Un texte de Nafy-Nathalie
Vous pensiez qu’obtenir des informations sur la superficie de votre terrain était un droit fondamental ? Non ! Détrompez-vous !
Vous souhaitez vendre votre terrain et vérifier sa superficie exacte ? Payant.
Vous voulez vérifier si votre clôture est bien positionnée sur votre propriété ? Payant.
Vous envisagez un projet d’extension et souhaitez connaître vos limites foncières ? Payant.
Autrefois gratuits, ces services sont désormais payants. En effet, sous prétexte d’optimiser ses services au public, une réforme a discrètement instauré une nouvelle façon de faire payer les citoyens pour accéder à leurs propres données.
À moins de vous lancer vous-même dans la mesure de votre terrain avec un mètre laser et des résultats pour le moins aléatoires, il vous sera difficile d’échapper à ces nouveaux frais.
Le Cadastre : un outil public maintenant à usage restreint
La vocation du cadastre, institué par la loi du 15 septembre 1807, est de mettre en place un état précis de la propriété foncière en France. Au fil des siècles, il est devenu un outil précieux de gestion qui contient des renseignements essentiels. En effet, il permet d’identifier les limites exactes d’un terrain, d’évaluer la surface des propriétés privées et publiques ou encore de fournir une base pour la fiscalité locale et les impôts fonciers.
Traditionnellement chacun pouvait consulter gratuitement le plan cadastral en ligne sur le site officiel cadastre.gouv.fr ou dans les services administratifs dédiés (mairies, services fonciers). C’est toujours le cas.
En revanche, il n’est plus possible d’accéder à toutes les informations auparavant libres comme nous le pouvions avant. Par exemple, la superficie des terrains était accessible gratuitement avec un simple clic sur la parcelle choisie. Ce n’est plus le cas depuis quelques semaines même si le site du gouvernement précise encore que ces données sont accessibles gratuitement.
Il semble que la modification soit survenue en même temps que le déploiement de l’opération de modernisation du cadastre en 2024.
Une modernisation et une digitalisation bien chère
La tarification partielle des services cadastraux en France est encadrée par plusieurs textes législatifs et réglementaires.
Ainsi le décret n° 2009-151 du 10 février 2009 autorise la rémunération de certains services rendus par l’État. Ce décret permet une valorisation de son patrimoine immatériel et établit le cadre général permettant à l’État de facturer certaines prestations.
Un arrêté du 16 mai 2011 complète ce décret en précisant les conditions de rémunération des prestations cadastrales fournies par la Direction générale des finances publiques notamment la délivrance d’informations cadastrales sur des supports spécifiques ou de grande taille.
L’administration peut donc maintenant facturer certaines de ses prestations cadastrales, tout en maintenant la gratuité pour les consultations courantes sur des formats standards avec une logique assez curieuse comme on le découvre sur le site du gouvernement.
De manière tout à fait incongrue, la reproduction sur une feuille entière au format A0 sur support papier coûte 9,50 €, et sur support plastique, 18 €. Par contre, elle est gratuite au format A4 ou A3 mais payante quand elle est sous format numérique.
Vous avez donc bien compris : une information délivrée sous format papier se retrouve moins chère à obtenir qu’une information délivrée sous forme numérique.
Difficile de comprendre cette monétisation sauf si l’État avance le coût de la numérisation et de la gestion des données qui pourrait nécessiter des ressources techniques et humaines. Le passage au numérique a donc un coût que l’État, a priori, trouverait légitime de répercuter.
Mais finalement, cet argument, s’il était avancé, semblerait être dans l’air du temps. De nombreux services publics, auparavant gratuits, sont devenus partiellement payants sous prétexte de modernisation (cartes grises, timbres fiscaux, accès aux archives, etc.) sans que personne ne s’y oppose vraiment.
Une régulation de l’accès au Cadastre bien discutable
Avec la monétisation, l’État s’est donc mis à réglementer l’accès du citoyen aux informations qui le concernent directement.
