De fait - quel paradoxe ! -, le candidat le plus jeune, qui promettait le « nouveau monde », a été porté à la magistrature suprême… par les Français les plus âgés. Emmanuel Macron leur plaisait : de la prestance, un costume bien taillé, un discours européiste - l’Europe de la paix est un rêve de boomer né sur les décombres de deux guerres fratricides - et son verbe, sa hauteur de technocrate étaient gages, pour eux, de sérieux, de compétence et de modernité.
Biberonnés au libéralisme dans une Europe fondée sur le commerce (la Communauté européenne du charbon et de l'acier) et, dès l'origine, convertie au capitalisme anglo-saxon, ils ne voyaient pas, pour beaucoup, en quoi le mondialisme pouvait être un problème. Anciens combattants de Mai 68 - leur seule guerre -, ils étaient nombreux, dans cette tranche d’âge, à trouver mille vertus à la société libertaire qui les avait affranchis d’une éducation jugée trop stricte. Cette génération a été longtemps l’acmé du ruban de Möbius libéral-libertaire théorisé par Michéa dans Le Complexe d'Orphée (Climats).
Quant à l’immigration, beaucoup, qui fréquentaient encore les églises, en avaient gardé une jolie vision irénique de curé progressiste illustrée par ces ribambelles de bonshommes en papier multicolore que celui-ci faisait découper aux enfants du caté : si tous les gars du monde voulaient se donner la main…
La réalité s'est invitée !
Mais la réalité s’est invitée et le charme s’est dissipé. La presse ne bruisse que de cela : « RN : la grande bascule des retraité » (l’Opinion), « La bataille du vote des seniors » (La Tribune), « Élections européennes : les seniors davantage séduits par le Rassemblement national, un tournant historique » (Radio France).
Car les sondages le montrent : le RN est désormais, sur la tranche d’âge des plus de 65 ans, presque au coude à coude avec Renaissance dans les intentions de vote. Or, les plus de 65 ans sont ceux qui se rendent aux urnes. Jérôme Fourquet (toujours lui) compare volontiers l’exercice du suffrage électoral à la pratique religieuse : on va voter parce que c’est obligatoire et parce que c’est sacré. Or, c’est la seule génération qui va encore (un peu) à la messe… Elle est la pierre d’angle de l’élection. Une pierre d’angle qui bascule du côté du juvénile Bardella, comme elle avait soutenu, il y a quelques années, le fringant Emmanuel Macron. On trouve toujours plus neuf que soi.
Il faut dire qu’ils ont déchanté. « C'est moi ou le chaos », disait peu ou prou, dans l’entre-deux-tours, Emmanuel Macron. Ce fut lui et le chaos. Quant au Mozart de la finance, il s’est mué en « tocard » de la dette, selon le bon mot de Nicolas Dupont-Aignan. Les retraités craignent déclassement et insécurité pour leur descendance. Les nouveaux accents gaulliens du RN les rassurent et, pour certains, ses renoncements sociétaux aussi.
Un membre du gouvernement confie au journaliste de La Tribune : « Les retraités nous boudent ou nous quittent. Ils sont devant les chaînes info toute la journée et celles-ci leur renvoient les images d’un pays qu’ils ne reconnaissent plus. Il faut les rassurer toute de suite et leur expliquer que la France n’a pas tant changé que ça. » On les voit venir. Ça va être (encore) la faute de CNews. Comme si les retraités n’avaient pas simplement des yeux pour voir.
Pourtant, le gouvernement se donne du mal, pour endiguer l’hémorragie. Les accents martiaux d’Emmanuel Macron à l’endroit de Poutine ont un goût de madeleine de Proust aromatisée à la guerre froide. On parle du retour de l’uniforme, des écoliers qui se lèvent quand le maître rentre, du service militaire… et pourquoi pas, tant qu’on y est, du certificat d’études et des topinambours à la cantine ? La martingale couleur sépia est grossière. Pas sûr qu’elle suffise.
Gabrielle Cluzel
https://www.bvoltaire.fr/edito-le-jet-bardella-va-t-il-passer-le-mur-des-boomers/