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Au Sahara, le feu couve dans la poudrière

Les frontières territoriales dans le Sahara entre le Mali, le Niger, l’Algérie et la Libye ont toujours été ouvertes, et les Touareg les ont utilisées pour leur stratégie de commerce de contrebande et de migration. Mais depuis la guerre en Libye, beaucoup de choses ont changé. De plus, de nouveaux acteurs sont apparus sur ce terrain de jeu du Sahara, intéressés par les ressources de la région.

«Agence de Voyage: Arlit–Djanet, Arlit–Libya», c’est ce qu’on peut lire sur un panneau écrit soigneusement à la main devant la petite cabane en terre glaise au centre d’Arlit, ville d’Uranium dans le Niger du Nord. Dans la cabane se trouve un vieux bureau avec des listes de noms des passagers. Sur la paroi, revêtue de tissu rouge foncé, des photos sont accrochées qui – à la manière d’une publicité touristique – montrent comme l’agence transporte ses passagers vers l’Algérie ou vers la Libye: 30 personnes sont assises bien serrées sur un pick-up Toyota et roulent à travers le désert; chacun tient un bidon d’eau de 5 litres dans la main.
Dans la cabane se trouve Osman, bien habillé d’un Bazin orange avec un Chèche noir autour de la tête. Osman travaille ici comme responsable, lorsque le chef de l’agence, appelé Murtala, visite la dépendance de l’agence à Tahoua. En plus, il est Kamosho, c’est-à-dire celui qui «déniche des passagers», et le guide qui montre aux passagers à pied le chemin de l’Algérie à la Libye.
Autrefois, avant la guerre en Libye, m’explique Osman, les automobiles venaient jusqu’à Djanet et déposaient les passagers dans les jardins de l’oasis. Mais lorsqu’au cours de la guerre des militaires touareg et des mercenaires ont commencé à sortir la moitié de l’arsenal de Kadhafi du pays, les contrôles des forces de sécurité algériennes et nigériennes ont été renforcés. Depuis, plus aucun chauffeur n’ose transporter son chargement illégal jusqu’à Djanet, mais il congédie ses passagers à quelque 70 kilomètres de ce lieu, en plein milieu du Sahara. Ce qui a fait naître une nouvelle branche de profession, celle du guide, un guide qui connaît la région, qui amène directement les passagers jusqu’en Libye en passant par la frontière verte.

Les intentions de l’UE et les stratégies locales

Cependant, ce commerce avec la frontière n’est pas forcément illégal, car ici au Niger, un membre de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, fondée en 1975), il est tout à fait légal de charger une Toyota de «sans-papiers» et de les amener jusqu’à la frontière de l’Algérie ou de la Libye. La Gendarmerie nationale en donne la permission contre une petite rémunération. Jusqu’à la frontière nigérienne, les convois de Toyota sont donc tout à fait légaux. Une fois passée la frontière, cela change d’un coup: le transport légal devient migration illégale.

L’Union européenne instrumentalise les Etats nord-africains comme avant-poste de la forteresse Europe, pour qu’ils interviennent contre les migrants potentiels vers l’Europe. Pendant que la Libye sous Kadhafi ne prenait pas de vraies mesures pour protéger ses frontières sud et que le pays dépendait en plus de la main-d’œuvre des migrants illégaux, l’Algérie poursuit avec dureté les acteurs transnationaux et essaye en même temps de contrôler la contrebande de benzine. Les Touareg1, qui exercent la contrebande de benzine ainsi que le trafic d’êtres humains depuis des années avec succès, et qui sont eux-mêmes des transfrontaliers par excellence, retrouvent cependant toujours de nouvelles stratégies pour détourner ces obstacles étatiques. (Kohl 2007, 2009, 2010).
«Que pouvons-nous faire d’autre?» m’explique un des chauffeurs. «Nous avons tous des familles, nos enfants ont faim, de quoi pouvons-nous vivre? De l’air? Au Niger, il n’y a pas de travail. L’Etat ne fait rien pour nous aider. Ou bien nous devenons tous des rebelles ou des bandits, ou bien nous chargeons nos Toyota de passagers et de benzine. Iban ­eshughl – pas de travail, c’est ça notre problème!»
Pendant la guerre de Libye, le trafic entre le Niger, l’Algérie et la Libye s’est arrêté complètement. Maintenant les premiers Haoussa commencent à retourner en Libye en espérant trouver du travail. Les Touareg hésitent encore à y retourner, la peur de la nouvelle Libye étant encore trop grande.

