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Propos d'outre-tombe de Friedrich Hayek sur les directeurs des ressources humaines

Ces propos sont en réalité ceux d’une interview posthume, et en grande partie apocryphe, de Friedrich Hayek (1899-1992), prix Nobel d’économie 1974 et auteur de multiples ouvrages sur le libéralisme dont le plus célèbre, publié en 1944, reste « La Route de la servitude » (Quadrige-PUF). Les travaux de Hayek ont, de leur aveu même, considérablement influencé Ronald Reagan et Margaret Thatcher dans la mise en œuvre de leurs politiques économiques. 

F. H. : Avant de commencer notre entretien et de répondre à vos questions, il nous faut convenir que les pauvres directeurs des ressources humaines (DRH) ne sont que l’un des nombreux rouages anonymes qui ont conduit votre société sur « La Route de la servitude ». Vous me pardonnerez de faire référence à l’un de mes ouvrages qui a suscité le plus de controverse, mais il me semble important de nous situer dans le contexte historique qui, en France depuis le Front populaire, et paradoxalement plus encore depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, a conduit votre pays à la mise en place d’une social-démocratie qui n’est rien d’autre qu’un communisme « soft » dont il ne parvient pas à sortir malgré des choix électoraux qui auraient pu laisser espérer le contraire.

Voici donc ce que j’écrivais il y a déjà plus de soixante ans et auquel je n’ai malheureusement rien à retirer aujourd’hui :

Depuis 25 ans au moins avant le moment où le spectre du totalitarisme est devenu une menace immédiate, nous nous sommes progressivement écartés des idéaux essentiels sur lesquels la civilisation européenne est fondée… Nous avons peu à peu abandonné cette liberté économique sans laquelle la liberté personnelle et politique n’a jamais existé. Deux des plus grands penseurs politiques du XIXe siècle, Tocqueville et Acton, nous avaient dit que le socialisme signifie l’esclavage. Mais nous n’avons jamais cessé d’aller vers le socialisme… La tendance moderne vers le socialisme signifie une rupture brutale avec toute l’évolution de la civilisation occidentale. Nous abandonnons non seulement les idées de Cobden, de Bright, de Smith, de Hume, de Locke, de Milton mais encore une des caractéristiques les plus saillantes de la civilisation occidentale telle qu’elle s’est édifiée sur les fondations posées par le christianisme, par la Grèce et par Rome. Ce qu’on abandonne, ce n’est pas simplement le libéralisme du XIXe et du XVIIIe siècle, mais encore l’individualisme fondamental que nous avons hérité d’Erasme et de Montaigne, de Cicéron et de Tacite, de Périclès et de Thucydide. […] Ce changement aboutit à un renversement total de la tendance que nous avons esquissée, à un abandon complet de la tradition individualiste qui a créé la société occidentale. Selon les idées aujourd’hui dominantes, il ne s’agit plus de savoir comment utiliser au mieux les forces spontanées qu’on trouve dans une société libre. Nous avons entrepris de nous passer des forces qui produisaient des résultats imprévus et de remplacer le mécanisme impersonnel et anonyme du marché par une direction collective et « consciente » de toutes les forces sociales en vue d’objectifs délibérément choisis.

Vous le voyez, dans cette perspective, nos DRH ne sont que des pions sur un échiquier ou, pour être moins blessant…, les fous du roi.

P. B. : Les esprits sont donc économiquement corrompus…

F. H. : Oui, tout à fait ! Un des plus grands économistes français, malheureusement méconnu de la plupart de vos compatriotes, Frédéric Bastiat, s’était distingué en dénonçant, avec un humour corrosif et une simplicité qui fait honneur à notre profession, un certain nombre de sophismes économiques dont la plupart ont toujours pignon sur rue. Comme celui, bien ancré dans les esprits, qui consiste à laisser croire que les prélèvements effectués par l’État créent de l’emploi qui ne l’aurait pas été autrement. A première vue – c’est le propre des sophismes ! –, c’est vrai. Nombre de fonctionnaires accomplissent des tâches qu’ils n’accompliraient pas – et que nul n’accomplirait à leur place – si l’Etat n’avait pas décidé qu’elles étaient nécessaires à l’équilibre, la pérennité, le bien-être (ou que sais-je encore) de la société. Mais outre le fait que l’on ne voit pas au nom de quoi l’Etat serait capable de juger de ce qui est bon ou non pour la société, on se rend compte que, si l’argent ainsi prélevé avait été laissé à la disposition des ménages ou des entreprises, d’autres types d’emplois, répondant sans doute beaucoup mieux aux besoins et aux attentes de la population, auraient été créés. En France, on préfère avoir des policiers ou des inspecteurs des impôts plutôt que des plombiers ou des garçons de café.

