Les difficultés de la coopération franco-allemande en matière de défense et d’armements pour le plus grand bénéfice des seuls États-Unis
L’Allemagne et la France s’opposent en matière de défense européenne. La France, même avec son armée d’échantillons et son budget militaire ridicule de 2 % du PIB, dispose, avec sa force nucléaire, de la première Armée d’Europe, car motivée, organisée et bien commandée. La Bundeswehr, elle, ne vaut pas grand-chose à ce jour, avec en outre, de très grandes difficultés à recruter, d’où une inclination naturelle à s’en remettre aux États-Unis pour les problèmes de défense. L’Allemagne préfère être commandée par les États-Unis et acheter américain plutôt que d’être n°2 en Europe, derrière la France, dans le cadre d’une défense européenne forte et indépendante !
De nombreux projets de partenariats franco-allemands ont déjà été annulés. L’Allemagne a décidé de mettre cent milliards d’euros sur la table, mais souhaite en faire profiter soit son industrie, soit l’Amérique, l’avion de combat du futur avec Dassault étant la seule exception qui pourrait confirmer la règle, tant l’avionneur français en impose par son succès mondial retentissant et son excellence. Certains se demandent même si l’Allemagne ne cherche pas en fait à mieux capter les secrets de la réussite du Rafale de Dassault.
Berlin a promu un projet de bouclier antimissile avec trois composantes allemande, israélienne et américaine (Himars) auquel veulent se joindre 14 pays européens dont la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, la Finlande. Paris n’a même pas été informé par Berlin, alors que la France déploie déjà au sein de l’OTAN un système similaire MAMBA du missilier européen MBDA (12 000 personnes) dont le siège est à Paris.
En mars 2022, l’Allemagne a passé commande de F 35 américains pour remplacer sa flotte vieillissante de Tornado, en sabordant le rêve français de vendre des Rafale ! En 2021, Berlin avait déjà abandonné un programme commun avec la France visant à doter les deux pays d’avions de patrouille maritime pour survoler les sous-marins : l’Allemagne a préféré passer un marché avec l’américain Boeing !
La plupart des projets franco-allemands en matière d’armement sont aujourd’hui à l’arrêt : projet d’un nouveau char franco-allemand qui succéderait au char français Leclerc et au char Leopard ; le projet d’un nouveau canon franco-allemand pour remplacer le Caesar français est repoussé au-delà de 2045 ; quant à la modernisation des hélicoptères franco-allemands Tigre, l’Allemagne y a tout simplement renoncé.
Dans le domaine du spatial, l’Allemagne rêve de prendre la place de la France en espérant qu’un de ses petits lanceurs deviendra grand, pour contester à Ariane Groupe, constructeur pourtant franco-allemand, le développement des successeurs d’Ariane 6 ! Si l’Allemagne pouvait évincer la France de Kourou en Guyane, elle le ferait sans hésiter !
L’Allemagne a en fait pour ambition aujourd’hui de saper tous les restes de la puissance française. Elle s’est réjouie et a contribué, par des campagnes de presse et du « lobbying » à la rupture du contrat de vente de sous-marins à l’Australie dont elle avait été évincée commercialement. Dans son fameux discours de Prague, le chancelier Scholz n’a jamais fait la moindre allusion à la France, tenue pour quantité négligeable !
Sabotage de Nord Stream par l’Amérique : la révolte d’Oskar Lafontaine et de l’AfD contre la lâcheté, le mutisme des dirigeants et partis politiques allemands
L’Allemagne, autrefois dominatrice et brutale dont les ambitions ont ravagé l’Europe, est, depuis 1945, d’une soumission et d’une servilité inimaginable envers le maître américain, au profit duquel elle a abdiqué sa souveraineté. Les partis politiques et les dirigeants allemands sont restés totalement passifs et muets lors du sabotage de Nord Stream par l’Amérique, avec comme seules exceptions Oskar Lafontaine, ancien président du SPD et candidat à la chancellerie en 1998, et le parti AfD avec de nombreuses interventions au Bundestag, auprès des électeurs, et dans les médias.
Nous avons traduit en français in extenso l’excellente et très longue interview, fin novembre 2022, d’Oskar Lafontaine par « Die deutschen Wirtschaftsnachrichten im Gespräch », intitulée : « L’Europe paie le prix de la lâcheté de ses propres dirigeants ». Nous ne citerons que quelques brefs extraits des propos d’Oskar Lafontaine :
Oskar Lafontaine : « L’explosion des deux gazoducs est une déclaration de guerre à l’Allemagne et c’est à la fois pathétique et lâche que le gouvernement fédéral veuille mettre l’incident sous le tapis. L’Allemagne dit qu’elle sait quelque chose, mais qu’elle ne peut pas le dire pour des raisons de sécurité nationale. Les moineaux le sifflent pourtant depuis longtemps sur les toits ; les États-Unis ont soit directement mené l’attaque, soit au moins donné le feu vert. Sans la connaissance et le consentement de Washington, la destruction des gazoducs, qui est une attaque contre notre pays, paralyse notre économie et va à l’encontre de nos intérêts stratégiques, n’aurait pas été possible. C’était non seulement un acte hostile contre la République fédérale, mais aussi la démonstration, une fois de plus, que nous devons nous libérer de la tutelle américaine.
DWN : Dans votre nouveau livre « Amérique, il est temps de partir ! », vous appelez au retrait des troupes américaines d’Allemagne. N’est-ce pas irréaliste ?
Oskar Lafontaine : Bien sûr, cela ne se fera pas du jour au lendemain, mais l’objectif doit être clair : le retrait de toutes les installations militaires et nucléaires américaines d’Allemagne ainsi que la fermeture de la base aérienne de Ramstein. Il faut y travailler avec persévérance et construire en même temps une architecture de sécurité européenne, car l’OTAN dirigée par les États-Unis est obsolète (..). C’est parce que l’OTAN n’est plus une alliance défensive, mais un outil pour faire respecter la prétention des États-Unis à rester la seule puissance mondiale. Nous devons donc formuler nos propres intérêts qui ne sont en aucun cas conformes à ceux des États-Unis.
DWN : Vous dites que les Américains sont responsables de l’explosion des gazoducs. Croyez-vous sérieusement qu’ils abandonneraient l’Allemagne sans combattre ?
Oskar Lafontaine : Non, ça va être très dur, mais je ne vois pas d’alternative. Si nous et les autres pays européens continuons à rester sous tutelle américaine, ils nous pousseront jusque vers la falaise pour protéger leurs propres intérêts. Nous devons donc élargir notre champ d’action, de préférence avec la France. Comme Peter-Scholl-Latour, j’ai réclamé, il y a de nombreuses années une union franco-allemande. (…) La question se pose de savoir si nous avons notre propre place dans ce nouvel ordre mondial ou si nous nous laissons entraîner dans les conflits de Washington avec Moscou et Pékin en tant que vassaux américains. Nous ne pourrions alors que perdre. » (À suivre)
Marc Rousset – Auteur de « Notre Faux Ami l’Amérique/Pour une Alliance avec la Russie » – Préface de Piotr Tolstoï – 370p – Librinova – 2024