Arlit, centre du commerce, de la contrebande et de la migration

Arlit est un centre du commerce et de la contrebande à l’intérieur du Sahara, entre le Niger, le Mali, l’Algérie et la Libye. En même temps, la ville est le point de départ de la migration illégale de personnes subsahariennes en route vers la Libye pour y trouver du travail ou pour aller plus loin, vers l’Europe.
L’Etat du Niger sait que l’on ne peut pas faire cesser les stratégies du «human trafficking». Ainsi on a trouvé une solution réciproque entre les acteurs, les Touareg et l’Etat: les chauffeurs doivent enregistrer leurs passagers. Cela est utile pour les passagers qui, en cas d’accident ou d’une panne automobile, peuvent être recherchés et trouvés, et cela les protège contre des chauffeurs sans scrupules qui ne sont intéressés que par l’argent et abandonnent les passagers en plein Sahara, c’est-à-dire à la mort. Cela est utile aussi pour les chauffeurs qui peuvent, en cas de contrôle militaire, présenter un laissez-passer et se distinguer ainsi des bandits, des rebelles ou des trafiquants de drogues, et ne seront pas poursuivis et sanctionnés.
Osman peut raconter beaucoup d’histoires de commerce avec la frontière. Jusqu’à la guerre en Libye, il a travaillé comme guide entre Djanet en Algérie et Ghat en Libye, et il a amené, moyennant une marche à pied de trois jours, de nombreux migrants potentiels vers l’UE, des Touareg et, en Libye, des chercheurs de travail. Avec le début des combats en Libye, il a quitté précipitamment le pays comme beaucoup de Touareg. De retour à Arlit, les chances de trouver un travail sont minimes. Avant tout pour ceux qui n’ont jamais fréquenté une école. Toutefois, même ceux qui peuvent présenter des diplômes peinent à trouver du travail.

L’uranium – bénédiction ou malédiction ?

Cependant, Arlit est la ville dans laquelle la société française pour l’énergie nucléaire Areva exploite depuis la fin des années 1960 les plus grandes mines d’uranium du monde, Somaïr (exploitation depuis 1971) et Cominak (depuis 1978). Areva, pour la plus grande partie propriété de l’Etat français, est le leader mondial de technique nucléaire. En même temps, le Niger se classe sur le Human Developement Index de 20112 à l’avant-dernière place. Deux tiers du pays sont composé de désert et de demi-désert. La base économique est l’agriculture et l’élevage de bétail, fortement menacés par les sécheresses qui reviennent avec quelques années d’intervalles et de manque de pluies, ou bien, ces derniers temps, des pluies torrentielles. Un approvisionnement social par l’Etat n’existe pas, il n’y a pas de travail, et malgré un système scolaire de l’Etat, le taux d’analphabètes est très élevé, surtout parmi les femmes et les nomades (plus de 80%). Ibrahima, douze ans, fréquente une des écoles étatiques à Arlit. Il est en cinquième (CM1) et me décrit la situation de son école: «Nous sommes 93 élèves, garçons et filles. Nous avons deux enseignants, et par table il y a cinq élèves.» Le niveau de formation bas en est la conséquence.
Une grande partie de la population du Niger vit sous la menace de la faim, espère des aumônes et dépend de l’aide de l’Europe et de projets de développement. C’est le Nord, habité par les Touareg, qui est surtout concerné par la marginalisation et la mauvaise gestion économique. C’est bizarre, puisque le plus grand employeur du pays y est domicilié. Les travailleurs dans les mines d’uranium viennent presque tous des parties sud du pays, alors que les Touareg qui y vivent ne sont presque jamais embauchés.
Depuis quelques années, Areva s’est fait connaître par de gros titres dans les journaux. Greenpeace a pu prouver que lors de l’exploitation de l’uranium, ce n’est pas seulement la santé des travailleurs qui est menacée, mais que tout l’environnement de la mine est contaminé par des rayons radioactifs.3 Tout autour de la ville d’Arlit se sont formées des montagnes artificielles de déchets de la roche dont on a délavé l’uranium, et chaque année, des tonnes de roches s’ajoutent. Au marché d’Arlit, on vend du métal contaminé de la mine, et le sable dans beaucoup de maisons est partiellement radioactif jusqu’à 550 fois la valeur normale, raconte Moussa, un collaborateur de l’ONG locale, Aghirin Man4. Cette petite ONG a réussi à faire remplacer le sable contaminé dans des parties de la ville par du sable qui ne représente pas de risque.
Moussa lui-même a travaillé pendant des années en Libye comme traducteur dans le tourisme et, au courant des combats, il est retourné au Niger en espérant trouver du travail dans la nouvelle mine d’Imouraren planifiée par Areva, à 80 kilomètres au sud d’Arlit. Le dossier de Moussa avec des certificats et des diplômes est déjà déposé depuis un an à l’office de la commune. Jusqu’à présent sans réponse. «Sans relations ou corruption», dit-il de façon résignée, «aucun Touareg n’a une chance d’y parvenir.»

