Dès son entrée à la Maison-Blanche, le 20 janvier 2009, Barack Obama prétendait que l'Afghanistan serait sa «priorité», mais dix-huit mois plus tard force est de constater que le président américain, auquel fut décerné un peu vite le prix Nobel de la paix au mois de décembre, n'a toujours rien compris de la guerre dans ce pays. Après avoir tergiversé de longs mois avant de prendre finalement la décision le 1er décembre dernier d'y envoyer d'importants renforts de troupes afin de tenter d'inverser le cours des événements sur le terrain, comme le lui réclamait ouvertement le général Stanley McChrystal, auquel il avait confié le 1er juin précédent le double commandement de l'opération « Enduring freedom » (Liberté immuable) et des troupes de l'ISAF (Force internationale d'assistance à la sécurité), qui agissent sous le drapeau de l'OTAN, le chef de l'exécutif américain vient de le limoger pour des propos d'après-boire qui lui ont fortement déplu.
Si sa réaction est bien sûr humainement compréhensible, elle est à l'évidence politiquement stupide car, sans même s'en rendre compte, le chef de la Maison-Blanche vient ainsi d'offrir une superbe victoire psychologique aux talibans et autres insurgés de tout poil qui réclamaient sa tête ! À un moment critique où les Occidentaux, malgré les pertes quotidiennement subies, commençaient à marquer des points sur le terrain.
En réalité, le Président américain s'est contenté d'accepter la démission du général McChrystal qui, convoqué séance tenante à la Maison-Blanche pour s'expliquer sur une interview (qui n'était certes pas des plus heureuses) accordée au magazine Rolling Stone, n'avait plus vraiment d'autre choix. L'ancien patron des forces spéciales américaines tombe donc de son piédestal pour avoir ouvert sa gueule à contretemps, mais la réaction disproportionnée de ce pauvre Obama ruine en revanche plusieurs mois d'efforts pour reprendre l'initiative et améliorer la conduite des opérations dans les provinces du sud, comme le Helmand et Kandahar, le fief des talibans et des narcotrafiquants.
En nommant aussitôt pour le remplacer en Afghanistan son supérieur hiérarchique direct, le général David Petraeus qui commandait jusqu'à présent à distance (c'est-à-dire de son quartier général de Tempa, en Floride) l'ensemble des forces américaines déployées sur les deux principaux théâtres de guerre au Moyen-Orient que sont l'Afghanistan et l'Irak où - de notoriété publique - il avait fait merveille -, le président Obama peut certes se vanter que « l'Amérique change de personnes, mais pas de stratégie... », mais le mal est fait et les Alliés qui commençaient à douter vont revoir les uns après les autres leur niveau d'engagement et leur participation aux opérations.
L'erreur fatale d'Obama fut d'annoncer bien hâtivement en décembre dernier que si l' Amérique envoyait des renforts en Afghanistan elle envisageait très clairement un retrait progressif de ses troupes à compter du 1er juillet 2011. Comme si la guerre pouvait être gagnée d'ici là... alors que, par définition, la stratégie de « contre-insurrection » demande du temps et de la patience pour « gagner les cœurs et les esprits » des Afghans farouchement opposés au retour des talibans.
D'ici au 1er juillet 2011, il ne reste désormais au général Petraeus - qu'Obama n'a pas hésité à qualifier d'«extraordinaire» comme si cet homme pouvait à lui tout seul faire des miracles - plus qu'un an pour prouver la justesse de son analyse, relever le défi et faire la différence. Et dans un pays qui est en guerre presque sans discontinuer depuis l'invasion soviétique du 27 décembre 1979, c'est-à-dire depuis plus de trente ans, cet ultime délai paraît très court. Dans trois mois le 7 octobre prochain, cela fera d'ailleurs neuf ans que les Américains - venus pour chasser les talibans du pouvoir à Kaboul au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 - sont militairement présents en Afghanistan. Que de temps et d'occasions gâchés !
C'est pourquoi, dès son audition la semaine dernière devant le Sénat américain, où il devrait à nouveau être entendu mardi prochain, le général Petraeus avait de lui-même nuancé cet engagement du Président en y posant quelques conditions et en laissant ouvertement entendre qu'à l'image de ce qui se passe actuellement en Irak, les Américains sont déterminés à conserver d'importantes bases et plusieurs milliers d'hommes sur place. Car tout le monde sait que la relève des troupes occidentales (et notamment américaines) par l' ANA (armée nationale afghane) d'ici à un an est une cruelle illusion. Et qu'elle ne sera jamais prête en si peu de temps pour assurer elle-même la sécurité du pays.
En attendant, les soldats occidentaux continuent de tomber chaque jour au « Royaume de l'insolence ». Avec 79 morts en trois semaines, juin est déjà le mois le plus meurtrier pour les forces internationales en près de neuf ans de guerre en Afghanistan. Et il faut désormais espérer que tous ces jeunes soldats ne seront pas morts pour rien.
YVES BRUNAUD PRESENT du 26 juin 2010