RIVAROL : Que pensez-vous du résultat des législatives avec une victoire du RN au premier tour et sa défaite cuisante au second ?
Yvan BENEDETTI : Largement vainqueur en voix et largement perdant en nombre de députés, tel est le paradoxe de cette élection. Ce résultat n’est pas pour nous une surprise. J’avais écrit après les européennes et à l’annonce de la dissolution de l’Assemblée dite nationale : « Le bateau France file tout droit dans la tempête. Quel que soit le résultat des législatives, scrutin majoritaire à deux tours totalement différent d’une élection européenne proportionnelle à un tour, les institutions ne permettront pas de mener une politique de rupture qui, seule, pourrait rétablir la France ». Nul besoin d’être devin pour comprendre qu’il est difficile de concourir et de gagner dans un jeu électoral dont vous ne maîtrisez pas la règle. Vos adversaires ont l’avantage du terrain. Le délai très court entre les européennes et les législatives a favorisé les partis institutionnels, notamment dans le choix des candidats. D’autant plus que vos adversaires ne se privent pas de tricher et qu’à mesure que le temps passe, le pourcentage d’électeurs issus de l’immigration augmente. Ils constituent les bataillons de réserve électoraux du régime.
L’autre aspect de cette séquence électorale, c’est la grande faculté qu’a le système pour se régénérer. Le parti socialiste a ressuscité. Les Républicains n’ont pas disparu du paysage politique malgré la scission de son président, se payant même le luxe de négocier des places à l’Assemblée avec la Macronie qui, même si elle a perdu sa majorité relative, fait mieux que résister. La règle en matière électorale a été édictée par Charles Maurras : « l’élection est conservatrice ». Jordan Bardella et Marion Maréchal avaient vendu à leurs électeurs la possibilité d’un changement de majorité à Bruxelles ; résultat, Ursula von der Leyen a été reconduite à la tête de la Commission européenne. Et le RN avait fait campagne sur la nomination de Bardella à Matignon ; résultat, Yaël Braun-Pivet a été réélue au perchoir et pour l’heure Gabriel Attal est toujours Premier ministre. Comme dans le film le Guépard de Visconti et le livre de Lampedusa : « Il faut que tout change pour que rien ne change. » Les périodes électorales s’accompagnent toujours de leur cortège d’hystérie. Je conseille toujours, notamment à mes proches et à mes amis, de suivre une cure de désintoxication de démocratie élective. Il faut savoir raison garder en la matière et toujours se remémorer que l’urne n’est pas le saint graal.
R. : La situation politique n’est-elle pas paradoxale car, d’un côté on apprend qu’Edouard Philippe dîne secrètement avec Marine Le Pen chez le macroniste Thierry Solère et que le ministre de la Défense, Sébastien Lecornu, dîne au même endroit avec Jordan Bardella quelques jours seulement après la dissolution de l’Assemblée et, de l’autre côté, le RN, malgré sa quête de dédiabolisation, est victime au second tour d’un efficace cordon sanitaire, ainsi d’ailleurs qu’au Palais- Bourbon où il n’a obtenu, contrairement à 2022, aucun poste à responsabilité. Comment analysez-vous cela ?
Y. B. : Les nationalistes savent qu’en France, comme dans tout le bloc occidental, la politique est un théâtre de marionnettes et qu’il faut se rendre dans les coulisses pour comprendre qui dirige. Dans ce jeu de dupes, chacun joue son rôle, avec d’un côté les bons et de l’autre les méchants. A part l’extrême gauche, tous, dans ce petit monde, ont plutôt des intérêts à défendre que de réelles convictions. Ils fréquentent les mêmes lieux de débauche, portent les mêmes costards et pratiquent les mêmes éléments de langage appris auprès des mêmes communicants des mêmes agences de communication. Lors du débat très médiatique des européennes où Jordan Bardella était confronté à la macroniste Valérie Hayer, il a été relevé que le candidat du Rassemblement national avait à de nombreuses reprises utilisé des formules qui étaient celles d’Emmanuel Macron dans le débat de l’entre-deux tours de la présidentielle d’avril 2022 contre Marine Le Pen. Côté pile, on s’étripe, côté face, on se fait des mamours, comme entre la mélenchoniste Manon Aubry qui fait une accolade tout sourire à Ursula von der Leyen tout juste réélue ; ou entre François Ruffin et Emmanuel Macron qui s’étaient entendus en amont au téléphone pour un bon coup de communication sur le dos des travailleurs d’Ecopla… Mais dans ce petit monde, la concurrence des places et des responsabilités est féroce. C’est un des moteurs du Front républicain qui fait par exemple que Gérald Darmanin a été réélu avec les voix de la France Insoumise.
