Parmi les personnalités invitées à s’exprimer, il y avait donc Arnaud Montebourg, en novembre dernier. Éternel jeune homme de la politique, il a décidé, depuis 2022 et son retrait de la course à la présidentielle, de défendre, avec une pugnacité jamais démentie, la souveraineté française. Le sujet l’intéresse depuis longtemps, d’une manière qui semble tout à fait authentique. On se souvient, également, de son audition tonitruante en commission parlementaire, quand il avait révélé les dessous des négociations politico-économiques, notamment pour les rachats de grandes entreprises françaises.
Gouvernement des juges
Cette fois encore, Arnaud Montebourg n’a pas déçu. Il a dénoncé avec la dernière vigueur le traité de Lisbonne, qui a bafoué le refus populaire de la Constitution européenne, les « pertes de contrôle de nos fleurons industriels » (il a de nouveau cité Alstom, vendu par un certain Emmanuel Macron) ou encore notre soumission croissante aux États-Unis en matière de technologies numériques. Il est même allé plus loin en pointant une forme de gouvernement des juges (pour reprendre une expression célèbre) qui consiste à déposséder de leurs prérogatives les politiques élus par le peuple pour transférer le pouvoir normatif vers des juridictions non élues. Montebourg va même plus loin, puisqu’il cite ces cinq juridictions majeures que sont le Conseil d’État, le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation, la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Parmi elles, c’est au Conseil d’État qu’il choisit de s’en prendre – juridiction qui est précisément en train de l’auditionner !
Forcément, ça tourne mal. Malgré un formalisme empreint de la cordialité républicaine qui sied à ce genre d’exercice, Montebourg a pointé en particulier deux décisions du Conseil d’État qu’il considère comme des trahisons, étayant son propos d’un rapport de 17 pages rédigé en compagnie de juristes de haut vol. Les deux arrêts cités sont l'arrêt Nicolo de 1989 : « Une décision contestable selon la note, qui puise dans la jurisprudence des exemples démontrant qu’il serait au contraire possible de faire primer la souveraineté nationale et populaire, notamment lorsque les intérêts du pays sont en jeu », écrit Marianne ; et l'arrêt French Data Network de 2021, selon Montebourg : « S’il fallait résumer en termes crus et cruels la jurisprudence du Conseil d’État, elle s’arroge le droit de constituer la loi nationale lorsque celle-ci contredit le droit européen, et elle refuse de contrôler les excès de pouvoir des institutions européennes lorsque celles-ci contredisent le droit des traités européens. »
Insidieux grignotages
Évidemment, ce rapport n’a pas été retenu par le Conseil d’État, qui a refusé de le faire figurer en annexe du compte rendu des auditions. Amusé, Arnaud Montebourg l'a donc transmis à l’hebdomadaire Marianne ! En synthèse, l’ancien avocat assène des preuves accablantes sur la prise de pouvoir des magistrats : 60 % des lois votées seraient, selon lui, de simples transpositions de directives européennes. Les décisions du Conseil d’État, qui ne sont pas soumises au vote populaire, ont un impact direct sur la vie des Français et, à force de se focaliser sur les arrêts de la Cour de justice européenne (CJUE), on perd de vue l’insidieux grignotage auquel se livre cette ruche gauchisante.
Pour résoudre ce problème (on verra, dans les pages de Marianne, que ces deux arrêts sont loin d’être anodins), il faudrait que le Conseil d’État reprenne la main sur la souveraineté française, engageant ainsi un bras de fer avec les institutions européennes, tout en… contredisant ses propres décisions. Des magistrats accessibles à la remise en question ? Des juges patriotes ? On peut rêver… et rendre grâce à Arnaud Montebourg, décidément bien trop intelligent et libre pour être vraiment socialiste, de révéler ces scandales.
Arnaud Florac