
Le sujet de cet article n’est guère abordé sur le site de RL, mais il est pourtant d’une importance fondamentale. Et aucun écologiste – ou si peu – ne serait capable de discuter et de comprendre les problèmes qui vont être exposés, car en sa qualité de bobo des villes et d’écologiste type il ne sait pas ce qu’est la nature et encore moins l’importance des sols. Pourtant comprendre nos problèmes d’environnement et l’avenir de nos campagnes impose notamment de s’arrêter sur ces sujets.
L’agriculture moderne est devenue un monde de fous furieux. Dans les formations notamment des ingénieurs agronomes, on apprenait jusque récemment qu’il était bon de donner de la viande aux vaches pour augmenter la production laitière, on valorisait l’entassement des pauvres bêtes dans des conditions infernales, type ferme des Mille Vaches, pour rentabiliser l’élevage disaient-ils, on recommandait aussi l’épandage de surcharges d’azote dans les champs pour augmenter toujours plus les rendements alors que cela a des conséquences désastreuses pour les sols… bref, un monde de fous piloté par d’authentiques fous ! Et le résultat c’est que ces dingues ont tué les sols. Pour contrer tout les désagréments constatés, l’industrie a prétendu qu’il fallait utiliser toujours plus d’engrais chimiques (puisque les sols ne donnaient plus assez), des machines de plus en plus grosses sont arrivées dans les campagnes et il fallait labourer avec des engins de plus en plus énormes. Pourquoi tout cela est-il un désastre pour l’agriculture ? Répondre à cette question impose de reprendre les choses au début : c’est quoi un sol ?
La première chose à retenir, c’est que l’arbre est le maître des sols. Tous les ans, il fait tomber des feuilles mortes et des branches. Ces branches vont être attaquées par la faune épigée qui va manger tous ces morceaux de bois et feuilles. Cette faune va faire des crottes constituées de matière organique que seuls des champignons (basidiomycètes) sont capables d’attaquer. Ils vont manger ces crottes et les transformer en humus. Élément fondamental, cette fabrication d’humus se fait à la surface du sol. Les arbres se sont adaptés à l’existence de cette couche organique en surface. Ils ont deux types de racines : d’abord des racines horizontales qui sont quelques centimètres sous la couche organique de surface. Quel intérêt pour l’arbre ? Au printemps, l’humus qui a été fabriqué durant l’automne et l’hiver va être minéralisé par les bactéries présentes dans le sol. Donc les champignons font l’humus et les bactéries minéralisent. Les éléments minéraux formés vont descendre dans le sol avec l’eau de pluie et seront récupérés par les racines de l’arbre et renvoyées dans ses frondaisons. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’avec la nature, le système décrit est fermé. Il n’y a pas de perte, donc aucun élément ne passe dans la nappe phréatique qui est propre.
Les arbres ont un second système d’enracinement, le pivot, qui descend très profondément (record en Europe 150 mètres, pour un chêne, constaté par des spéléologues dans une grotte). Ces racines vont descendre jusqu’à la roche mère et l’attaquer avec des sécrétions acides produites par les racines. Cela va transformer la roche mère en argile. Mais des racines profondes meurent. Elles sont mangées par la faune endogée qui vit en profondeur, libérant des galeries qui seront utilisées ultérieurement par d’autres racines. En résumé : l’humus est produit en surface et l’argile en profondeur. Mais c’est le complexe argilo-humique qui est la couche fertile du sol en surface. Question : comment se rencontrent argile et humus afin de former ce complexe ? C’est tout simple, grâce à une troisième faune anécique : les vers de terre (lombrics) qui toutes les nuits remontent en surface. Ils ont dans leur intestin une glande très riche en calcium. Ces vers consomment de l’argile et de l’humus qui, dans leur intestin, se mélangent avec le calcium et forment ainsi le complexe argilo-humique qui est laissé en surface par les crottes produites par ces vers. Ce sont donc les vers de terre qui produisent la couche fertile des sols, qui se trouve en surface avec une épaisseur variant de 15 à environ 30 cm. Pour rappel, le premier qui s’est intéressé à ces questions fut Darwin.
Ces explications ayant été données, on peut ainsi comprendre immédiatement ce qui a conduit à la mort de plus en plus étendue des sols notamment en France. Et ce, pour une raison unique : l’homme s’est cru autorisé à violer les Lois universelles.
