D’Olivier Amos, entrepreneur et ancien conseiller régional, pour le Salon beige:
La crise institutionnelle que nous vivons actuellement trouve son origine dans une succession de renoncements et de trahisons des valeurs qui ont fait la grandeur de notre pays. Longtemps considérée comme source d’inspiration des autres nations, la France est aujourd’hui à la remorque des modes socio-économiques venant essentiellement des Etats-Unis. Jadis première puissance mondiale, le “Land” français est désormais soumis politiquement à l’Allemagne dans le carcan réglementaire, normatif et monétaire qu’est devenue l’Union européenne. Notre pays a abandonné toutes ses prérogatives régaliennes au profit de l’UE et ne décide plus de son avenir. Il n’est plus un Etat au sens juridique du terme, comme le rappelait récemment Marie-France Garaud. Depuis la trahison du traité de Lisbonne, les Français semblent avoir abdiqué leur souveraineté aux technocrates mondialisés. Va-t-on attendre la banqueroute annoncée de l’Etat pour reprendre notre destin en main sur les ruines d’une nouvelle révolution dévastatrice ? Il existe pourtant un remède pour éviter d’en arriver à cette extrémité.
Une fracture sociologique croissante
Vingt ans après sa mise en lumière aux USA par Christopher Lasch, nous observons en France une sécession entre deux mondes devenus antagonistes :
Le peuple français privé de sa souveraineté regarde avec nostalgie, impuissance et inquiétude s’effondrer ce pays de cocagne, craignant pour l’avenir de ses enfants. Il rejette désormais massivement les dirigeants médiocres qu’on l’a contraint à choisir dans des simulacres d’élections et qui n’ont plus de réel pouvoir. Il ne se retrouve plus dans ces technocrates décadents qui pratiquent l’entre-soi et l’accaparement des richesses. En conséquence, les Français se sentent à juste titre dépossédés de leurs biens (individuels mais aussi collectifs) et de leur capacité d’influer sur le fonctionnement de leur société. On assiste ainsi à un retour au patriotisme de la base populaire, qualifié par les élites de « repli-sur-soi », la Patrie étant le dernier refuge de ceux qui ont tout perdu…
De l’autre côté, les « élites » hors-sol privilégiées, faute de pouvoir agir sur le régalien, rejettent la faute sur ce peuple « ingouvernable » qui refuse leurs injonctions morales et leurs réformes sociétales. Pensant savoir ce qui est bon pour lui, elles méprisent le bon sens de cette « France périphérique », en déniant à « ceux qui ne sont rien » la capacité même de décider de leur avenir, leur confisquant progressivement les leviers de décision pour éviter qu’ils ne « votent mal ». Ces technocrates ne se sentent plus liés à la France et à leurs compatriotes. Devenus « citoyens du monde » jaloux de leurs privilèges de classe, leur allégeance va désormais à l’UE, au « progrès universel » et à la finance internationale.
Malheureusement un peuple privé de son élite, ou une élite privée de son peuple, sont voués à disparaitre rapidement. Le récent exemple syrien l’a encore démontré.
En Occident, et particulièrement en France, la guerre de la bourgeoisie contre le peuple n’est pas nouvelle et entraîne progressivement le pays dans le chaos : médiocrité des élites, inversion des valeurs, justice à deux vitesses, insécurité endémique, amoralité généralisée, corruption systémique, jeunesse déboussolée, mal-être grandissant, institutions défaillantes, décadence des corps constitués, pauvreté croissante, économie à la dérive, communautarisme, remplacement de la population autochtone…
Devant ce tableau sombre, lorsque l’intérêt général sert une minorité, la tentation est grande de se replier sur son intérêt particulier. Beaucoup font le choix de s’isoler idéologiquement ou parfois physiquement de ce monde pour protéger leur famille ou simplement leur intégrité. Si cette attitude est salvatrice à court terme, c’est au final reculer pour mieux sauter. Car comme le disait Montalembert, « vous avez beau ne pas vous occuper de politique, la politique s’occupe de vous tout de même. »
Un remède méconnu : le Bien Commun
Pour résorber cette fracture, il faut retrouver un idéal commun entre ces deux mondes. Le « vivre ensemble » qu’on nous vend actuellement n’est qu’une forme de cohabitation par dépit, mais ne suffira pas pour réconcilier les Français avec leurs dirigeants. Comme dans un couple, regarder dans la même direction est nécessaire, mais il faut de surcroît une charité réciproque pour qu’il dure. Or, cette prise en compte des intérêts de chacun des corps de la société s’incarne dans la recherche du Bien Commun.
