
par Jean Pégouret
À l’occasion de la célébration le 3 septembre 2025 à Pékin du 80ème anniversaire de la capitulation du Japon en présence des présidents Xi Jinping et Vladimir Poutine, cet article à paraître dans Dialogue France Chine rappelle que si la paix a toujours été recherché depuis l’Antiquité, elle n’est durable que ni dans l’oubli, ni dans la falsification de l’histoire.
Alors que nous célébrons le 80ème anniversaire de la victoire commune contre le nazisme et le militarisme et que certains en Europe cherchent à réécrire l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, en substituant par exemple la commémoration du 6 juin 1944 (débarquement en Normandie) à celle du 8 mai 1945 (victoire sur le nazisme), il est essentiel de rappeler une vérité historique incontournable : les peuples de Chine et d’Union soviétique ont payé le plus lourd tribut dans la lutte contre le fascisme.
La Chine a eu plus de 21 millions de victimes civiles et militaires durant la Guerre de Résistance contre l’agression japonaise (1937-1945) et l’URSS, 27 millions de morts. Il faut les comparer aux pertes françaises, qui s’élevèrent à environ 600 000 morts, et aux pertes américaines, à environ 400 000.
Ces chiffres rappellent une évidence : sans le sacrifice héroïque de l’Armée rouge et la résistance chinoise, la victoire contre les forces de l’Axe aurait été impossible.
Il ne faut pas oublier non plus que les populations des pays agresseurs, l’Allemagne et le Japon, ont elles aussi payé le prix du militarisme de leurs dirigeants avec respectivement 7,3 et 2,9 millions de morts.
Nous devons résister à toute tentative de réécriture de l’histoire car une paix véritable et durable qui honore toutes les victimes ne peut se construire sur l’oubli, le mensonge ou l’humiliation.
La quête de paix, une constante depuis l’Antiquité
Dès le Ve siècle avant notre ère, les philosophes grecs avaient réfléchi aux conditions de la paix. Aristote considérait que la paix était l’état naturel des sociétés bien gouvernées et Thucydide montrait comment la paix fragile après les guerres médiques avait conduit à la guerre du Péloponnèse.
La pensée chinoise antique à la même époque avait développé des concepts sophistiqués en la matière. Confucius prônait l’harmonie sociale comme fondement de la gouvernance vertueuse. Dans son ouvrage «L’Art de la Guerre», Sun Tzu enseignait que «le meilleur général est celui qui gagne sans combattre». Le concept de tianxia envisageait un ordre mondial harmonieux.
Ces traditions nées dans des contextes de guerre dans des civilisations éloignées dans l’espace montrent que la paix a toujours été perçue comme un idéal.
Tirer les leçons de l’histoire
L’histoire montre que les traités humiliants et les paix «punitives» engendrent de nouveaux conflits. Le Congrès de Vienne en 1815 après les guerres napoléoniennes et l’écrasement des aspirations nationales a nourri les révolutions du XIXe siècle. L’humiliation de l’Allemagne au Traité de Versailles en 1919 a alimenté l’ascension du nazisme. La division du monde en 1945 a créé des tensions durables qui s’exacerbent aujourd’hui.
Certaines initiatives de paix fondées sur la «main tendue» et le respect mutuel sont des exemples de réussites comme la réconciliation franco-allemande d’après 1945 puis la construction européenne. L’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) a permis depuis 1995 la résolution pacifique des contentieux frontaliers sino-russes.
La Chine fait la promotion d’une communauté d’avenir partagé pour l’humanité et travaille au développement commun en Afrique et en Asie plutôt qu’à un China First. Contrairement à l’Europe, la Chine n’a pas vécu de «moment Nuremberg» complet mais a choisi une voie équilibrée combinant la mémoire historique comme le Mémorial de Nanjing, la diplomatie pragmatique privilégiant le développement économique et la coopération régionale. Une paix durable se construit en effet sur la justice et le respect mutuel, pas sur la vengeance
Assurer la paix au quotidien
La transmission de la mémoire historique, la construction de ponts entre les peuples et le rôle des jeunes sont des axes fondamentaux. L’éducation des jeunes générations ne doit pas s’interrompre. Les films et les séries consacrées au courage et au sacrifice des combattants contribuent à entretenir la mémoire de ces luttes. Ces productions existent et doivent être diffusées largement et réactualisées au fil des nouveaux codes de communication.
Les lieux de mémoire comme le Mémorial de Nanjing servent à rappeler ce qui ne doit pas se reproduire. De même, les échanges universitaires entre jeunes de tous les pays doivent être développés pour briser les a priori et créer des amitiés au-delà des différences de cultures.
Les projets communs sur le climat ou la santé mondiale, les jumelages entre villes sont des occasions de partager les expériences et de montrer qu’au-delà des différences les hommes affrontent les mêmes défis et que leur avenir est partagé. La paix est le cadre qui doit prévaloir, pas le mépris ou la volonté de domination.
Dans un monde marqué par la montée des extrémismes, avec les tensions en Ukraine et au Moyen-Orient, le risque de nouvelle course aux armements, les jeunes peuvent utiliser les réseaux sociaux pour promouvoir la vérité historique et faire vivre le dialogue interculturel.
Les voyages et les séjours à l’étranger ont montré leur efficacité pour briser les préjugés, découvrir les richesses et revenir comme ambassadeurs de la paix et des échanges gagnant-gagnant.
Au moment où l’on commémore ce 80ème anniversaire à Beijing en présence notamment des présidents chinois et russe, rappelons que l’oubli et la réécriture de l’histoire seraient une nouvelle humiliation pour les peuples qui ont apporté la victoire, ainsi qu’une menace pour la paix.
Honorons nos héros en restant fidèles à la vérité historique, tout en tendant la main à tous les peuples épris de paix, car comme le disait le maréchal Zhu De : «Ceux qui oublient le passé sont condamnés à le revivre».
Chérissons la paix et préservons-la pour bâtir une civilisation de l’harmonie. «Le sage recherche l’harmonie, pas la victoire», dit un dicton chinois.