Une nouvelle mine d’uranium évoque des différences tribales, mais aussi de l’espoir

Pour les travaux préparatoires à la mine d’Imouraren, qui devrait commencer en 20135 avec l’exploitation de l’uranium, on embauche expressément des Touareg de la région. Avec ça, Areva espère contenter la population indigène et empêcher de cette façon une autre rébellion et une augmentation du banditisme.
Les exigences des deux dernières rébellions (1990–1997 et 2007–2009) contiennent entre autre une participation explicite aux recettes de la mine.
Mais l’intégration principalement bienvenue de la population locale dans la nouvelle mine a déclenché un renforcement partiel des différences tribales. Ces dernières décennies, les différences tribales ont de plus en plus été poussées à l’arrière-plan par les forces locales, et les inégalités sociales et polito-économiques entre la «classe supérieure» dominante précoloniale (imajeren/imujar/imuhar), les anciens descendants d’esclaves (iklan) et les groupes anciennement tributaires (imrad) se sont peu à peu effacées au quotidien. Les mariages de préférence endogames ont été, surtout par la jeune génération (ishumar), dégagés de leur importance traditionnelle. A l’heure de l’économie du marché capitaliste, on trouve aussi des descendants d’anciens esclaves qui ont dépassé les anciens seigneurs concernant le capital économique. Mais, vu la possibilité de pouvoir travailler chez Areva, les différences tribales ont commencé à être instrumentalisées. Depuis, les tribus (tawsit) vivant autour d’Imouraren, en premier lieu les Ikazkazen et les Kel Aharus, sont en concurrence pour la position de porte-parole pour toute la région. En plus, depuis la rébellion de 2007 à 2009, les tribus vivant sur le même territoire sont empêtrées dans une querelle, déclenchée par l’enlèvement d’un des anciens des Ikazkazen par les Kel Agharus et renforcée au cours de la concurrence. Au niveau juste supérieur par contre, les deux groupes essaient d’empêcher l’embauche d’autres groupes venant des montagnes Air à l’est, en les dénonçant comme rebelles et bandits potentiels. Ainsi ils essaient avec véhémence de caser leurs gens, même s’ils ne disposent pas de diplômes appropriés.
Mais Imouraren représente le nouvel espoir pour tous les Touareg du Niger. Beaucoup de Touareg qui se sont enfuis de la Libye ne veulent pas y retourner, car ils craignent que la situation dans la Libye après Kadhafi soit loin de se stabiliser. Même plus de huit mois après la mort de Kadhafi, son esprit plane encore sur le pays. Avant tout ceux qui n’ont jamais été en Libye pensent que la Libye sans Kadhafi ne pourrait exister, ou bien, comme un sceptique l’a exprimé: «La Libye aura besoin de 42 ans pour que ça aille à nouveau bien.»

