
Combat royaliste 98
Par Philippe Germain
Éric Zemmour se drape de l’ombre de l’historien prophétique Jacques Bainville. Le 21 avril 2021, dans un article du Figaro, Zemmour, avec gravité, parle de Jacques Bainville. Il le qualifie de « Cassandre moderne », ce qui, d’emblée, donne à son nom une teinte de vérité sombre, une vision d’avenir claire. Deux mois à peine après, dans une vidéo où il évoque ses ambitions présidentielles, il se compare à Bainville. « Depuis vingt ans, j’ai prophétisé », clame-t-il, « j’ai vu ce qui arriverait et, aujourd’hui, je ne peux plus me contenter de cette simple annonce. Il faut agir, car la prophétie seule ne suffit plus ». Ainsi, Zemmour, tout en restant à l’ombre du grand Bainville, se pose en acteur. Il ne veut plus être ce spectateur, ce commentateur que fut Bainville ; il veut passer à l’action.
Quel est ce modèle qu’il prend pour guide ? Bainville s’est imposé comme une figure brillante. Un intellectuel intransigeant, véritable éveilleur de consciences aux prises avec des visions politiques claires et fermes. Le royaliste Bainville, avec sa méthode historique, se plongeait dans les journaux, dévorait l’actualité comme un homme assoiffé, scrutant chaque ligne pour en tirer des prévisions. Il écrivait pour façonner le destin, pour deviner ce qui se cacherait derrière chaque mouvement de l’histoire. Sa prophétie la plus célèbre demeure celle des Conséquences politiques de la paix, où, avec la sagesse d’un voyant, il observe l’Allemagne d’après le traité de Versailles, prédisant la montée d’une force obscure et destructrice. Il voit naître, à travers les décombres d’un empire déchu, une nouvelle Allemagne qui, par son nationalisme exacerbé et sa soif de revanche, donnerait naissance à un monstre qu’on appellera le national-socialisme. La clarté de cette vision se révèlera tragiquement juste. Et c’est là que Zemmour, tel un écho d’une époque passée, revendique cette vision : « Bainville avait raison ».
Certes, Zemmour se voit en Bainville, il se reconnaît dans cette posture de celui qui annonce la chute, celui qui entrevoit dans le clair-obscur les monstres du futur. Mais la comparaison semble fragile. Bainville ne désirait ni pouvoir ni gloire, mais seulement décrire, expliquer, prédire. Et pourtant, Zemmour semble prendre la flamme de l’action en s’appropriant la vérité de cet homme. Car, à sa manière, Zemmour fait sien ce cri : « La guerre est inévitable ». Mais de quelle guerre parle-t-il ? Bainville parlait de l’Allemagne, Zemmour de l’ennemi intérieur – migrants, musulmans, féministes, progressistes. Pour Zemmour donc, l’ennemi est intérieur. Il y a, à travers cette analogie, une volonté de se placer du côté des prophètes, du côté des avertisseurs, de ceux qui, comme Cassandre, annoncent une tragédie inéluctable.
Il est vrai que, comme Bainville, Zemmour se dresse contre la république. Mais, là où Bainville désirait un retour à la royauté, Zemmour en gaulliste assumé semble plus intéressé par un pouvoir fort sans contre-pouvoirs, Zemmour se fait le défenseur d’une monarchie contemporaine déguisée sous le masque gaulliste d’un président tout-puissant, représentant d’une seule volonté, d’une seule direction. Il veut se débarrasser des contre-pouvoirs illégitimes, ces freins qui empêchent la grandeur de la France. Ainsi, le parallèle entre Zemmour et Bainville se fait plus politique, il devient une quête de pouvoir, un désir de rétablir une forme d’autorité absolue. Finalement, Zemmour se présente comme un héritier, un disciple de Bainville, mais en réutilisant la prophétie comme un drapeau. Il s’empare du crédit de Bainville, non pour son œuvre historique, mais pour sa vision de l’avenir, pour cette image de la France déclinante, menaçant d’être engloutie. Il lui manque l’espérance royaliste. Le roi ne meurt pas !
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