Cette notion de Bien Commun issue de la philosophie antique, reprise par la théologie chrétienne et proposée par la Doctrine Sociale de l’Église, n’est pas la somme des intérêts individuels mais « l’ensemble des conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres d’atteindre l’épanouissement intégral ». Elle ne doit donc pas être confondue avec l’intérêt général qui n’a pas de dimension morale, qui est défini par le gouvernement ou la caste au pouvoir, donc limité dans le temps, variable en fonction du contexte ou des époques et qui s’oppose aux intérêts des individus lorsqu’ils ne convergent pas.
« Le bien commun ne consiste pas dans la simple somme des biens particuliers de chaque sujet du corps social. Étant à tous et à chacun, il est et demeure commun, car indivisible et parce qu’il n’est possible qu’ensemble de l’atteindre, de l’accroître et de le conserver, notamment en vue de l’avenir. Comme l’agir moral de l’individu se réalise en faisant le bien, de même l’agir social parvient à sa plénitude en accomplissant le bien commun. De fait, le bien commun peut être compris comme la dimension sociale et communautaire du bien moral. »
Cette définition nous ramène à la distinction du bien et du mal dans nos décisions, notions largement ringardisées par le relativisme actuel. Elle souligne la nécessité de pratiquer le bien, non seulement individuellement, mais aussi collectivement, si l’on veut construire une société vertueuse qui permette l’épanouissement de ses membres. On peut la résumer par l’injonction suivante : « Tout ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le pour eux ».
En somme, le bien particulier n’est pas atteint s’il n’est pas orienté vers le bien commun, et le bien commun est atteint en procurant le bien particulier de chacun.
Des principes universels
Le Bien Commun repose sur cinq principes :
- Le respect de la dignité humaine de chaque individu et la recherche de son bien-être, terreau indispensable à son épanouissement
- La liberté d’agir de façon responsable, en toute souveraineté
- La subsidiarité, qui découle du précédent et consiste à confier aux échelons inférieurs de la société la responsabilité d’organiser la vie sociale dans tous les domaines qu’ils peuvent assumer, les échelons supérieurs n’intervenant que si la réponse à donner excède les capacités du niveau évoqué.
- La destination universelle des biens qui garantit à chacun, dans un souci de justice et de solidarité, la possibilité de jouir du bien-être nécessaire à son plein épanouissement
- La charité, qui ne consiste pas en une solidarité naïve, mais en un altruisme ancré dans le Bien Commun. Il s’agit d’utiliser notre capacité à faire des choix libres et responsables en faveur de la plénitude matérielle, morale et spirituelle du groupe et des individus qui le composent.
Ses applications concrètes
Au niveau politique
La responsabilité de la construction du bien commun incombe non seulement aux individus mais aussi à l’État, car c’est la raison d’être de l’autorité politique. Il est donc nécessaire de substituer la notion d’intérêt général (souvent le fait du Prince) par celle, plus intégrale, du Bien Commun dans notre conception des politiques publiques. Pour garantir le bien commun, le gouvernement a pour tâche spécifique d’harmoniser avec justice les divers intérêts sectoriels. Il y a là une responsabilité des autorités de décision de concevoir chaque aspect de la loi et de son exécution en fonction des impératifs posés par la recherche de l’épanouissement plein et entier de chaque individu et de chaque communauté.