Et vos DRH, dans cette perspective, ne sont au fond que des agents de l’Etat, certes détachés au sein des entreprises et rémunérés par elles, mais uniquement chargés de veiller au respect et à l’application des lois qui encadrent le travail.

P. B. : N’est-ce pas une vision parcellaire, sévère et un peu injuste ?

F. H. : Effectivement, car ils n’en sont même pas conscients. Mais force est d’admettre que la plupart d’entre eux sont plus dans la recherche du consensus mou et du moindre mal qu’arc-boutés sur la défense des intérêts de l’entreprise et surtout de ses actionnaires dont ils semblent n’avoir que faire. Leur refus ou leur crainte d’appréhender de manière sereine la financiarisation de leur fonction en constitue l’exemple le plus frappant. Ils préfèrent se complaire dans les méandres du droit social ou le psycho-« coaching » plutôt que de s’intéresser aux engagements sociaux. Comme l’a souligné un professeur de l’INSEAD, nombre de cadres français, DRH en tête, rejoignent, dans leurs préoccupations et surtout dans leur vision de l’entreprise, la cohorte des salariés ordinaires. D’où leur peu d’enthousiasme, par exemple, à voir réformer le principe des RTT dont ils sont, au moins dans les grandes entreprises, les premiers bénéficiaires. Vos DRH, mon cher, ont viré de bord. Ils ne sont plus tout à fait du côté du manche.

P. B. : N’est-ce pas lié à leur formation et à leur parcours, somme toute, assez peu opérationnels ?

F. H. : Bien sûr! Et la France n’a pas le monopole de cette hérésie. Au Québec, par exemple, les DRH sont pour la plupart diplômés de psycho ou de relations industrielles et, pour couronner le tout, chapeautés par un ordre que l’on peut comparer à celui des médecins en France (ordre, je vous le rappelle, fondé par Pétain !). C’est le « Tout-à-l’humain » comme il y a le tout-à-l’égout.

P. B. : Vous êtes en train de nous dire que les DRH sont des socialo-psycho-marxistes…

F. H. : Oui ! Appelons un chat un chat. Et même s’ils ont voté Sarkozy (ce qui est loin d’être acquis), cela ne change rien à mon jugement. Regardez ce qu’ils lisent: « Liaisons sociales ». C’est comme si les chefs d’entreprise lisaient « La Cause du peuple ». Il est d’ailleurs amusant de constater que l’ancien directeur de ce journal, et jusqu’à une récente période l’un de ses éditorialistes vedettes, n’est autre que Raymond Soubie. Lequel vient de rejoindre Nicolas Sarkozy en tant que conseiller aux Affaires sociales pour « rassurer » les syndicats. Faut-il vraiment « rassurer » les syndicats dans un pays où ils ne représentent qu’à peine 8% des salariés et où les priorités me semblent être d’une tout autre nature ?

P. B. : Vous pensez donc que l’action syndicale nuit à la santé économique des entreprises ?

F. H. : Et comment ! Je sais que ce type de propos détonnera dans le pays de la pensée unique, mais voyez comment Margaret Thatcher et Ronald Reagan les ont combattus et avec quels succès économiques. Je sais qu’il est de bon ton de dauber Reagan, mais sous sa présidence la croissance américaine a été la plus forte des deux cents années qui l’ont précédée. Dans le même temps, et au plus grand mépris des règles élémentaires de la démographie, François Mitterrand et ses brillants conseillers, tous réputés beaucoup plus intelligents que le président américain, instauraient la retraite à soixante ans, mesure dont les dommages seront perceptibles de longues années encore. Quant à Tony Blair, qu’eût-il été sans les mesures prises par la « Dame de fer » ? Et notamment celles qui consistèrent, d’une manière parfois violente et en tout cas sans état d’âme, à mettre fin aux hégémonies syndicales dans les domaines du transport et de l’énergie.