L’autre règle qui fonde ce front uni, c’est que l’union contre le RN se fonde sur un socle d’idées de la pensée unique cosmopolite, coeur nucléaire de l’Etat profond oligarchique élevé au biberon du gauchisme. Marine Le Pen peut gigoter de la croupe dédiabolisatrice, elle servira toujours d’épouvantail à une gauche qui a trahi le monde du travail et à qui il ne reste plus que la lutte des droits des minorités et l’antifascisme.
Il ne faut pas non plus écarter le facteur psychologique de l’impact négatif du nom de Le Pen auprès de nombreuses personnes. Ce n’est pas un hasard si Marion Maréchal a renoncé au nom de son grand-père pour faire carrière.
R. : Depuis son émergence électorale il y a 40 ans le Front National devenu le Rassemblement National perd systématiquement au second tour de toutes les élections générales : départementales, régionales, législatives, présidentielle. Et à chaque fois ses dirigeants promettent que la prochaine élection sera la bonne, toujours démentis par les faits. Comment faire et que proposer concrètement pour sortir de cette impasse politique totale ?
Y. B. : Cela fait quarante ans que j’entends le slogan ridicule « Le Pen Vite ! » Il faut que le camp national comprenne une bonne fois pour toutes que la Le Pen et sa clique font partie du problème et ne sont en rien la solution. On ne peut pas passer sous silence toutes les trahisons sous prétexte que le pouvoir serait au bout du chemin. N’oublions jamais qu’elle a tout renié politiquement, à commencer par son père qui lui a tout donné, la fortune comme le parti. Le parricide constitue un crime très grave, y compris en politique.
Des années de politique de dédiabolisation, d’exclusion de militants fidèles et dévoués n’ont mené à rien, si ce n’est aller de défaites en défaites… jusqu’à la défaite ! Tout ça pour ça, serait-on tenté de dire ! Mais peu importe, le rendez-vous est donné en 2027 ! Pourquoi changer une équipe et une stratégie qui perdent ? Qu’est devenu le mouvement créé par Jean-Marie Le Pen en octobre 1972 ? Un parti d’arrivistes et d’invertis hystériques, dirigé par une baudruche gonflée à l’hélium de la com’ qui n’a jamais fait ses preuves dans la vraie vie (non plus d’ailleurs que le juvénile et carriériste Bardella qui n’a ni famille, ni métier, ni diplôme, autre que le bac) et dont le moteur est l’ambition personnelle. Certes, il reste des militants sincères mais dont l’espérance de vie militante au sein du mouvement est liée à leur servilité ou à leur naïveté. Le combat a été confisqué par un clan familial qui chasse les mandats électoraux. Pourtant, beaucoup de militants authentiques ont toujours une fausse bonne raison d’entretenir cette erreur. Lors de la dernière présidentielle, c’était le « tout sauf Macron » et lors des dernières législatives, c’était « il faut faire barrage au Nouveau Front Populaire ». Résultat, là encore, le régime perdure grâce à son assurance vie mariniste. C’est ce que l’on appelle une opposition tacite ou contrôlée…
Alors comment en sortir ? Le constat est simple. Il faut relever une anomalie. Si trois blocs politiques se sont affrontés lors des dernières élections, deux étaient à leur place : la Macronie, qui représente le pouvoir oligarchique, déroule son projet mondialiste et subversif de destruction de la France et de captation des richesses ; la gauche altermondialiste qui a le sens de l’ennemi, applique son programme sans se masquer et sans dédiaboliser, bien campée sur ses références idéologiques. La réponse à la victoire du RN aux élections européennes, qui était l’équivalent pour eux du Six-Février 1934, ne pouvait être que la constitution d’un nouveau Front Populaire.
