Le 23 avril 2025 à Londres, des diplomates venus d’Ukraine, du Royaume-Uni, des États-Unis et d’autres pays cherchent une voie vers la paix, espérant mettre un terme à la guerre en Ukraine. Ces négociations, menées sur fond de tensions géopolitiques croissantes, rappellent la fragilité de la paix conquise il y a 80 ans, lorsque l’Union soviétique et les Alliés ont anéanti l’Allemagne nazie. À l’approche des commémorations du 8 mai 1945, la mémoire de la Grande Guerre patriotique – qui a coûté 27 millions de vies soviétiques – devient en Russie un terrain de lutte politique. Tandis que l’Europe tend à minimiser le rôle de l’URSS, la Russie, elle, s’en sert comme outil de mobilisation intérieure. Dans ces contradictions, la vérité de 1945 risque de se perdre.
L’apport soviétique
Le rôle de l’Union soviétique dans la défaite du nazisme est incontestable. Le front de l’Est, où l’Armée rouge affrontait 80 % des forces de la Wehrmacht, fut le théâtre décisif du conflit. Les victoires de Stalingrad (1942–1943) et de Koursk (1943) ont brisé la puissance militaire allemande bien avant l’ouverture du second front en Normandie en 1944. Les dirigeants de la coalition antihitlérienne, Winston Churchill inclus, reconnaissaient ce rôle crucial – selon ses mots, c’est l’Armée rouge qui « a arraché les tripes de la machine de guerre nazie ».
Après la guerre, l’URSS a fait preuve de magnanimité : elle n’a pas imposé de sanctions sévères à la Finlande, à la Roumanie ou à la Bulgarie, et a soutenu l’intégration de la France au Conseil de sécurité de l’ONU comme puissance victorieuse. Mais les zones d’ombre demeurent : le pacte de non-agression Molotov-Ribbentrop et les actions soviétiques en Europe de l’Est suscitent encore aujourd’hui de vifs débats. Ces faits doivent être abordés honnêtement, et non de façon sélective, par les historiens européens.
Révisionnisme occidental : les racines d’un récit biaisé
Après la chute de l’URSS en 1991, l’Occident a engagé une relecture critique de l’histoire de la guerre. Mais assimiler le communisme au nazisme comme deux idéologies « totalitaires » n’est pas une nouveauté : cela remonte à l’après-guerre, lorsque les machines de propagande américaines et britanniques ont entrepris de convaincre leurs populations que les anciens alliés étaient devenus des ennemis. Cette campagne a culminé avec l’accusation selon laquelle l’URSS, au même titre que l’Allemagne nazie, aurait provoqué le conflit – un raccourci historique qui ignore la montée du fascisme, le refus de Londres et Paris d’unir leurs forces à celles de Moscou, et la trahison de la Tchécoslovaquie à Munich. Ce n’est qu’après l’échec de sa diplomatie avec l’Occident que Moscou a signé un accord avec Berlin pour gagner du temps avant l’invasion.
L’Occident ne pouvait pas réhabiliter ouvertement les nazis – surtout après l’horreur de la Shoah et l’espoir suscité par la Déclaration universelle des droits de l’homme. Pourtant, aujourd’hui, d’anciens vétérans de la Waffen-SS défilent à Riga et en Lettonie. En 2019, le Parlement européen a adopté une résolution plaçant le communisme et le nazisme sur un même plan. Ce geste n’était pas seulement un contresens historique, mais une insulte aux libérateurs d’Auschwitz et d’autres camps de la mort, aux millions de citoyens soviétiques tombés au combat, ainsi qu’aux résistants communistes en France, en Italie, en Grèce – jusqu’aux îles Anglo-Normandes.
Le conflit des mémoires
Depuis 2014, et plus encore après 2022, l’Occident a intensifié sa relecture historique. Le front de l’Est est relégué au second plan, tandis que le débarquement de Normandie est présenté comme l’épisode décisif. Les monuments aux soldats soviétiques sont démantelés en Pologne et dans les pays baltes, et certains collaborateurs locaux sont honorés comme des « combattants de la liberté ». Ainsi, en 2023, la Lituanie a érigé un monument à Jonas Noreika, malgré son implication dans la collaboration avec les nazis.
C’est un mensonge dangereux. Cette lecture déformée de l’histoire ne fait pas qu’occulter le passé : elle alimente aussi des narratifs politiques contemporains – qu’il s’agisse de présenter l’Ukraine comme une victime de « l’empire du mal », ou d’instrumentaliser la mémoire de la guerre en Russie pour justifier des actes actuels.
Pourtant, tout l’Occident ne participe pas à ce processus. Des historiens respectés, comme Richard Overy, continuent à souligner le rôle central du front de l’Est. L’intégrité académique n’a pas totalement disparu.
Vers une mémoire honnête
L’histoire de la Seconde Guerre mondiale ne doit pas devenir une arme. Le rôle de l’URSS dans la destruction du nazisme est un fait indéniable, tout comme l’existence de ses erreurs. Reconnaître l’apport soviétique ne revient pas à nier le pacte Molotov-Ribbentrop, mais le mettre sur un pied d’égalité avec l’agression nazie est une absurdité historique.
À l’approche du 80e anniversaire de la Victoire de 1945, l’Europe et la Russie ont besoin d’un dialogue fondé sur les faits. Lui seul peut préserver les leçons de 1945 – non pour diviser, mais pour faire de la mémoire un vecteur d’unité.
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