On a violé ces Lois avec deux éléments. D’abord la charrue. Au départ l’homme grattouillait la terre avec des chevaux et quelques outils agricoles. Ce n’était pas grave. Mais lorsqu’on a inventé le tracteur, et ils sont de plus en plus gros, là les dégâts ont commencé à être massifs en retournant les sols et en mettant la matière organique au fond. Or, comme on l’a vu, aucun champignon n’est anaérobie. Donc ils ne peuvent plus produire de l’humus. Une preuve indiscutable en est donnée par un piquet planté dans le sol. Lorsqu’il est vieux et qu’on doit le changer, en l’arrachant on voit que la partie plantée est intacte alors que sur les premiers centimètres le piquet est entièrement rongé. Autre exemple les anciens n’enterraient pas les pailles après moisson. Ils avaient 4 % de matière organique dans leurs sols. Aujourd’hui on enterre les pailles et on a 1,6 % de matière organique. Donc ces pailles ne contribuent plus à faire de l’humus.
Seconde violation des Lois universelle : l’apport massif d’engrais chimiques. Et que font ces engrais ? Ils stimulent les bactéries qui se reproduisent 20 fois plus vite que les champignons. Or ces bactéries ne font pas d’humus. Elles minéralisent la matière organique. Qui disparaît en passant dans la nappe phréatique au lieu d’être utilisée par les plantes. Quant à la faune, si elle n’a plus de matière organique à consommer elle disparaît. Le nombre de vers de terre est ainsi passé de 2 tonnes à l’hectare en 1950 à moins de 100 kg de nos jours. Donc baisse dramatique de création du complexe argilo-humique et appauvrissement terrible des sols… qui est compensé par un recours encore plus grand aux engrais chimiques. Cercle vicieux s’il en est.
À ces deux violations majeures des Lois universelles, il convient d’ajouter plusieurs erreurs non moins graves. La première terrible erreur fut ce qu’on appela le remembrement qui débuta au début des années 1970. Cela se traduisit par l’arrachage des haies, afin de faciliter l’exploitation des terres grâce à des parcelles plus grandes et la possibilité d’y utiliser des machines agricoles plus volumineuses. Mais en réalisant cela, la plupart des exploitations se sont privées du bois raméal fragmenté, c’est-à-dire les branches mortes et les feuilles tombant au sol permettant la formation d’humus par l’activité des champignons. Donc cela se traduisit par un appauvrissement des sols. Seconde conséquence, ces haies avaient l’avantage de retenir les eaux et de bloquer le ruissellement. Aujourd’hui, on voit tous les jours des images d’eau qui dévale sans que rien ne puisse l’arrêter emportant tout sur son passage, y compris la terre des champs, en plus des maisons et des routes. Et certains crétins prétendent que c’est à cause du réchauffement climatique. Troisième conséquence, la disparition de toute la faune qui vivait dans ces haies et qui jouait un rôle dans la chaîne alimentaire, notamment en mangeant les bestioles qui attaquent aujourd’hui les productions agricoles.
Au final, la course à la productivité, à la rentabilité et au profit est en train de tuer les sols et l’agriculture au seul bénéfice du complexe agro-industriel qui est le grand gagnant de cette triste histoire. Sans remise en compte de toutes ces dérives, la fin de notre agriculture est programmée. La seule solution pour s’en sortir c’est de revenir à une agriculture respectueuse des Lois de la nature, pas de celles du seul profit. L’arrêt sans délai de cette course à l’industrialisation de nos campagnes ainsi que de toutes les productions. Les éléments qui précèdent sont peu discutés et mis en avant, pourtant ils sont absolument essentiels. Sinon notre agriculture de proximité sera obligatoirement rayée de la carte. Sachant que ce mouvement est en train de s’accélérer de manière dramatique. Les derniers chiffres le prouvent.
Il y a quelques années il y avait déjà de quoi s’inquiéter. En 1945 il y avait 10 millions d’agriculteurs. Depuis, la diminution de la part des actifs agricoles dans la population active française n’a cessé de s’effondrer. En 1982, il n’y avait déjà plus que 1,6 million d’agriculteurs et 310 000 ouvriers agricoles soit 8,4 millions de moins. Monumental effondrement. En 2019, l’INSEE recensait 400 000 agriculteurs et 250 000 ouvriers agricoles, ce qui ne représentait qu’un peu plus de 2 % de la population active. Aucun autre secteur économique n’a connu une régression d’emplois aussi massive. En trois ans, de 2020 à 2023, ce sont 40 000 petites fermes qui ont disparu en France. À ce rythme combien en restera-t-il dans 10 ans ?
Enfin dernier élément et non des moindres : la disparition de ces petites exploitations agricoles vide également les campagnes de sa population. Nos campagnes deviennent à la vitesse grand V des déserts dont les services publics sont de plus en plus absents, tout comme les médecins, les dentistes et même des structures aussi indispensables que les hôpitaux ou les gares. Peut-on imaginer une société dont l’essentiel de la population ne serait plus que dans les villes et des campagnes délibérément abandonnées et laissées à leur triste sort ? Certains diront peut-être que s’interroger sur ce point est preuve d’un grand pessimisme. J’ai plutôt tendance à penser que c’est la preuve d’une certaine lucidité et même d’une lucidité certaine.
Bernard GERMAIN