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Jean-Loup Izambert : l’oligarchie économique et financière façonne les institutions afin de servir ses intérêts de classe (Partie I)

Jean-Loup Izambert, journaliste d’investigation et auteur de Les destructeurs, Bilan noir et d’une enquête publiée sous le titre Tous vaccinés, tous en danger ? donne des réponses à Observateur Continental sur son nouveau livre L'enjeu : Les souverainistes face à la grande finance.

Observateur Continental : Combien de mois avez-vous enquêté sur le sujet de votre nouveau livre ?

Jean-Loup Izambert : Le livre comprend trois parties : la première sur différents aspects de la grande finance qui sont extraits de mes trente années d’enquêtes sur cette classe hors société, la seconde dans laquelle je réponds à cinq questions principales sur le fonctionnement de l’Union européenne qui font suite à mon enquête sur l’Europe supranationale publiée sous le titre Bilan noir – l’Union européenne contre la France (éditions Jean-Cyrille Godefroy) et la troisième qui concerne plus particulièrement le mouvement souverainiste français. J’ai enquêté sur celui-ci environ deux années, notamment pour comparer leurs programmes politiques mais aussi pour connaître la réalité de son organisation dans le pays, la présence de ses militants et sympathisants dans les luttes et observer son développement.

Quelles sont les difficultés rencontrées durant vos recherches ?

J-L. I : Elles sont multiples. Par exemple, concernant la grande finance, mon enquête sur le groupe Crédit Agricole fut interdite de diffusion à parution afin de ne pas « porter atteinte à l’image de la banque », le magistrat reconnaissant dans son ordonnance ne pas avoir pris connaissance du contenu du livre !... Si les médias français font silence sur la plupart de mes enquêtes qui concernent le cœur du pouvoir financier et politique, j’ai pu réaliser une émission sur le groupe Crédit Agricole avec les journalistes de la première chaîne publique de la télévision russe et mon livre fut publié en Russie. En France, des libraires refusèrent d’organiser des conférences-débat car ils travaillaient avec cette banque. Les éditions Carnot, aujourd’hui disparues, après n’avoir pas fait appel de ce jugement iront jusqu’à refuser de transmettre, sous des prétextes divers, un exemplaire du livre aux journalistes de l’émission « Complément d’enquête » qui souhaitaient traiter du sujet. De même, cette maison d’édition ne me paiera pas les dizaines de milliers d’euros qu’elle me doit sur plusieurs ouvrages malgré trois condamnations en justice. Il est également très difficile d’obtenir des renseignements sur l’organisation et la vie des sociétés transnationales en raison de l’opacité de gestion qui n’a cessé de s’accroître avec les décisions de Macron et de l’Union européenne de renforcer le secret des affaires comme je le montre dans le livre. Remonter un circuit de blanchiment d’argent au sein d’une grande banque ou l’évasion fiscale de sociétés transnationales par des places offshore demande de nombreux contacts dans différents milieux et surtout de vérifier tous les faits. De plus, quand vous enquêtez sur la grande finance et ses rapports avec les centres de pouvoir économiques et politiques vous ne pouvez pas compter en France sur le soutien d’une rédaction puisqu’elles sont toutes, plus ou moins directement, la propriété de groupes appartenant à l’oligarchie économique et financière. Vous n’avez pas de véritables équipes d’investigation comme dans des médias russes ou anglo-saxons. J’ai donc dû faire en parallèle le métier de conseil en communication afin de préserver mon indépendance financière et ma liberté de publier, assurer le quotidien et les études de mes enfants et financer mes enquêtes qui dans ce domaine sont toujours longues et coûteuses. Un entretien réalisé par NetBook publié sur mon site izambert.com revient plus en détails sur mon parcours de trente années d’investigations.

Cela touche la haute finance et la politique, n’est-ce pas dangereux de les titiller ?

J-L. I : Cela peut l’être effectivement. Par exemple, lors de mon enquête sur les relations entre le pouvoir politique et des dirigeants d’organisations criminelles ou terroristes que je dénonce dans les deux tomes de 56 – L’État français complice de groupes criminels (IS Edition), les pressions et menaces se sont ajoutées à la censure des médias de l’oligarchie et aux difficultés d’enquête. Mais je dirai que cela fait partie du job et que lorsque vous êtes l’objet de telles pressions et de telles menaces et que vous voyez les journalistes de médias de l’oligarchie se défiler devant les preuves que vous produisez cela veut dire que vous êtes sur la bonne voie et ne peut que vous inciter à continuer.

En gros, quels sont les rapports entre la grande finance et le monde politique ?

