À la vue de la carte des résultats par Wahl Kreis, beaucoup de commentateurs se focalisent sur l’échec de la réunification et une Allemagne coupée en deux entre un ouest CDU et un est AFD.
Peut-on autant simplifier les choses ?
L’échec de la réunification.
Une blague courait en Allemagne au début des années 2000 :
″Si l’on reconstruisait le mur de Berlin, qui le ferait le plus vite, les Ossis ou les Wessis ?″
Elle marquait la rupture du charme Kohlien autour de l’Allemagne réunifiée. A nouveau unis, le pays, n’avait pas réussi à effacer les séquelles d’histoires trop différentes.
La réunification avait coûté cher, sans effacer les limites et en fait d’aggiornamento, on avait plutôt eu le Mezzogiorno. En réalité, il faut considérer plusieurs aspects :
La réunification doit s’analyser sous trois angles : La gestion des entreprises d’état par la Treuhand, l’investissement dans les infrastructures et enfin, la politique ou non politique mise en œuvre pour reconstituer un peuple.
La Treuhand, autorité constituée pour privatiser les entreprises de l’état est allemand, fut, disons-le clairement une catastrophe. L’autorité socialiste avait alloué des dettes aux entreprises d’état, les comptables occidentaux, les ont comptabilisés au pair et y ont ajouté les dettes environnementales pour rendre la charge insupportable. Les entreprises de l’est mises en faillites, les financiers de l’ouest pouvaient les racheter, la supériorité du capitalisme sur le socialisme était établie.
On aurait pu appeler quelques hauts fonctionnaires français à la rescousse, eux auraient créé une structure pour apurer ces dettes1, préservé les entreprises, mais la démonstration idéologique eut été moins pure. Les amis du pouvoir ouest allemands auraient aussi moins facilement pu se servir.
Moralité, faute d’avoir voulu s’en donner la peine, la gestion catastrophique d’une restructuration trop violente a détruit le tissu d’entreprises de l’est et laissé massivement la population sur le carreau. Le chômage et la misère sociale ont prospéré, ils suffisent alors à expliquer un vote revanchard en faveur de l’AFD à l’est.
Le paris / calcul / stratégie était que le tissu entrepreneurial se reconstruirait grâce à la liberté apportée par l’occident après la dictature communiste et les nouvelles infrastructures. Paris manqué, comme si la prospérité ne sortait pas magiquement du ventre fécond de la liberté, mais on a en effet construit ou reconstruit nombre d’infrastructures : Autoroute, fibre optique, l’Allemagne de l’est fut remise à neuf et on peut voyager dans ce pays vide d’hommes sur des autoroutes de luxe.
Ces grands travaux ont sûrement fait des gagnants, mais pas le contribuable ouest allemand qui eu l’honneur de payer la réunification. Pas non plus le travailleur est allemand, trop souvent contraint de partir faire sa vie à l’Ouest. La carte des structures par âge en Allemagne montrent l’extraordinaire pourcentage de personnes âgée 60 ans et plus en Allemagne de l’esti, sachant que l’ouest est déjà considéré comme vieillissant.
On comprend la frustration de part et d’autre.
Celle-ci fut aggravée par un immense manque de sens politique, il n’y a pas eu de réunification, mais une absorption de la RDA par la RFA. Si symboliquement Berlin, redevenait la capitale, les lois, les règles, tout fut repris de la RFA, sans le moindre effort d’adaptation. Aucune reconnaissance des efforts, du travail de tout un peuple, la RDA était communiste, le communisme devait être éradiqué ! Il le fut !
Les Allemands de l’est se sont donc retrouvés étrangers dans leur pays, symboliquement dévalorisés, traités comme les perdants d’une guerre au moment où on leur parlait de fraternité. Cette dévalorisation de leur image n’a sans doute pas aidé et là encore, la place de l’AFD en Allemagne de l’Est s’explique.
Toutefois, il faut se garder des conclusions trop faciles.
Par exemple, le vote de Die Linke est largement centré sur l’Allemagne de l’est, en ce sens, le parti est l’héritier de l’ancien parti communiste et les vieilles sympathies peuvent expliquer son maintienii.
Seulement, la carte AFD diffère. Certes, l’AFD réalise ses meilleurs scores en Allemagne de l’est, mais son score national est proche de ses scores à l’est. Mathématiquement impossible sans de bons résultats à l’ouest.
Alors, comment expliquer cette carte noire de l’Allemagne ? L’AFD ne remporte aucun Wahlkreis, au contraire, partout la CDU/CSU arrive la première. En réalité, nous sommes victimes d’une ″pollution″ visuelle. La ″victoire″ de la CDU s’explique, non pas par sa force, mais par la faiblesse du SPD. La CDU récupère les déçus du SPD, parti auquel elle prend 1760 K électeursiii.
Seulement, le SPD perd aussi 720 K électeurs envers l’AFD et, plus surprenant, la CDU/CSU perds 1 010 K électeurs envers l’AFD. Autrement, dit, le vote n’exprime pas un rejet de l’AFD à l’ouest, mais une concentration de l’électorat vers la CDU/CSU à la suite de l’échec d’un chancelier devenu impopulaire aux résultats désastreux de sa politique.
