Depuis sa récente réélection, Donald Trump incarne plus que jamais une figure singulière de la scène politique mondiale. Son retour sur le devant de la scène s’inscrit dans une tendance qui semble aujourd’hui s’affirmer avec force outre-Atlantique : celle d’une "post-politique", une forme de communication politique épurée de l’art du raisonnement, où le discours se résume à une série de slogans bien frappés. Dans cette ère de l’instantané et de l’image, Trump se distingue comme un maître dans l’art d’incarner ses messages. Là où l’homme politique français doit justifier chaque promesse, chaque projet, Trump n’a qu’à affirmer — le verbe lui suffit, la posture achève le reste.
Aux États-Unis, l’efficacité d’un slogan semble primer sur toute autre considération. On ne demande pas à un candidat de s’expliquer, mais de s’imposer. Contrairement à la France, où l’art oratoire repose sur des explications rigoureuses et souvent interminables, la politique américaine semble s’être affranchie de la nécessité de convaincre rationnellement. Ce que l’Amérique veut entendre, ce sont des affirmations franches et sans concession. Les meetings de Trump, observés depuis la France, ont des allures de spectacle où l’homme n’a qu’à se présenter comme « celui qui va faire » pour qu’aussitôt le public se laisse conquérir.
L’une des clés de ce modèle est sans doute l’incarnation personnelle de l’action : l’individu politique américain est un acteur qui devient son propre slogan. Trump, avec son charisme brut et sa stature imposante, en est l’illustration parfaite. Un exemple frappant nous vient de ses interventions où, pressé par un journaliste sur son plan de réindustrialisation, il répond sans hésiter: « Ne cherchez pas à savoir comment, je vais le faire, c’est tout » ; L’assertion remplace ici l’argumentaire ; le mystère est assumé. En France, cette approche provoquerait sans doute un tollé : on exigerait des explications, des prévisions chiffrées, des justifications. Mais aux États-Unis, le ton change : la foi suffit, le charisme supplée.
Cette « post-politique » est devenue si efficace qu’elle inspire jusqu’aux rangs des élites “officielles” américaines. Kamala Harris, figure de proue démocrate, s’est ainsi récemment appropriée le slogan : « Quand le peuple vote, le peuple gagne » — formule d’ailleurs directement empruntée à Marine Le Pen. Aux États-Unis, il semble qu’il suffise désormais de répéter une phrase forte pour la rendre vraie et efficace, aux yeux d’un peuple qui ne cherche plus qu’à croire.
Une stratégie de communication virtuose
Mais ce phénomène, qui pourrait sembler simpliste, témoigne en réalité d’une stratégie de communication redoutablement efficace, où Trump excelle avec une virtuosité qui force l’admiration. Ce modèle repose sur une rhétorique quasi incantatoire, un déluge de slogans simples et directs qui parlent aux instincts et aux émotions. « Je vais sauver l’emploi », « Je vais restaurer la paix », « Avec moi, l’Amérique va gagner ». À force de répétitions, ces formules finissent par s’imprimer dans l’esprit de l’électorat comme des vérités à accomplir, sans jamais qu’on ait besoin de savoir « comment ». Trump, en cela, manie l’art du discours comme un hypnotiseur manie son pendule.
L’observateur français, enfermé dans son rationalisme pompeux, ne peut que regarder avec une étonnante combinaison de dédain et d’impuissance cette politique de l’assertion pure. Là où notre élite se perd dans des raisonnements interminables et des justifications pseudo-intelligentes, l’Amérique, elle, impose ses certitudes. Tandis que la France, aveuglée par son obsession pour le « savoir-faire » et la technocratie, a oublié la réalité du peuple, les États-Unis avancent avec une clarté brutale et une simplicité déconcertante.
Cette stratégie, aussi simpliste qu’elle puisse paraître, touche un point sensible : le besoin de croire. Dans une époque où la complexité règne en maître, l’électeur américain semble préférer des réponses simples, qu’il peut s’approprier et répéter. Et Trump, en parfait interprète de cette soif d’assurance, est passé maître dans l’art de se faire prophète.
L’essentiel n’est pas tant de convaincre les gens de la faisabilité d’un projet que de leur faire croire en la capacité d’une figure d’autorité à « tenir » ce projet, à le « vouloir ». Peu importe la méthode, peu importe le détail : le personnage est tout. Cette personnalisation extrême du discours a quelque chose de presque religieux, où le charisme et la puissance vocale priment sur la logique ou la raison. À l’image des orateurs antiques ou des prédicateurs modernes, Trump fait corps avec son message. Il n’a qu’à se tenir sur scène, devant des milliers de supporters brandissant des pancartes à ses mots d’ordre, pour déclamer des slogans martelés comme des mantras.
Au final, on est en droit de se demander si ce modèle post-politique, propre à l’Amérique de Trump, ne finira pas par contaminer l’Europe. En réduisant la politique à des incantations et à une simple démonstration de force personnelle, le discours se transforme en une série d’évidences quasi mystiques, loin des questions que nous, Européens, continuons de nous poser. Car si le peuple américain semble conquis par cette figure charismatique qui ne se soucie plus du « comment » nous serons peut-être demain contraints de constater que ce besoin de croyance et d’incarnation directe peut atteindre nos frontières.
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