
L’absence de cadres mis aux enfants dans le milieu familial a souvent des conséquences pratiques assez immédiates, comme l’expliquent de nombreux parents qui ont perdu pied avec leur progéniture. « On ne plus aller nulle part, tellement nos enfants nous font honte et nous créent des ennuis ». Les hurlements et les courses poursuites dans les supermarchés, les cris et les déplacements dans les restaurants, l’agitation dans un cinéma, ou pire encore, les vitrines tourneboulées dans les magasins, les rayons écroulés, fouillés, vidés, les objets renversés… tout cela met mal à l’aise devant tout le monde et montre en public qu’on a raté quelque chose. Mais il y aussi les parents d’élèves de l’école, qui disent à leurs enfants à eux, de ne pas jouer avec le vôtre, qui ne veulent pas du vôtre aux anniversaires des copains de la classe, la maîtresse qui vous renvoie systématiquement une image pénible de votre enfant.
Alors il faut s’organiser, l’un des parents fait les courses tout seul, on ne va plus au cinéma, au restaurant. A la sortie de l’école, on se met à part pour ne pas être pris à partie par un parent qui va venir se plaindre que le vôtre a frappé ou insulté le sien. On évite d’aller à la rencontre des enseignants dont on sait pertinemment ce qu’ils vont nous raconter et ainsi de suite.
Mais assez régulièrement maintenant, cela va encore plus loin, avec des placements provisoires à l’Aide sociale à l’enfance, parce que à un moment, plus rien d’autre n’est possible, quand les psychologues, les enseignants, les CMP, CMPP, se sont tous cassés les dents et que rien n’avance. L’enfant est alors placé temporairement dans une famille d’accueil, pour que la famille puisse souffler un peu, refaire le point et que l’enfant puisse entendre des cadres de la part de quelqu’un d’autre, puisque ses propres parents lui apparaissent comme peu fiables et totalement déconsidérés. Le pire dans tout cela, c’est que l’enfant lui même, comprend que quelque chose ne va pas dans la parentalité et qu’il va s’en trouver déprimé, se demandant pourquoi ses parents à lui, spécialement, ne font pas ce qu’ils devraient faire.
A ce point que l’Aide Sociale à l’Enfance est débordée, pas seulement avec les problèmes éducatifs, mais également avec les problématiques importées, mineurs non accompagnés entre autres, dont le nombre a considérablement augmenté, si tant est qu’ils soient vraiment mineurs. Plus les familles avec un côté fondamentaliste, où les filles ne sont pas forcément les bienvenues. Plus les drames familiaux de la drogue, de l’alcool, de la délinquance, des problèmes de couples et de violences conjugales. Le tout cumulé fait que les placements sont devenus impossibles, les familles d’accueil manquant. Pire, des décisions de justice ne sont plus exécutées et des enfants en souffrance dans leur famille d’origine restent en place, dans un paysage de personnel éducatif en sous effectif, de personnel enseignant débordé et de manque de locaux. L’état, comme la famille et selon le même principe et le même cursus, paye au prix fort son manque de cadre, à l’école et en société, n’arrivant pas à rendre aptes à la vie sociale un nombre croissant de jeunes qui arrivent peu adultes à l’âge adulte et qui n’ont ni codes de comportement, ni aptitude au travail et qui n’ont même pas le désir d’en avoir. Comme ces familles qui ne peuvent plus emmener leurs enfants au supermarché, l’État ne peut plus placer ces mêmes enfants dans les rouages de la société. Mais ces « bienveillance » et « tolérance », expliqués depuis des dizaines d’années ont un prix. Comme pour la dette, l’état décide, l’état se trompe et c’est nous tous qui payons, c’est « l’autre dette » fabriquée de toutes pièces elle aussi, avec des décisions iniques, elles aussi, en forme de coût social, en cours d’explosion.