Une ingérence qui exacerbe les tensions
Invitée de France Info, Valérie Hayer n’a pas mâché ses mots : « On va mener une campagne active pour faire prendre conscience aux Roumains qu’il y a un enjeu démocratique important pour l’avenir du pays et de l’Europe », a-t-elle déclaré, promettant d’organiser des réunions, y compris en France, pour mobiliser la diaspora roumaine en faveur de Nicușor Dan. Cette prise de position, dénoncée comme une ingérence par le Rassemblement national et d’autres voix souverainistes, intervient dans un contexte explosif. L’annulation du scrutin de décembre 2024, justifiée par des soupçons d’ingérence russe sur la campagne TikTok de Georgescu, a été perçue par beaucoup comme une manipulation des élites pro-UE pour écarter un candidat anti-système. Interrogé par BV, Şerban-Dimitrie Sturdza, eurodéputé conservateur indépendant roumain, résume l’état d’esprit local : « Le peuple roumain se sent trahi et humilié. L’annulation du premier scrutin, simplement parce qu’il a exprimé une préférence souverainiste et pas européiste, a provoqué une vague de colère sociétale sans précédent. »
Cette colère, loin de s’apaiser, semble avoir dopé le score de Simion, successeur désigné de Georgescu. En s’affichant aux côtés de ce dernier lors du vote, Simion a capté l’électorat nationaliste, séduisant les ruraux et la diaspora exaspérée par la corruption des partis traditionnels. L’intervention de Hayer, en polarisant davantage le débat entre « pro-européens » et « souverainistes », risque de renforcer - toute proportion gardée - cette dynamique. Comme le note le politologue Sergiu Mişcoiu auprès de l’AFP, Simion dispose de « faibles réserves de voix » pour le second tour, mais la maladresse des pro-UE pourrait lui offrir une mobilisation inattendue. La rhétorique de Hayer, qui oppose un « projet pro-européen » à un « projet pro-russe » sapant l’État de droit, caricature le choix des Roumains et alimente leur défiance envers Bruxelles.
Un scrutin aux enjeux européens
L’inquiétude des dirigeants européens, Ursula von der Leyen en tête, est palpable. Une victoire de Simion, eurosceptique sympathisant de Donald Trump, serait un coup dur pour l’UE, déjà confrontée aux voix dissonantes de Viktor Orbán et du Slovaque Robert Fico. Contactée par BV, Georgiana Teodorescu, eurodéputée AUR, relativise cette peur : « Il n’y a pas de réelle inquiétude quant à la victoire de George Simion. Sa victoire renforcerait la présence de la Roumanie dans l’UE et le partenariat stratégique Roumanie-États-Unis. » Pour elle, le véritable enjeu est idéologique : « Nous assistons à une lutte entre mondialisme et souverainisme, entre progressistes et conservateurs. » Une lecture qui fait écho à la montée des droites souverainistes en Europe, de l’Italie de Meloni à la France de Le Pen, qui a salué le score de Simion comme un « très joli boomerang » pour von der Leyen.
Ironiquement, les efforts des pro-UE pour contrer Simion pourraient se révéler contre-productifs. En dénonçant von der Leyen comme une « agente électorale involontaire » de Simion, Teodorescu pointe ses politiques – Pacte vert, accueil des migrants – perçues comme des diktats bruxellois. Dans un pays où l’inflation a atteint 10 %, en 2024, et où les fermetures d’usines alimentent le mécontentement, ce ressentiment est un carburant puissant pour AUR. Sturdza enfonce le clou : « Les Roumains exigent d’être respectés, tant par les dirigeants de Bruxelles que par leurs représentants nationaux, et rejettent de nombreuses décisions absurdes, contraires à leurs intérêts, traditions, foi et identité. » À vouloir imposer un choix, Hayer et ses alliés risquent de transformer le scrutin roumain en un référendum contre l’UE, offrant à Simion une victoire symbolique.