Seul le bloc national que Marine Le Pen définit sur CNN comme étant entre le centre droit et le centre gauche n’est pas à sa place politiquement. Son centre de gravité naturel devrait être nationaliste. C’est cette anomalie qu’il nous faut rectifier. Le vide politique qui s’était ouvert à la suite des dérives du Reniement National avait été comblé par Eric Zemmour. Cette imposture que nous avions dénoncée dès la création de Reconquête apparait comme évidente depuis le 7 octobre 2023. Eric Moshe Zemmour est juif avant d’être français. C’est d’autant plus évident depuis que sa maîtresse s’est prononcée pour la défense de l’abattage rituel.
Nous appelons donc à l’émergence d’une véritable alternative autour du nationalisme français. Nous sommes prêts à travailler avec toutes les bonnes volontés et à mettre à disposition de la cause notre longue expérience du combat pour construire un Front Nationaliste comme alternative à l’impasse politique dans laquelle nous a conduits Marine Le Pen.
R. : Vous avez constitué aux européennes du 9 juin une liste Forteresse Europe conduite par l’avocat nationaliste Pierre-Marie Bonneau qui a obtenu plus de 5000 voix dans des conditions très difficiles. Pourquoi avoir pris cette initiative et comment faire pour rebondir après ce résultat ?
Y. B. : Cette candidature avait un triple objectif. Le premier était de desserrer le carcan de la répression et de se donner un peu d’air dans la pratique militante.
Le deuxième objectif était de rappeler la nature du programme doctrinal du combat national, loin des reculades et des trahisons du parti de Marine Le Pen : sortie de toutes les instances internationales, de l’Union européenne et de l’OTAN, abrogation des accords de Schengen, retour au franc et à notre souveraineté financière, rétablissement de la famille traditionnelle, défense de la vie de la conception à la mort naturelle, relance de la natalité et enfin arrêt et inversion des flux migratoires par une politique forte mais juste de remigration. Nous étions la seule liste à proposer un programme cohérent qui défend tout à la fois la souveraineté et l’identité. La spécificité et la singularité françaises ne peuvent pas être restaurées sans le retour à une complète et entière souveraineté. Et quelle serait l’utilité du rétablissement d’un Etat souverain s’il n’était pas au service de l’identité de notre nation historique, notamment son unité ethnique ? Souveraineté et identité sont les deux piliers sur lesquels repose le combat doctrinal. En toutes choses, il faut redevenir maîtres chez nous, maîtres de nos lois. C’est ce qui se nomme le nationalisme. Enfin, dernier aspect du programme Forteresse Europe, c’était le combat contre le sionisme qui met la classe politique en France sous influence étrangère.
Le troisième objectif de cette candidature, c’est d’appliquer la convergence des luttes. Forteresse Europe n’était pas la liste d’un seul mouvement mais une liste d’unité nationaliste. Et même s’il reste du travail à accomplir pour élargir le champ de cette unité, nous avons assisté à une belle et forte mobilisation militante. Avec un budget modeste de 8000 euros, là où certaines listes concurrentes ont dépensé entre 700 000 et 1 million d’euros, nous avons obtenu un résultat conforme à notre attente où plus de 6000 personnes ont répondu à notre appel. La participation aux élections européennes ne répondait pas à une démarche électoraliste mais à un engagement révolutionnaire. C’est dans cet esprit, tout à la fois de convergence d’action et de mobilisation militante, qu’il faut continuer, pour constituer ce Front Nationaliste, sans se priver de l’opportunité de se présenter aux futures échéances électorales tout en se gardant de pratiquer l’électoralisme.
R. : Que vous inspire l’actuel massacre du peuple palestinien qui se déroule dans l’indifférence générale du monde entier et avec la complicité active de tout l’Occident ? Et craignez-vous une extension du conflit au Liban ?