De notre côté, nous avons le devoir de porter aux plus hautes responsabilités des personnes qui s’engagent véritablement à inscrire leurs actions dans cette démarche.
La mise en place d’une gouvernance basée sur la subsidiarité serait de nature à redonner confiance dans nos institutions, mais nécessite de revoir le fonctionnement de l’Union Européenne qui a dévoyé ce terme en l’appliquant à l’envers.
Au niveau social
Le bien commun est toujours orienté vers le progrès des personnes, auquel le progrès social doit être subordonné. Il faut donc sortir la notion de Bien Commun du domaine social où nous avons tendance à le cantonner pour en faire un principe supérieur.
Plus qu’un simple acte de charité ou une notion philosophique désincarnée, il doit devenir la boussole qui guide chaque individu dans la conduite de sa vie, tant personnelle que professionnelle, tant dans la sphère intime que dans sa place au sein de la communauté. Autrement dit, évaluer nos propres actions au regard des principes essentiels du Bien Commun que sont la liberté, la charité et la responsabilité, nous permettra de contribuer au renouvellement du substrat social et d’en devenir acteurs.
Au niveau économique
Le fonctionnement de notre société est actuellement structuré par notre modèle socio-économique. Le droit en découle largement. Le Bien Commun dans sa dimensions économique relève de la macro-économie. En la matière, il existe une autre voie méconnue entre capitalisme et collectivisme, celle du distributionnisme (ou distributisme) qui assurerait une plus juste répartition des richesses et des pouvoirs.
Se distinguant du socialisme d’État, qui ne permet pas aux individus d’être propriétaires des moyens de production (accaparés par l’État, la communauté ou les collectifs de travailleurs), et du capitalisme qui ne permet qu’à quelques-uns (les plus puissants et les plus riches) d’en posséder, le distributisme veut garantir à chacun la propriété de ses moyens de production. Une distribution plus juste de la propriété (à ne pas confondre avec la redistribution des richesses) évite de tomber dans la concentration ultracapitaliste ou la privation de liberté socialiste. J.K. Chesterton a su résumer avec finesse cette philosophie économique : « Trop de capitalisme ne signifie pas trop de capitalistes, mais pas assez. »
Pour y parvenir, le distributionnisme prône :
- La garantie de la propriété privée (pour assurer l’indépendance de chaque individu),
- Un retour aux corporations qui protègent les travailleurs (par opposition aux syndicats politisés),
- La suppression du système bancaire actuel fondé sur le profit (qui fausse l’économie réelle)
- Une concurrence raisonnable et non faussée
- La protection et la promotion de la famille nucléaire, base de la société
- La subsidiarité
A la lecture de ce programme, on comprend que cette théorie politique ne soit pas enseignée, d’autant qu’elle trouve sa source dans l’encyclique Rerum Novarum du pape Léon XIII sur la condition ouvrière (1891).
Mise en application
Inspiré par cette troisième voie économico-sociale, le Général de Gaulle a tenté de réformer le système économique français pour instaurer ce qu’il appelait « la participation en entreprise ». Il a malheureusement été trahi par l’élite dirigeante de l’époque, qui a préféré privilégier ses intérêts personnels au Bien Commun.
Plus récemment, Trump et son équipe semblent avoir compris ces nécessités, si l’on en croit le discours mémorable du vice-président Vance à Munich. Resteront-ils fidèles à leurs promesses pour les mettre en pratique aux USA ?
Les modes américaines arrivant toujours en France avec 10 ans de retard, nous pouvons espérer ce changement vers 2035. Il ne tient qu’à nous de préparer le terrain dans les esprits et dans les cœurs pour qu’il advienne et que la France retrouve son âme et sa prospérité, qui n’est pas que matérielle…