Et, sans remonter aux calendes grecques, voyez comment le gouvernement néo-zélandais a, en 1991 et en moins de six semaines, réduit le code du travail à sa plus simple expression ; pour le plus grand bien de l’économie puisque dans les cinq années qui ont suivi le taux de chômage a été divisé par deux. De même, le gouvernement canadien a-t-il interdit le droit de grève aux fonctionnaires pendant sept ans afin de pouvoir mener à bien le programme de réduction des dépenses publiques. L’Institut économique de Montréal a d’ailleurs réalisé une étude très convaincante qui démontre à quel point une trop forte présence syndicale nuit à la croissance et au développement des entreprises.

P. B. : Mais les DRH avancent leur rôle stratégique…

F. H. : Ah oui ? Lequel ? Quel rôle stratégique pouvez-vous bien avoir quand vous êtes encadré par un code du travail qui, comme le souligne Pascal Salin en me citant (ce dont je le remercie), repose sur ce que j’ai appelé « la prétention de la connaissance » ? Autrement dit sur « le fait que l’on croit savoir ce qui est le mieux pour chacun, sans évaluer les conséquences ultimes des contraintes légales apportées à la liberté contractuelle. Or les effets pervers se manifestent nécessairement dans la mesure où elle est inspirée par une vision erronée du marché du travail », pour rendre la politesse à M. Salin et le citer à mon tour. Sans entrer dans le détail de cette vision erronée, on peut dire que le droit du travail est d’obédience marxiste puisqu’il présuppose une relation de domination entre l’employeur et l’employé qui permettrait au premier d’exploiter le second. Le travailleur aurait donc besoin d’être protégé. En réalité, l’entreprise est un « lieu de coopération sociale » (Salin, toujours) où chacun, employeur et employé, dépend avant tout de la bonne volonté et de l’engagement de l’autre. Or en imposant des contraintes arbitraires supportées par un seul des contractants (l’entreprise), le droit du travail devient un véritable frein à l’embauche puisqu’il n’admet pas le droit à l’erreur ou le fait payer très cher (toujours et unilatéralement à l’entreprise).

Nous sommes donc dans un système où la stratégie et l’innovation ne reposent pas sur le désir ou la capacité de chacun mais sont soumises à des règles obsolètes et absurdes dont les effets aboutissent à l’exact contraire de ce qui serait souhaitable, non seulement pour le développement et le profit des entreprises, mais encore pour celui des salariés.

P. B. : Si l’on va au bout de votre logique, dans une économie libérale il n’y aurait plus de DRH…

F. H. : En tout cas pas les mêmes puisqu’une bonne partie de leur tâche deviendrait caduque. Débarrassés des contraintes légales, des négociations stériles, des petits jeux de pouvoir et de contre-pouvoir, ils pourraient par exemple se consacrer à l’amélioration de la productivité, à l’évolution des métiers, aux véritables défis de la formation, etc. Et il y a fort à parier que l’on aurait alors affaire à des DRH qui seraient eux-mêmes radicalement différents et issus de cultures beaucoup moins « sociales ».

P. B. : Selon vous, les DRH actuels n’ont donc aucun intérêt à ce que les lignes bougent ?

F. H. : En effet. On a rarement vu quelqu’un scier la branche sur laquelle il est assis. C’est d’ailleurs le problème de la France en général. Trop d’arbres, trop de branches et trop de gens assis dessus !

P. B. : Mais quoi qu’ils fassent, les DRH sont coincés par l’arbitraire législatif…

F. H. : Oui et non. Prenons l’exemple de la feuille de paye dont ils sont les garants. On n’a jamais entendu l’un d’entre eux, ou quelque représentant d’association professionnelle, réclamer de la transparence ou faire du lobby pour cela.

