5 kilomètres carrés. Lors de la prise de Nanking, les Japonais ont tué 200 000 personnes, soit la moitié de la population de la ville.
[5] L’Espagne produisait environ 45 % du mercure dans le monde, plus de 50 % de sa pyrite et était l’un des principaux exportateurs de minerai de fer, de tungstène, de plomb, de zinc, de potasse, d’argent et d’autres minéraux essentiels à l’industrie de la guerre. La maîtrise de ces sources de matières premières stratégiques a permis à Hitler de renforcer significativement son potentiel économique.
[6] Hitler et Franco se sont rencontrés à Hendaye en 1940. Franco “en guise de reconnaissance” avait affirmé que c’était l’heure de sa sieste et força Hitler à attendre 30 longues minutes. Plus tard, le Führer affirma qu’il préfèrerait avoir trois ou quatre dents arrachées plutôt que de rencontrer le Caudillo à nouveau. Tout ce qu’Hitler a pu arracher de Franco, c’est l’envoi de “volontaires” – une seule Division Bleue – sur le front de l’Est.
|7] En vertu d’un décret du 4 août 1939, Franco fut déclaré “souverain suprême de l’Espagne, ne relevant que de Dieu et de l’histoire”. En 1973, Franco abandonna son poste de Premier ministre, ne conservant que les titres de chef d’État et de Commandant en chef de l’armée. Le dictateur espagnol est décédé le 20 novembre 1975.
Traduit du Russe par ORIENTAL REVIEW
Traduction : Martha– Réseau International