C’est une décision de justice qui soulève l’incompréhension, l’indignation, et désormais une colère froide. Le parquet de Lorient a annoncé le classement sans suite de l’affaire du passage à tabac d’un tatoueur d’Auray, roué de coups par plusieurs individus, en marge du match Lorient-Caen, le 26 avril dernier. Une affaire pourtant documentée, avec preuves, témoignages et même des gardes à vue assorties d’aveux partiels. Rien n’y a fait.
La scène avait pourtant glacé d’effroi ceux qui en ont été témoins, ce soir-là, aux abords du QG des Ultras, dans le quartier de Carnel. La victime, Ronan, un professionnel bien connu et apprécié à Auray, avait été littéralement lynchée au sol, recevant des coups de pied à la tête alors qu’il était déjà inconscient. Hospitalisé en urgence, il souffre depuis de graves séquelles : une paralysie partielle du visage, un œil endommagé, et une impossibilité de reprendre son activité de tatoueur à temps plein. Il envisage aujourd’hui une reprise partielle à mi-temps, à condition que la douleur le lui permette.
« Il a été massacré, et on nous dit aujourd’hui que ce n’est la faute de personne ? C’est une gifle donnée à l’ensemble des collègues qui ont bossé sur ce dossier », lâche un policier lorientais, sous couvert d’anonymat, des policiers qui ont travaillé des semaines pour boucler une enquête et fournir à la Justice tout ce qu’il fallait pour poursuivre.
Trois individus avaient pourtant été interpellés et placés en garde à vue le 10 juin, parmi lesquels l’ex-leader du groupe ultra local, déjà condamné en 2024 pour violences et actuellement toujours sous le contrôle des autorités (interdit de stade mais aperçu à certains matchs selon une source interne au club). Selon nos sources, certains d’entre eux avaient reconnu leur participation à l’agression. L’un avait même admis avoir « perdu le contrôle ». Un SMS adressé par l’un d’entre eux dès le lendemain, à la victime elle même, ne fait aucun doute sur la reconnaissance des faits.
« Salut Ronan, Je ne sais pas comment on a fait pour en arriver là ».
Mais le parquet a estimé que le « comportement » de la victime avait contribué à l’engrenage, évoquant une « rixe » et non un guet-apens, et mettant en avant un « geste idéologique »- sans préciser lequel – que la victime aurait accompli ce soir-là, geste que la victime réfute totalement et qui n’est indiqué…que par les amis des Ultras qui étaient inquiétés par la justice… Le communiqué de Merlus Ultras publié pour l’occasion écarte d’ailleurs tout geste politique.
« Moi je l’ai vu passer aux urgences. Il était méconnaissable. Ce n’est pas une rixe. C’est une exécution de rue », s’indigne un membre des secours ayant vu passer la victime à l’hôpital ce soir là. « On nous parle d’un comportement provocateur, mais depuis quand ça justifie un passage à tabac, un lynchage ? »

La victime juste après l’agression . Un classement sans suite ?
Le climat est désormais électrique. Dans les milieux ultras, toutes tendances confondues, la nouvelle du classement sans suite provoque une onde de choc.
« Peu importe qui il est, ce qui est arrivé est inacceptable. On ne frappe pas un mec à terre. Et on ne sort pas indemne de ça. Mais là en plus, Ronan est connu de toute la scène football en France et même parfois ailleurs. Il organise des concerts, il tatoue, y a jamais eu le moindre soucis lié à la politique, ou au football d’ailleurs », commente un membre actif d’un groupe ultra d’un club du Sud de la France, plutôt réputé « de gauche », qui affirme que la « rue répondra si la justice ne fait rien , c’est évident, la saison va être très très longue pour les Ultras de Lorient et pour les autorités, mais elles ne pourront que demander des comptes à ceux qui sont censés rendre la Justice au nom du peuple. Il y a énormément de gens en colère. Je crois qu’ils ne se rendent pas compte ».
A commencer par les Guingampais, qui joueront Lorient en amical le 26 juillet, puis Angers, le 9 août, Rennes, le 24 août…et Marseille en septembre.
Le parquet, pour sa part, reste muet sur les motivations précises du classement sans suite. L’avocat de la victime, Me Valentin Le Dily, conteste sa décision, d’autant plus que les faits sont d’une extrême gravité. La comparaison avec l’affaire Clément Méric, du nom de ce militant d’extrême gauche décédé en 2013 à la suite d’une altercation avec des militants nationalistes à la sortie d’une vente privée, à Paris, peut être faite. Dans ce dossier, les accusés ont comparu aux assises pour une bagarre et un décès provoqué par un coup de poing au visage et une mauvaise chute contre un poteau. Ici, il s’agit d’un homme laissé inconscient, visage tuméfié, sur la chaussée, et d’individus identifiés.
« C’est du deux poids, deux mesures. Encore une fois. Là c’est un mec tatoué, hors du système, sans parti, sans réseau, alors la justice ne se dérange pas. Le pire c’est qu’il n’était même pas carté aux Merlus Ultras comme l’indique la presse, et qu’il n a jamais fait de politique. Il faudrait que les magistrats viennent dans ses concerts, ou aux évènements qu’il organise…ils verraient la population diverse politiquement qui s’y trouve. C’est la musique et la fête qui réunit tout le monde, pas la politique, les types sont totalement à la ramasse et se laissent influencer par les antifas », dénonce un indépendant rennais.
Le parquet a-t-il voulu éviter un procès retentissant impliquant un groupe ultra dans une ville qui vient de remonter en Ligue 1 ? A-t-il cédé à des influences politiques ? Ou bien considère-t-il, cyniquement, que « les deux parties sont responsables » dans une affaire où pourtant, l’une d’elles est toujours médicalement détruite et l’autre libre de ses mouvements ?
Quoi qu’il en soit, tout n’est pas terminé. Il est juridiquement possible de relancer une procédure même après un classement sans suite. Il est ainsi étudier de porter plainte avec constitution de partie civile, mais aussi de faire un recours hiérarchique auprès du procureur général. De nouveaux éléments pourraient également être apportés à l’appui de la victime.
Dans tous les cas, ce classement sans suite pose une question majeure : dans quelle société vit-on lorsqu’un passage à tabac aussi grave peut être effacé d’un trait de plume judiciaire ? Ronan a vu sa vie personnelle basculer en quelques minutes, et sa vie professionnelle compromise. Et pendant que les supporters de foot débattent des transferts estivaux, un homme reconstruit difficilement son visage. Et beaucoup de ses amis et des ses proches ont légitimement le droit de se poser des question sur l’état de la Justice de leur pays.
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