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Trois avertissements pour Erdogan

250428

Après avoir copieusement tiré parti de la guerre d’Ukraine, et des sanctions qu’elle contourne, la Turquie d’Erdogan traverse ces temps-ci une mauvaise passe à l’international.

Le plus récent a été connu ce 24 avril. Il s’agit de la réponse de la vice-présidente de la Commission européenne, Kaja Kallas dans le cadre des travaux du parlement européen. Au sein de celui-ci la Commission UE-Turquie est plus ou moins le dernier reliquat de la candidature turque enlisée depuis l’accord d’Ankara de 1963 et son dépôt officiel par le gouvernement de Turgut Ozal en 1987.

À vrai dire depuis 2018, les négociations d’adhésion sont officiellement au point mort. La raison invoquée constate les défaillances démocratiques fondamentales dans le pays. Néanmoins lors de la réélection d’Erdogan dont le régime islamo-conservateur dure depuis plus de 20 ans, les institutions européennes ont cru devoir adresser leurs félicitations à ce vainqueur de justesse. Il avait obtenu, après une campagne trafiquée, 52 % des voix au second tour, dont 5 % apportées par le ralliement du troisième candidat, issu des Loups Gris, Sinan Oğan.

À Paris, un Hubert Védrine pour qui l'Occident n'existe pas, semble toujours le maître à penser de la politique internationale. On ne s’étonnera donc pas si une Kaja Kallas, militante de l'Europe libre, ancienne Première ministre d'Estonie, est systématiquement dénigrée dans ses fonctions de représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.

Or, c’est sur ce dernier terrain, celui de la défense, régi par l’article 42-7 du traité de l’Union, que Kaja Kallas a lancé un solennel avertissement à Erdogan. Cette clause de défense mutuelle dispose en effet que « au cas où un État membre serait l'objet d'une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir ». Sur cette base elle a donc averti que « la Turquie doit respecter la souveraineté et l'intégrité territoriale de tous les États membres, ainsi que tous leurs droits souverains », dont Ankara se refuse, hélas impunément jusqu'ici, à tenir compte. Il semble clair que la concrétisation d’une telle doctrine européenne heureusement réaffirmée entraînera des conséquences, y compris dans un dossier comme celui du Groenland.

Une deuxième déconvenue, plus inattendue, s’est concrétisée en Asie centrale. Depuis 1991, Ankara considère les anciennes républiques musulmanes de l’Union soviétique comme son terrain de jeu naturel. Ce pays avait été le premier à reconnaître l'indépendance de l'Asie centrale. Sous la présidence de Turgut Özal, trois dirigeants de la région avaient effectué en Turquie leur première visite à l'étranger. Des hauts fonctionnaires avaient étudié en Turquie bénéficiant d’une bourse d'État turque, et Ankara les avait aidés non seulement à rétablir la religion et mais aussi à gérer les groupes radicaux infiltrés. L’ancienne métropole des Ottomans se positionnait ainsi comme « grand frère » des républiques d'Asie centrale. Il a même été créé pour cela une Organisation des États turciques. Celle-ci comprend 5 membres à part entière : l'Azerbaïdjan, le Kazakhstan, le Kirghizistan, la Turquie et l'Ouzbékistan. Le Turkménistan et même la Hongrie y ont le statut d'observateurs. Et l’entité étatique créée en 1983 dans la zone d’occupation d’Ankara, sous le nom de République de Chypre du Nord (RTCN, sigle turc : KKTC), reconnue exclusivement par la Turquie cherchait, jusqu’ici, à s’y faire admettre.

Or, le sommet UE-Asie centrale du 4 avril à Samarcande aura marqué à cet égard un tournant diplomatique majeur, se soldant par une défaite et une déception pour la diplomatie d’Erdogan. Cette rencontre rassemblait António Costa, président du Conseil européen, Ursula von der Leyen, et les présidents respectifs de l’Ouzbékistan, Chavkat Mirziyoïev organisateur de la réunion, Kassym-Jomart Tokayev du Kazakhstan, Sadyr Japarov du Kirghizstan, Emomali Rahmon du Tadjikistan, et Serdar Berdimuhamedov du Turkménistan. Une déclaration commune a été publiée. Elle réitère l'engagement de se conformer aux résolutions 541 et 550 du Conseil de sécurité de l'ONU, qui, depuis plus de 40 ans, rejettent explicitement la légitimité de la KKTC et réaffirme l'intégrité territoriale de la République de Chypre. Ceci conditionnait un accord substantiel et détaillé de coopération économique et de connectivité avec l’Europe.

Enfin un troisième avertissement au régime d’Erdogan a été donné par le gouvernement allemand, en tant que partenaire du consortium Eurofighter. Révélé le 18 avril par le journal financier Handelsblatt, qui cite des sources informées de discussions secrètes au sein du gouvernement sortant, le blocage allemand se fonde sur des raisons clairement politiques. L’arrestation, le 19 mars du maire d’Istanbul Ekrem Imamoglu, figure de proue de l’opposition laïque et libérale, rassemblée autour du vieux parti kémaliste en vue de l’élection présidentielle de 2028, est en effet tenue par Berlin comme signifiant la rupture d’Ankara avec les normes démocratiques. Dans un tel contexte le gouvernement allemand s’oppose désormais aux licences d'exportation d'avions.

Europe : 3 ; Erdogan : 0. Un bon score pour ce printemps

JG Malliarakis

https://www.insolent.fr/2025/04/trois-avertissements-pour-erdogan.html

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