J-L. I : Ils sont multiples mais l’essentiel pour l’oligarchie est de faire perdurer son système en crise structurelle, le capitalisme. A cette fin, comme je le montre dans L’enjeu, elle sélectionne par tout un réseau de clubs, de « boîtes à penser », de fondations atlantistes dans lesquels se retrouvent anciens des grandes écoles, financiers, politiciens et représentants de ses médias, les jeunes diplômés et ceux dont elle juge qu’ils pourront défendre ses intérêts sans poser de problèmes. Ce sont ceux que j’appelle les politiciens domestiques. Je décris dans L’enjeu, à titre d’exemple, le recrutement du jeune Macron et sa promotion à la Banque Rothschild puis dans l’appareil d’ État jusqu’à la présidence. En opérant la liquidation de la branche Énergie et Réseaux de l’entreprise française au profit du groupe étasunien General Electric, il avait montré sa capacité à travailler pour des intérêts privés étasuniens contre les intérêts français.

Quelle est la mission de l’UE ?

J-L. I : L’Union européenne a d’abord été conçue comme Europe supranationale par les milieux impérialistes de Washington avec les représentants de la dictature de Vichy dans les années 1942-1943, période des premières victoires de l’Armée rouge sur les troupes nazies. Il s’agit alors pour Washington de se préparer a assurer sa domination politique, financière, économique, militaire, culturelle sur le versant Ouest du continent Européen par une structure « européenne » supranationale. Comme je le décris dans Empêcher l’Europe – Les États-Unis contre l’Europe (éditions Culture & Racines), dès ces années Washington cherche à continuer et à étendre après la fin de la guerre les relations importantes entre les sociétés transnationales US - Ford, General Motors, IBM, Coca-Cola, ITT, etc. qui ont participé à l’effort de guerre de l’Allemagne nazie - et celles du Reich afin de faire de l’Allemagne leur partenaire privilégié sur le continent. A cette fin, ils vont s’inspirer de « l’espace économique global » des nazis pour organiser une Europe supranationale sous leur hégémonie. Pour atteindre cet objectif Washington va inonder de centaines de millions de dollars tout un réseau de propagande sur l’Europe, financer les commandos de la guerre froide et des coups d’État, financer tout un réseau d’associations et de comités de propagande destinés à promouvoir une « Europe fédérale », élaborer la légende des « pères fondateurs de l’Europe » et conseiller les atlantistes de droite et de la gauche réformiste pour la mise en place de ses structures : une monnaie unique, un parlement unique, une administration unique et l’Otan qui n’est qu’une sorte de groupe de mercenaires des États-Unis sur l’Europe. La réintégration d’anciens nazis dans l’appareil d’État allemand facilitera cette stratégie et c’est ainsi, par exemple, que Walter Hallstein, l’un des juristes concepteur de « l’espace économique global » du Reich deviendra le premier président de la « Commission des communautés » qui deviendra plus tard la Commission européenne.

Est-ce que les principaux partis souverainistes ont encore un rôle à jouer et qui sont-ils vraiment ?

J-L. I : Les partis souverainistes sont à l’heure du choix. Le mouvement souverainiste français est composé d’une multitude d’associations et de clubs issus de différents courants de pensée : gaullistes, communistes, nationalistes, sans partis qui ont conscience que l’Union européenne, la zone euro, l’Otan et le capitalisme sont responsables de la crise et de la guerre. Trois partis dominent cet ensemble : le Pôle de renaissance communiste en France (PRCF), l’UPR et les Patriotes. Ces trois partis ont des programmes politiques relativement aboutis avec des propositions parfois communes même si le PRCF est le seul à proposer la sortie du capitalisme en plus des sorties de l’UE, de la zone euro et de l’Otan. Pour qu’ils jouent un rôle encore faudrait-il que leurs dirigeants parviennent à se parler et à se mettre au moins d’accord sur leurs propositions communes. Tel n’est pas le cas actuellement puisque sous des prétextes idéologiques et des questions de personnes chacun campe sur ses positions. Ce n’est pas un signe de grande maturité politique quand on sait que « 87% de la population vit dans un désert médical », que « 62% de Français sont touchés ou menacés par la pauvreté », que plus de 15 millions de personnes en proie à la crise du logement et que l’Union européenne comptera 130 millions de pauvres en 2030 comme je le rappelle dans L’enjeu.

Est-ce que les partis souverainistes sont obligés de travailler avec la grande finance ?