Le chaos dans la Libye libre

Au fait cela ne va pas bien dans le sud du pays. Bien que là il n’y ait pas de querelles intertribales et toutes les oasis – sauf le petit al-Barkat, proche de la frontière algérienne qui, même après la mort de Kadhafi, a encore hissé le drapeau vert – se sont vite libérés des restes du vieux régime: toutes les administrations et offices publics, mais aussi les écoles, ont été détruits et pillés. Des meubles et le matériel de bureau se retrouvent soit dans des ménages privés ou bien ont été amenés hors du pays par les Touareg et mis en vente en Algérie, au Mali et au Niger. Moktar, par exemple, s’est emparé de cinq copieuses et les a ramenées à pied jusqu’à Djanet où elles attendent toujours un acheteur. A Agadez au Niger, sur des parkings immenses, se trouvent des véhicules volés de la Libye: des Land-Cruiser et des Pick-up Toyota flambants neufs, différentes marques de voitures de tourisme et une grande partie des ornements des sociétés chinoises de construction.
Dans les appartements vides des sociétés des chinois à Ghat, des Libyens et des migrants se sont tout simplement installés. Ajebu, une Targia nigérienne qui vit avec ces cinq enfants et son mari depuis des années en Libye, dans une construction en terre glaise délabrée, et qui n’a jamais rien vu des allocations sociales de Kadhafi, a tout simplement occupé un appartement vide de l’immeuble d’une société de construction chinoise. Toute joyeuse elle m’a raconté au téléphone: «Tu te rends compte! On a même de l’eau courante et de l’électricité, une vraie cuisine avec un plancher en dalles!»
Peu après la mort de Kadhafi et avec le vacuum de pouvoir en Libye, chacun a essayé de s’approprier de beaucoup de choses. C’est avant tout le Bureau pour la sécurité intérieure (maktab hars ad-dachiliy), craint par tout le monde et qui, aux temps de Kadhafi, avait pour objectif de tenir la population sous contrôle avec un système élaboré d’espionnage, qui a été complètement pillé et détruit à Ghat. – Ils ont avancé la justification que cette administration aurait été créée uniquement par Kadhafi et n’aurait (enfin) plus de légitimation. Les objets accaparés, des kalachnikovs neufs dans leur emballage original et des pistolets ont été distribués parmi les pilleurs ou vendus. On peut acheter la munition correspondante chez le marchand de cigarettes au coin de la rue: les balles de kalachnikov pour 50 gersh, celles pour les pistolets pour 25 gersh: la munition coûte autant qu’un chewing-gum. Et la violence est très élevée dans la Libye du Sud. Les jeunes garçons règlent maintenant leurs conflits pubertaires l’arme à la main. Zeinaba, une Targia vivant depuis 15 ans en Libye est bouleversée: «Nos enfants deviennent des bandits! Hier, ils ont de nouveau abattu un homme dans notre voisinage. Pour l’argent. Ça arrive maintenant tous les jours! J’ose à peine sortir dans la rue.» Son fils Elias l’approuve et ajoute: «Et l’alcool s’y ajoute en grandes quantités. Les gens boivent dans la rue, sont souls, tirent des salves dans l’air et braillent: ‹La Libye est libre!›»

Les conséquences de la guerre en Libye

La liberté de la Libye a un prix énorme et ce ne sont pas seulement les Libyennes et les Libyens qui le paient, mais il est partagé dans toute la région du Sahara et du Sahel. Les armes passées clandestinement à travers la frontière de la Libye ont changé tout le Sahara en une poudrière prête à exploser. La majeure partie de l’immense arsenal d’armes de Kadhafi a été transportée hors du pays et sert maintenant différents rebelles au Mali, au Tchad ou au Soudan. Mais aussi des groupes terroristes, comme par exemple l’AQMI (Al-Qaïda du Maghreb islamique), en profitent.
Au Niger, presque chaque nomade est maintenant armé. A l’époque, les nomades Touareg portaient également des épées et des couteaux: comme aide au travail et comme protection contre les chacals. Mais aujourd’hui ce sont les kalachnikovs qui viennent de Libye, et servent pour l’autoprotection et des règlements de comptes, comme l’explique Bala, car la police et l’armée n’entreprennent que peu de choses contre les nombreux bandits qui attaquent leurs propres gens. «Depuis la guerre en Libye», ajoute-t-il, «on peut acheter autant d’armes qu’on veut au marché des animaux. Et même pas cher. Depuis, nous avons tous une kalachnikov à la maison pour nous protéger contre les bandits.» Le problème des bandits est une conséquence directe de la dernière rébellion. Au cours des pourparlers de paix, dirigés par Kadhafi, on a promis aux anciens rebelles l’intégration dans l’armée et des paiements de dédommagement, mais cette promesse n’a pas été tenue par l’Etat du Niger. Ces anciens rebelles mal payés ou bien pas payés du tout, et pour la plus grande partie toujours armés, se sont formés ces dernières années en un banditisme incontrôlé et ont déstabilisé aussi le Sahara.