P. B. : Que voulez-vous dire par là ?

F. H. : Je veux dire qu’une feuille de paye digne de ce nom devrait faire apparaître (comme c’est le cas au Danemark, par exemple) en première ligne un salaire brut qui inclurait non seulement le salaire, mais encore la totalité des charges sociales afférentes – salariales, comme c’est le cas aujourd’hui, mais également patronales. Et croyez-moi, ce simple changement conduirait très vite nombre de salariés (dont la plupart verrait de fait leur salaire brut amputé de 50%, si ce n’est plus, quand on y ajoutera le prélèvement de l’impôt à la source) à réclamer l’instauration d’une couverture privée et en tout cas le libre choix. Car c’est une chose de retirer 20% du salaire brut (part salariale) et c’en est une autre d’en retirer 50%. Surtout pour les petits salaires et les catégories modestes que l’on gruge depuis des années en leur faisant croire aux bienfaits de la redistribution étatique. Car qu’est-ce que les charges sociales patronales sinon du salaire brut qui ne porte pas son nom ? Les salariés verraient alors que, contrairement à ce que leur serinent les syndicats, ce n’est pas leur salaire qui est trop bas mais les prélèvements qui sont trop hauts.

P. B. : Et vous pensez qu’il appartient aux DRH d’initier le mouvement ?

F. H. : A qui d’autre ? Et sinon à quoi serviraient-ils ? A propager et perpétuer des idées fausses ? Vous savez, on pourrait dire exactement la même chose de vos fameuses RTT (que tout le monde vous envie mais dont personne ne s’inspire, et pour cause…) qui n’ont jamais été qu’une façon d’acheter la paix sociale en échangeant de la rémunération contre du temps libre ; au détriment du dynamisme économique et social car influençant de la manière la plus négative et la plus pernicieuse l’ensemble des couches productives de votre pays. Il était clair que les gains de productivité seraient insuffisants pour permettre une telle démarche dont le profit politique même s’est révélé catastrophique puisque Jospin fut éliminé par Le Pen au deuxième tour de l’élection présidentielle de 2002. Voyez-vous, au pire (et je dis bien : au pire), il eût mieux valu sacrifier une heure par jour que d’accumuler ces semaines de vacances supplémentaires qui pourrissent le climat général, brident l’innovation et cassent la dynamique du pays. « Français en vacances », comme vous l’avez écrit vous-même, est devenu un pléonasme.

Mais, une fois encore, on constate que la plupart des DRH s’appliquent le régime des RTT à eux-mêmes (ils l’avouent avec difficulté mais, en insistant un peu, la plupart d’entre eux finissent par l’admettre) ; tout comme les journalistes, d’ailleurs, ce qui explique la critique, somme toute, assez relative dont elles font l’objet et le peu d’enthousiasme des uns ou des autres à les remettre en cause.

P. B. : De la même façon vous remettez en cause la participation obligatoire…

F. H. : Bien sûr, puisqu’elle remet en cause la notion même de profit résiduel sur lequel repose la libre entreprise. Pascal Salin explique cela très bien. Mais, en bref, un salarié bénéficie d’un contrat qui lui assure et lui garantit le versement d’un salaire quoi qu’il arrive. En revanche, l’entrepreneur (ou les actionnaires), quant à lui, ne recevra qu’une partie de ce qui reste après que tout aura été payé (salaires, fournisseurs, impôts, etc.). Contrairement au salaire, le bénéfice n’est donc jamais garanti et repose sur la notion de risque, assumé par le seul entrepreneur et ses actionnaires. L’amputer de ce qu’il faut bien appeler une sorte de sur-salaire revient à pervertir l’idée même du capitalisme et de ses fondements. Demande-t-on aux salariés de participer aux pertes ?

P. B. : Question plus personnelle pour finir : Est-ce que l’on ne s’ennuie pas un peu au ciel ?

F. H. : Non, pas du tout, et je vais vous dire pourquoi : tout simplement parce qu’il n’y a pas d’étatistes, Dieu les trouve trop emmerdants…

Propos recueillis d’outre-tombe par Patrick Bonney.
« Le Québécois libre » n° 231, 24/06/06
http://www.quebecoislibre.org/07/070624-3.htm
Correspondance Polémia
03/09/07

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