La carte des votes AFD et celle des progrès de l’AFD se recoupent et montrent que même en Allemagne de l’ouest, le parti progresse et devient un acteur majeur du paysage politique. En ce sens, la carte noire, risque de se tacheter toujours davantage de bleu, si les mécanismes politiques à l’œuvre se poursuivent.
J’attire ainsi l’attention sur les forts votes AFD en Bavière, Baden-Württemberg et Nordrhein-Westfalen, Länder riches et peuplés.
Nous le verrons, lors des prochaines élections, sûrement dans un autre monde, mais si la tendance se poursuit, nous assisterons alors à un vote AFD massif.
Quel intérêt pour nous français ?
Si le vote AFD est national et non un épiphénomène lié à la rancœur des suites de la réunification, alors, on peut extrapoler ce résultat à la France. Ou plus exactement, ne pas le reproduire, car il constitue une leçon de choses politique.
L’AFD doit ses succès à une position pugnace, où il n’a pas fait de compromis sur ses positions. Alice Weidel est certes chargée de donner au parti une image présentable, mais derrière, le BCBG, la lesbienne, l’ancienne banquière qui a vécu en Chine pendant des années, il reste la femme politique pugnace.
Comparez les positions d’Alice Weidel avec celles de Jordan Bardella ou de Marine Le Pen. Pas seulement sur le contenu, mais aussi sur la manière. Weidel attaque, elle est dure à déstabiliser et lorsque la presse évoque un grand père nazi (Tiens, pour elle on a su le trouver), elle répond ne pas l’avoir connu, mais que sa famille fut contrainte de fuir la Silésie, les souffrances, les privations d’une partie de la population dont il fut longtemps interdit de parler.
Bref, elle ne s’excuse, ne sollicite pas le pardon et refuse le compromis. Sa pugnacité lui vaut le respect de beaucoup de gens en désaccord avec le programme de l’AFD. Lors des élections, le parti est revenu à ses racines avec un programme, certes anti-immigration, populaire en raison des difficultés économiques2, mais il a aussi su revenir sur le DEXIT, la sortie de l’Union européenne, thème à l’origine du parti.
On aimerait voir le RN revenir au frexit qui conduisit Marine Le Pen au second tour du temps de Philippot. On peut rêver. Au lieu de présenter des candidats idéologiquement solides, bien préparés, le RN préfère se coucher sur les choix essentiels pour ne pas fâcher la presse parisienne.
On pourrait objecter au choix de l’AFD comme modèle, mais constatons que d’autres partis s’engagent dans la même stratégie, avec tout autant de succès. Die Linke, pourtant à l’autre bout du spectre, progresse. Comment l’expliquer autrement que par ses positions pro paix ? De même le BSW, parti de Sarah Wagenknecht, issue d’une scission avec Die Linke atteint 4,97% pour sa première élection législative. Sa dirigeante conteste d’ailleurs les résultats et constatons-le, avec 10000 voix de plus, le parti entrait au Bundestag et la Coalition CDU/SPD devennait impossible. Cette beauté mathématique interpelle. Comme Trump, Wagenknecht n’hésite pas à contester et tenter de faire valoir ses droits. Là encore, le RN semble lui accepter les chiffres du ministère de l’Intérieur comme des oracles révélés.
N'y a-t-il rien à dire ? On s’étonne !
Constatons-le, la pugnacité des trumpistes, celle de Georgescu ou des partis d’opposition allemands contrastent avec celle des partis censés occuper la fonction tribunicienne en France. Certes, cela rend la vie difficile, car les pouvoirs en place multiplient vexations et attaques. Mais n’est-ce pas la grandeur du politique3 ?
Rien ne garantit la valeur d’un chancelier AFD, mais, si faute de l’avoir vu au pouvoir, on peut toujours douter, le parti mène au moins le combat sérieusement. En France, le peuple a investi le RN de la fonction tribunicienne, mais la PME Le Pen a choisi de se coucher. La libération est loin, alors que Trump et l’AFD nous montrent la voie : La lutte sans concessions.
Petite remarque au passage :
Vous constaterez la qualité du matériel mis à disposition du citoyen par les médias allemands. Même si on peut critiquer leur ligne éditoriale, permettez-moi tout de même de l’affirmer : J’apprécierais de trouver un travail de ce niveau dans les médias français. Là encore, la France est à la traîne.
1 Pour ceux qui cherchent des références, rappelez-vous que vous êtes actionnaires du crédit Lyonnais, mais sans vote et sans dividendes.
2 Sur ce plan, la CDU a fait aussi une campagne agressive.
3 Dire que je croyais Mandela honorable, car il avait passé 27 ans en prison pour ses combats, j’ai dû manquer un cours.
i Bevölkerungsentwicklung in Ost- und Westdeutschland zwischen 1990 und 2023 : Angleichung oder Verfestigung der Unterschiede ? - Statistisches Bundesamt