Insécurité fabriquée dans le Sahara et dans le Sahel

Cette phase croissante de déstabilisation et d’insécurité dans toute la région n’est cependant pas faite maison, mais initiée par des étrangers, et cela depuis qu’en 2001/2002, les USA sous George Bush ont déclaré la guerre au terrorisme et ont stigmatisé le Sahara et le Sahel comme zone potentielle de terrorisme et défini comme zone de retraite pour les militants extrémistes de l’Afghanistan. Les premiers enlèvements de touristes en Algérie en 2003 ont corroboré cette rumeur du Sahara comme zone terroriste. En 2004, George Bush a créé pour cette raison l’initiative Pan-Sahel (PSI) pour combattre avec le soutien des gouvernements locaux le soi-disant terrorisme. D’après Jeremy Keenan, il est clair que ces enlèvements ont bien été effectués par les extrémistes islamiques du GSPC (Groupe salafiste pour le combat), mais ont été planifiés par les services secrets algériens et américains pour corroborer le soupçon du Sahara comme zone terroriste. Pourquoi?
D’après Keenan, l’objectif des USA est de créer une base idéologique pour la militarisation de l’Afrique, afin d’avoir un accès primaire aux ressources.6 La motivation de l’Algérie de participer à cette mise en scène de combats est fondée dans son désir du rétablissement politique dans l’UE et dans l’Otan. En plus, l’Algérie avait besoin de soutien militaire des USA pour atteindre des objectifs politiques et d’hégémonie en Afrique de l’Ouest, et pour pouvoir tenir tête à la Libye. Les USA de leur côté avaient besoin d’un allié en Afrique pour pouvoir imposer leur militarisation. (Keenan 2006, 2009) Depuis 2005, on aperçoit un recul du bourrage de crâne des USA, mais des enlèvements ont toujours lieu dans le Sahara et dans le Sahel qui sont maintenant attribués au groupe désormais appelé l’AQMI.
Depuis l’enlèvement de collaborateurs et collaboratrices de la société Areva à Arlit en septembre 2010, on soupçonne aussi les Touareg nigériens d’avoir des contacts avec l’AQMI. La plus grande partie de la population locale refuse catégoriquement ces liens et accuse l’Etat nigérien de pratiquer un tel amalgame pour recevoir de l’argent de l’UE pour le combat contre le terrorisme. Quelques-uns croient cependant qu’il pourrait y avoir des Touareg qui, pour de l’argent, coopéreraient avec l’AQMI. Mais si de tels contacts existent, ils sont surtout de nature économique et non idéelle.
A toute une génération de jeunes Touareg, la base de vie a été retirée avec cette mise en scène du combat contre le terrorisme. Le tourisme dans le désert s’est effondré, des passages de frontières sont devenus plus difficiles et les stratégies de commerce et de contrebande criminalisées. La guerre en Libye a aggravé la situation et a laissé un grand nombre de réfugiés sub-sahariens sans travail. A une grande partie de jeunes gens les bases de vie ont été retirées. Il ne leur reste peu de stratégies pour se sortir de leur situation économique et sociale critique.

Issue de la crise: Rébellion ou séparation?

Au Mali, où, le 17 janvier 2012, a éclaté une toute nouvelle rébellion, la coopération entre la fraction des Touareg et de l’AQMI est incontestable. Le chef d’Ansar Din, Iyad ag Aghali, coopère avec une fraction de l’AQMI.7
Mais la plus grande partie des rebelles Touareg au Mali, qui se sont formés dans le MNLA8 (Mouvement national de libération de l’Azawad), se distancient explicitement des contacts avec ces groupements extrémistes. L’Islam traditionnellement pratiqué de manière libérale par les Touareg n’est pas conforme aux idées salafistes.
Pour les rebelles maliens, il ne s’agit cependant plus de décentralisation, participation économique et soutien social comme lors des rébellions auparavant. Comme leurs exigences ultérieures à l’adresse de l’Etat national sont toujours restées sans succès, ils combattent maintenant pour l’autonomie et la séparation de l’Etat malien. Ils ont beaucoup de succès dans leur rébellion actuelle, pas en dernier lieu parce qu’ils ont un bon réseau et sont bien organisés et avant tout très bien équipés avec des armes en provenance de la Libye.

