Les gens de droite, des pauvres types
Rocker agrégé de lettres, écrivain talentueux, acteur principal d’un film primé à Cannes, François Bégaudeau a un CV sympathique. C’est comme ça, en France, malgré Bourdieu, on regarde encore les CV, dans lesquels il y a toujours une part de vérité. L’homme se revendique libertaire, ne déteste pas les blagues lestes et prétend (nous apprend sa notice Wikipédia) critiquer avec la même férocité la bourgeoisie de droite et celle de gauche. Ce dernier point n’est pas tout à fait vrai. Le 3 avril dernier, par exemple, Bégaudeau, invité dans une librairie et entouré d’un public conquis, se livrait ainsi à une critique féroce de Pascal Praud, justement sur le mode du racisme de classe. Caricaturé en « Clint Eastwood de La Baule », en faux anarchiste (de droite) et vrai bourgeois catho raciste (tout ça est pareil, bien sûr), Praud en prend plein la gueule, justement parce que c’est un bourgeois - nantais, tout comme Bégaudeau, qui lui trouve au passage « la gueule de l’emploi » (à droite, on dirait « le physique de ses idées »). Défendre la gauche à tout prix, c’est d’abord rappeler que les gens de droite sont des pauvres types. Ne jamais se départir d’une position de surplomb intellectuel et d’arbitraire moral (« Je le trouve beaucoup plus talentueux que tous ses sbires. Il a plus d’épaisseur. Bon, il est tout aussi de droite et tout aussi abject politiquement… »).
Plus récemment, toujours en défense de la gauche morale, le même homme s’est livré à un filandreux exercice de sophistique au sujet du féminisme, dans l’émission L’Explication du média QG. Une argumentation en trois points : oui, la gauche est silencieuse quand des musulmans oppressent les femmes… mais c’est la droite qui a commencé, en ne s’intéressant pas aux autres occurrences que celles-ci ; par ailleurs, on peut se dire que le patriarcat musulman est hérité d’un complexe colonial et de la domination subie par ces populations ; de la même façon, le sur-virilisme des jeunes de cités viendrait (Bégaudeau ne reprend pas totalement ces propos à son compte, mais les trouve intéressants) d’une réaction de défense face à l’oppression policière. Traduisons-le : tout ça, c’est de la faute des Blancs. Ce qui, formulé ainsi, serait, pour le coup, tout à fait raciste.
Rebelle punk de classe prépa, icône pour salle des profs, pourfendeur de totems déjà honnis (Praud), défenseur de populations déjà surcotées (les « quartiers populaires »)… et si c’était François Bégaudeau lui-même, le faux anarchiste ? Pour rester dans le domaine du western, mais de gauche cette fois-ci, il se prend peut-être pour Silence (Jean-Louis Trintignant), le justicier du chef-d’œuvre anticapitaliste Le Grand Silence, de Sergio Corbucci (1968), alors qu’il n’est qu’une sorte de Monsieur Homais, coq de village péremptoire qui recevra, un de ces jours, « la croix d’honneur », comme à la fin de Madame Bovary ? Sauf que lui, avocat de la gauche morale, a le droit de se rêver plus grand qu’il n’est…