Y.B. : Dans l’indifférence du monde entier, non, je ne crois pas ! Dans l’indifférence des opinions publiques occidentales conditionnées par des media surpuissants et par la peur panique d’être taxées d’antisémites, oui sûrement ! Il faut répéter que le massacre qui s’opère en ce moment à Gaza relève du génocide. Que c’est un devoir moral de le dénoncer. On ne peut pas exterminer un peuple, femmes et enfants compris, le priver d’eau et de nourriture, de l’accès aux soins, détruire ses habitations, ses écoles, ses hôpitaux, ses cimetières, ses lieux de culte sans en payer les conséquences judiciaires et sans que ceux qui ferment les yeux sur cette tuerie de masse, ou pire la soutiennent, en soit déshonorés à jamais.
Il faut dénoncer aussi ceux qui font des Palestiniens un synonyme d’islamistes et tentent de nous faire croire par un raccourci totalement fallacieux que le Hamas serait responsable du Bataclan. Cette guerre s’inscrit dans la longue lutte de la résistance de tout un peuple, dans toutes ses composantes religieuses, afin de défendre et de récupérer une terre qui lui a été volée. L’entité sioniste, qui est née du terrorisme et qui se maintient par la guerre et le terrorisme, périra par la guerre. La seule solution est un Etat palestinien avec un statut particulier pour Jérusalem qui est la ville des trois religions. Une extension du conflit est toujours possible dans la mesure où ce fou de Netanyahu sait que, dès que le conflit cessera, il aura des comptes à rendre sur ce qui s’est réellement passé le 7 octobre et dont il est directement responsable. La guerre contre le Liban n’a pas commencé uniquement parce que les Américains ne sont pas favorables à cette intervention au moment où la guerre en Ukraine s’éternise.
R. : La répression ne cesse de s’aggraver, les dissolutions d’associations et de groupements pleuvent (la dernière en date du 26 juin concerne le GUD). En France mais aussi outre-Rhin où le mensuel patriotique Compact, proche de l’AFD, a été interdit le 16 juillet par le gouvernement allemand. Comment tenir, résister face à cette vague de répression qui ne va sûrement pas se ralentir avec le prochain gouvernement, quel qu’il soit ?
Y. B. : ll convient de serrer les rangs et de s’entraider. Et surtout de ne pas avoir, comme certains, le soutien sélectif. Il faut s’opposer à toutes les formes de répression, quelle que soit la structure ou la personnalité qui est visée. Il faut aider les associations comme le CLAN ou l’ANAG qui soutiennent financièrement ceux qui sont poursuivis et mettent à disposition des avocats. Ils ont édité un guide militant qui est distribué gratuitement.
Je tiens aussi à rappeler que cette répression est facilitée par les positions des responsables du Rassemblement national, Marine Le Pen et Jordan Bardella en tête, qui soutiennent et encouragent les dissolutions.
R. : Pouvez-vous nous dire où vous en êtes actuellement des procès intentés contre vous ? Et cette persécution quotidienne n’est-elle pas difficile à vivre ?
Y. B. : Faire la liste de tous les procès en cours serait fastidieux. Ce que je peux vous dire, c’est qu’actuellement je suis condamné à deux mois de prison ferme en jours-amende, jugement qui est définitif. Et je suis condamné à trois mois de prison ferme avec la pause d’un bracelet électronique ainsi qu’à un an d’interdiction de toutes manifestations et à deux ans d’interdiction de détention d’armes. J’ai fait appel de ce jugement mais l’appel n’est pas suspensif, même si mon avocat va déposer une requête en suspension de ce jugement, le temps que l’appel soit jugé. Quoi qu’il en soit, pour ces cinq mois de prison ferme, je suis en attente d’être convoqué par le juge d’application des peines afin de savoir à quelle sauce je vais être mangé.
Mais tout cela n’altère pas ma volonté de combattre. Que vaudrait notre idéal si nous n’étions pas capables de quelques sacrifices ? J’ai la peau dure et de solides amis qui m’aident ; seul, on est rien !
L’adresse électronique d’Yvan Benedetti est : yv.benedetti@gmail.com
Propos recueillis par Jérôme BOURBON.
Source : Rivarol n°3625 du 31/07/2024 au 03/09/2024
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