On imagine mal ce genre de régulation pour empêcher un citoyen de se mettre à abuser du cadastre en consultant trop souvent les dimensions gratuitement accessibles des terrains qu’il possède.
On imagine en revanche bien l’impact de cette mesure sur les professionnels gravitant dans ou autour du secteur de l’immobilier (agents immobiliers, architectes, géomètres, notaires et ainsi de suite) qui, eux, ont besoin de ces informations pour pouvoir travailler. On pourrait même parier sans trop se tromper que la mesure les vise eux de manière indirecte même si, au bout du compte, ce sera toujours le citoyen qui paiera l’addition.
Effectivement, les professionnels répercuteront ces nouveaux frais sur leurs clients. Un agent immobilier va inclure ces coûts supplémentaires dans ses honoraires. Un notaire va les ajouter aux frais d’acte. Un géomètre va les intégrer dans ses prestations.
Si l’accès à des données devient payant ou restreint, cela en limite également la transparence et l’usage public. Actuellement, le coût reste modique mais rien n’interdit de penser qu’il progressera au profit des différentes politiques, finissant par favoriser les grandes entreprises qui auront le moyen d’y avoir accès par rapport aux autres et au citoyen avec une rupture du principe d’égalité.
Une Nouvelle Source de Revenus pour l’État
Selon les données disponibles sur le site du cadastre, il y aurait entre 9 et 10 millions de consultations annuelles en fonction des années sur le site www.cadastre.gouv.fr. Ces nouveaux frais pour obtenir des documents cadastraux peuvent varier de quelques euros à plusieurs dizaines, selon la nature et la profondeur des informations demandées.
En partant sur le coût minimum de 5,5 euros facturable, nous serions donc au minimum de 49,5 millions d’euros récoltés et on imagine bien que ce chiffre est très sous-évalué par rapport à la réalité.
Il n’est pas illégitime de se demander à quoi les fonds récoltés serviront. Financeront-ils la mise à jour des bases de données cadastrales ? La charge est déjà budgétée dans le fonctionnement de l’administration publique. Couvriront-ils les coûts de gestion numérique du service ? Mais l’impôt sert déjà à ça, non ?
On peut donc parier que ces fonds généreront une rente supplémentaire, qui finira, comme souvent, dans le grand pot des recettes publiques.
En d’autres termes, cette monétisation ressemble, à s’y méprendre, à une taxe déguisée, récoltée de manière détournée par les professionnels, voire une «surtaxation» parce que le citoyen finance déjà ces services par ses impôts locaux et fonciers. Il va se retrouver à payer une seconde fois pour accéder à des informations qu’il contribue déjà à entretenir.
La question de la privatisation des données publiques commence à se poser
De plus, cette modernisation du cadastre pourrait masquer quelque chose de plus inquiétant.
Il n’est pas illégitime de se demander ou s’arrêtera l’État s’il commence à monétiser ainsi ce type de données. Quelle sera la prochaine étape ? Faudra-t-il payer pour consulter ses propres relevés d’impôts ? Son livret de famille ? Quelle autre information de base nous concernant ne sera plus gratuite ?
Et que se passera-t-il lorsque la gestion, commercialisation ou mise à jour des données sera externalisée à des entreprises privées ? Que deviendront-elles ? Ne va-t-il pas y avoir rapidement à des risques importants sur la rigueur et de l’exactitude ou un service de consultation à géométrie variable en fonction des coûts que l’on peut y mettre ne va-t-il pas s’installer ? Que deviendront les principes de transparence et d’accessibilité ?
Et comme toujours, ce sont les citoyens qui paient deux fois : une fois par l’impôt, et une seconde fois à travers ces nouvelles taxes cachées. Alors bien sûr, ce n’est pas la plus grande des injustices de l’histoire, mais c’est quand même une de ces petites mesquineries administratives qui rappellent que rien n’est jamais vraiment gratuit et qui grignote doucement nos libertés.
source : h16 free
https://reseauinternational.net/le-cadastre-comme-nouveau-moyen-de-vous-faire-payer/