La néo-colonisation du Sahara

Pendant que les Touareg maliens s’efforcent d’obtenir la reconnaissance de leur nouvel Etat, que les Touareg nigériens espèrent toujours avoir du travail dans la nouvelle mine d’uranium et que beaucoup d’Africains de l’Ouest veulent retourner en Libye pour trouver du travail, le Sahel est ravagé par une nouvelle famine. A l’époque, la Libye était l’un des premiers Etats à fournir de l’aide et du soutien aux nomades appauvris. Aujourd’hui, ce partenaire agissant vite manque. Pour les acteurs dans le Sahara et dans le Sahel, avant tout la France, les USA, et la Chine, mais aussi l’Inde, la Corée, le Canada et autres, il ne s’agit ni d’aide humanitaire, ni de soutien à la démocratisation, mais uniquement de ressources. Le pétrole, le gaz, l’uranium et le phosphate ont appelé de nouveaux acteurs sur scène, et ce sont avant tout les Touareg qui se retrouvent sur le terrain de jeu d’intérêts économiques et politiques globaux. La re-colonisation ou bien néo-colonisation (Claudot-Hawad 2012) du Sahara et du Sahel n’apportera ni la paix ni des concessions aux droits des minorités, mais une nouvelle matière inflammable à cette poudrière où déjà couve le feu.    http://www.mecanopolis.org

Source: Die Zeitschrift für internationale Politik

Traduction : Horizons & Débats

1    Touareg est une spécification étrangère, qui est cependant entrée dans l’usage européen. Les termes émis varient selon la région et le dialecte: Imuhagh en Algérie et en Libye, Imushgh au Mali et Imajeghen au Niger. Le gh usuel dans beaucoup de transcriptions est prononcé comme un r parlé dans la gorge. A cause du lectorat étendu de ce magazine, j’utilise pour une meilleure compréhension la notion européisée de Touareg (pl.), singulier fém.: Targia, singulier masc.: Targui. Il est important de remarquer que Touareg est déjà une forme plurielle. Il n’y a pas de TouaregS!
2    Le Niger est rangé à la place 186 avant la République démocratique du Congo. http://hdr.undp.org/en/statistics/
3    Greenpeace International (6 mai 2010)
Areva’s dirty little secret, www.greenpeace.org/international/en/news/features/ArevaS-dirty-little-secrets060510/
Greenpeace International (2010) Left in the dust: Areva’s radioactive legacy in the desert town of Niger, www.greenpeace.org/international/Global/international/publications/nuclear/2010/Areva_Niger_report.pdf
4    www.ciirad.org/actualites/dossiers%202007/uranium-afriq//photos-niger.pdf
5    www.areva.com/EN/operations-623/a-topranked-deposit-ftir-longterm-minmg.htm
6    Jusqu’en 2015, 25% de la consommation en pétrole et en gaz des USA doivent être livrés par l’Afrique de l’Ouest (surtout depuis le Golfe de la Guinée) (Keenan 2009: 125 nach CIA Global Trends 2015).
7    Depuis sa fondation, le mouvement salafiste terroriste s’est fendu en divers groupes avec des stratégies et objectifs différents. Actuellement, il existe trois fractions dirigées par Abdul-Hamid Abu Said, Moktar bei Moktar et Yahya Abu-Hammam, appelé aussi Yahya Juani. (Interview de Jermy Kennan sur France 24, le 4 avril 2012; www.youtube.com/watch?v=BseudITb6U)
8    www.mnlamov.net/
Bibliographie
Claudot-Hawad, Hélène (2012). Business, profits Souterrains et Strategie de la terreur. La recolonisation du Sahara, www.temoust.org/business-profits-souterrains-et,15758
Keenan, Jeremy (2006). Security and Inseamty in North Africa, in: Review of African Political Economy, Nummer 108, 269–296, www.gees.org/documentos/Documen-01279.pdf
Keenan, Jeremy (2009). The Dark Sahara: America’s War on Terror in Africa, Pluto Press, New York
Kohl, Ines (2007). Tuareg in Libyen: Identitäten zwischen Grenzen. Reimer, Berlin
Kohl, Ines (2009). Beautiful Modern Nomads:
Bordercrossing Tuareg between Niger, Algeria and Libya. Reimer, Berlin
Kohl Ines (2010). Saharan «Borderline»-Strategies: Tuareg Transnational Mobility, in: Tilo Grätz (Hg.). Mobility, Transnationalism and Contemporary African Societies. Cambridge Scholars, Newcastle upon Tyne, 92–105

*Ines Kohl est chercheur à l’Institut d’anthropologie sociale (ISA) de l’Académie des sciences autrichienne (ÖAW). Elle fait des recherches sur les Touareg, la culture des jeunes, la mobilité et la transnationalité en Libye, en Algérie et au Niger.
Courriel: ines.kohl(at)oeaw.ac.at; www.kohlspross.org

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