J-L. I : Si les partis souverainistes travaillaient avec la grande finance, ils ne seraient plus souverainistes mais illusionistes comme le Rassemblement national, le PCF ou Debout la France. C’est-à-dire qu’ils tiendraient un discours contre l’Union européenne tout en ne proposant pas d’en sortir, ni de la zone euro, ni de l’Otan pour ne pas parler du capitalisme. Ils seraient destinés à jouer le rôle de roue de secours du pouvoir de la bourgeoisie comme le font tous les partis représentés à l’Assemblée nationale, tout particulièrement le RN qui s’est opposé à la destitution d’Emmanuel Macron.

Qui vide les caisses de l'État, comment et au profit de qui ?

J-L. I : L’État de l’oligarchie économique et financière, c’est-à-dire celui dont il façonne les institutions afin de servir ses intérêts de classe, laisse faire le pillage de ses caisses par les grands propriétaires privés de la finance et de l’économie tant pour des raisons financières qu’idéologiques. Financières car le rôle de ses politiciens domestiques est de protéger les intérêts privés de ceux qui ont bordé leur parcours à cette fin. Idéologiques car cela permet aux politiciens bourgeois d’entretenir le spectre de la dette publique afin d’accréditer l’idée dans l’opinion que les dépenses publiques sont trop élevées pour justifier de réduire encore plus drastiquement le service public : santé, éducation, industrie, logement, emploi, justice, etc. Or, le grand patronat est la première charge dans le budget de l’État. En 2024 celui-ci a bénéficié de près de 90% des 250 milliards d’euros de soutiens accordés aux entreprises. Le même patronat qui se plaint que « les charges sont trop élevées en France » paie de moins en moins de cotisations sociales. Ainsi, selon la Commission des comptes de la Sécurité sociale, le manque à gagner provenant des différentes exonérations de cotisations sociales est ainsi passé de 74,3 milliards d’euros en 2021 à plus de 90 milliards d’euros pour 2024. Une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) sur « La protection sociale en Europe en 2023 » analyse que « depuis le début des années 2000, les sources de financement de la protection sociale dans l'UE-27 ont évolué dans le sens d’un accroissement de la part des contributions publiques et d’une baisse de celle des cotisations employeurs ». Par ailleurs, en France, les contributions publiques « ont partiellement compensé les exonérations accordées aux employeurs et, depuis 2015, elles financent aussi les aides au logement ». Et que fait ce grand patronat avec les milliards d’euros reçu de la puissance publique ? Un rapport de France Stratégie, institution autonome d’expertise et d’analyse prospective placée auprès du Premier ministre, observe dans un rapport de 2020, que « depuis 1980, la France ne cesse de se désindustrialiser ». Cette désindustrialisation « est à la fois structurelle, artificielle et inquiétante ». La désindustrialisation est telle que « la France est l’un des pays les plus désindustrialisés » d’Europe et que « les entreprises françaises sont devenues les championnes de la délocalisation ». Dans son enquête publiée en novembre 2021, L’Observatoire des multinationales mettait en exergue que sur les 12 entreprises du CAC40 qui affichent les plus gros bénéfices au premier semestre 2021, 7 figurent parmi les premiers licencieurs du pays. À eux seuls les groupes Stellantis, LVMH, ArcelorMittal, BNP Paribas, Total Energies, Axa et Orange ont supprimé près de 60.000 emplois. Dans le même temps les actionnaires des sociétés du CAC40 se sont goinfrés sur les profits des entreprises : les 31 milliards d’euros versés à leurs actionnaires en 2005 ont explosé à 98,2 milliards d’euros en 2024 ! S’ajoute à ce pillage des caisses de l’État le détournement d’une partie des bénéfices des entreprises par l’ Axe de l’évasion fiscale mondiale qui se trouve au cœur de l’Union européenne. Les analystes du Tax Justive Network ont évalué dans leur rapport 2024 que cette fuite des capitaux fait perdre chaque année à la seule France un minima de 24 milliards (23,671) d’euros de recettes fiscales. Selon les chercheurs du Fonds Monétaire International, les pertes de recettes indirectes dues aux retombées négatives de l’évitement fiscal par l’offshore sont au moins trois fois plus importantes.

Est-ce voulu d’avoir 62% de personnes touchées par la pauvreté en France ?

J-L. I : Non, c’est une conséquence, parmi de nombreuses autres, de la crise du capitalisme. Comme l’indique, lorsque je l’interviewe, l’économiste étasunien John Perkins qui fut un « assassin économique » du groupe MAIN qui avait en charge d’endetter des pays pour favoriser l’intervention de sociétés transnationales étasuniennes dans leur économie, « ces gens-là n’ont pas à se regrouper pour comploter et faire des choses. Ils travaillent tous essentiellement avec un principe fondamental : maximiser les profits sans se soucier du coût social et environnemental ».

à suivre

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